Dans le cadre du projet de loi de finances 2012, intervention sur la question des aides à la presse dans un moment où celle-ci connaît des difficultés mortelles
Le vendredi 25 novembre 2011
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Chers Collègues,
Je concentrerai l’essentiel de mon intervention sur les crédits et les aides de l’État en faveur de la presse écrite proposés par le Gouvernement pour l’année 2012. Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi, en préambule, de rappeler quelques fondamentaux qui sont, à mon sens, susceptibles d’éclairer nos débats.
Pourquoi aide-t-on la presse écrite ? La question est abrupte, mais elle n’en est pas moins nécessaire. Après tout, d’un point de vue un peu simpliste, on pourrait tout simplement considérer que, les entreprises de presse écrite relevant toutes du secteur privé, il n’y a pas, dans l’absolu, de raison de leur accorder des aides publiques.
De fait, c’est tout de même cette logique qui prévaut aujourd’hui en matière d’aides au secteur des médias. Les engagements directs ou indirects de l’État à l’égard de la presse écrite ne représentent en volume que le quart des engagements publics envers l’audiovisuel, ceux-ci s’orientant quasi essentiellement vers les chaînes publiques.
Si l’on se place d’un point de vue moins idéologique et plus historique au regard des pratiques de notre pays en matière de politique publique, que constate-t-on ? On constate que la presse écrite, depuis la Révolution française, a toujours fait l’objet d’aides de l’État, notamment d’aides postales, et que celles-ci se sont renforcées et diversifiées au XXe siècle, après l’adoption de la loi Brachard de 1935 et plus encore après la Libération. Nous aidons la presse écrite, parce que sa richesse et son pluralisme constituent une condition sine qua non de l’existence d’une vie démocratique pleine et effective dans notre société. Bien que de statut privé, les titres de presse remplissent, dans leur diversité et par leur pluralisme, une mission de service public à l’endroit de nos concitoyens.
Le problème aujourd’hui est que la presse écrite, en particulier la presse d’information générale, va mal et même très mal. France-Soir s’apprête à quitter définitivement les kiosques, et près d’une demi-douzaine de quotidiens régionaux se portent mal aujourd’hui. Enfin, last but not least, le quotidien La Tribune vient d’être placé en redressement judiciaire : 160 emplois sont en jeu, dont 80 emplois de journalistes.
La question est fondamentale puisque l’on risque de voir disparaître des kiosques, dans les mois qui viennent, deux quotidiens nationaux parmi la petite dizaine de titres que compte notre pays. La presse économique quotidienne se compose aujourd’hui de deux titres, et l’un d’eux risque de disparaître, au grand dam de la liberté d’expression et du pluralisme. On l’a peu noté, mais c’est pourtant un signal majeur de la dégradation de la qualité globale de notre système d’information : pour la première fois en France depuis la Libération, le nombre de titulaires de la carte de presse, autrement dit de journalistes professionnels, a diminué en 2010. Cette baisse n’est pas conjoncturelle, elle est tendancielle : il y a à peine 35 000 journalistes professionnels en France, contre dix fois plus aux États-Unis et plus du double en Allemagne. Rapportés à la population de chacun de ces deux pays, ces chiffres soulignent le déficit inquiétant dont souffre aujourd’hui la France dans le concert désormais mondialisé de l’information.
Le nombre de journalistes, tous médias confondus, officiant dans le domaine de l’information générale, politique et internationale a encore plus fortement chuté.
Ce qui coûte le plus dans une rédaction, c’est l’information internationale de qualité, c’est-à-dire le fait de disposer de correspondants en poste à l’étranger. C’est là, malheureusement, qu’ont lieu aujourd’hui de nombreuses réductions d’effectifs. C’est pourtant ce qui permet à nos concitoyens, avec l’AFP, de disposer d’informations indépendantes des flux de dépêches dispensés, souvent à bas prix, par les agences de presse anglo-saxonnes. Pour faire face à la concurrence accrue qui se développe aujourd’hui entre les supports – de plus en plus nombreux, alors qu’il y a de moins en moins de journalistes –, on diffuse une information low cost, de seconde ou de troisième main, non seulement sur les réseaux, mais parfois aussi dans les colonnes de nos titres les plus prestigieux.
La presse écrite va mal. De quoi souffre-t-elle et comment peut-on mieux l’aider ?
Elle souffre, car ses deux principales ressources financières – la diffusion payée et la publicité – sont en net recul. Les recettes publicitaires de la presse, particulièrement celles de la presse d’information générale, déclinent structurellement en France depuis de nombreuses années, notamment du fait de l’apparition de nombreux titres gratuits, non seulement dans la presse, mais également à la télévision et à la radio, compte tenu de l’émergence d’internet au début des années 2000.
Au sein du secteur global des médias, la télévision tire plutôt bien son épingle du jeu, mais c’est la presse écrite qui paie les pots cassés. À l’intérieur même du marché de la presse écrite, c’est la presse magazine thématique qui capte aujourd’hui la majorité des ressources publicitaires. Souvent en assez bonne santé financière, ces magazines spécialisés emploient relativement peu de journalistes et produisent globalement assez peu d’information générale. Ils bénéficient néanmoins du taux préférentiel de TVA à 2,1 % appliqué indistinctement à la presse.
Les quotidiens payants en France ne tirent en moyenne qu’à peine 30 % de leurs revenus de la publicité. C’est la principale raison pour laquelle un quotidien en France coûte si cher par comparaison au prix d’un magazine. Cela a naturellement un impact direct sur le niveau de diffusion des journaux en France.
La principale ressource de la presse écrite d’information générale, celle de la diffusion payée, ne cesse de se dégrader, mettant ainsi en danger certains fleurons de notre presse nationale.
Pour toutes ces raisons, il est indispensable de soutenir la presse, et plus particulièrement la presse d’information générale, mais il faut le faire avec plus de discernement qu’aujourd’hui.
En la matière, le projet de budget pour 2012 est bien pingre, notamment en matière d’aides directes, lesquelles sont en recul de 6,4 % par rapport à l’année passée. Surtout, dans ses actions et dans ses modes d’intervention, il est bien mal adapté à la nature et à l’ampleur des défis à relever. On m’objectera que ce budget est en baisse, parce que s’achève cette année le plan de trois ans lancé à la suite des états généraux de la presse de 2008. Mais, dans un secteur de l’économie en très profonde mutation, a-t-on le droit de retirer notre soutien stratégique au moment où la situation empire ? Pourquoi opère-t-on une coupe de 34 % des aides au portage, alors que cette aide a produit des effets si prometteurs ces deux dernières années ? Il reste pourtant tant à faire dans ce domaine, au moment où le réseau des diffuseurs de presse ne cesse de se réduire.
En matière de portage, la politique d’aide du Gouvernement s’inscrit dans une logique, à mon sens très dommageable, de « stop and go » : on lance, on arrête, on lance, on arrête… Je rappelle que l’action publique en faveur du portage a été initiée à la fin des années quatre-vingt-dix. Sur l’initiative de M. Le Guen, le Fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale a été créé dans le cadre de la loi de finances pour 1998. Ce fonds est alimenté par un prélèvement de 1 % sur certaines recettes publicitaires du secteur dit « hors médias ». La première année, ce prélèvement avait permis d’affecter près de 50 millions d’euros au fonds de modernisation de la presse de l’époque.
Depuis, j’ai certainement manqué un épisode. C’est pourquoi je souhaiterais, Monsieur le Ministre, que vous nous expliquiez ce qu’il est advenu de l’affectation budgétaire de cette ressource, qui, logiquement, n’a pu que croître au fil du temps, compte tenu de la progression des ressources observée dans le « hors médias » depuis quinze ans. Je peine à reconstituer l’emploi de cette ressource dans le projet de budget pour 2012, à un moment où l’on nous annonce une baisse de 8 % des aides à la modernisation de la presse.
Compte tenu de la situation financière très délicate de notre pays aujourd’hui, l’heure n’est évidemment pas aux dépenses exagérées, elle est aux investissements d’avenir. Ce qui pose problème dans le budget des aides à la presse pour 2012, c’est précisément son manque de vision stratégique d’ensemble, cohérente et équitable, sur la dépense publique engagée. Il faut d’abord cesser la pratique malencontreuse du « stop and go » en matière d’aides à la modernisation de la presse. Des mécanismes d’aide plus ciblés, tenant réellement compte des difficultés spécifiques que rencontrent les différents secteurs de la presse, doivent être mis en place en se référant à leur utilité publique en matière de qualité et de diversité de la production journalistique. Cela suppose un effort nettement plus accentué au profit des titres d’information générale, producteurs d’une très forte valeur ajoutée journalistique.
Il faut ensuite davantage aider les entreprises de presse en fonction de la taille de leur rédaction, notamment en fonction de leurs efforts pour développer ou maintenir un réel réseau de correspondants à l’étranger. Si une partie importante de l’avenir de la presse se joue aujourd’hui sur internet, notons cependant que les ressources dégagées actuellement, grâce à la diffusion payée et aux investissements publicitaires, restent faibles et encore très insuffisantes. Elles ne permettent pas d’équilibrer financièrement ce secteur : le chiffre d’affaires global de la presse sur internet s’élève actuellement à 100 millions d’euros, alors que les fournisseurs d’accès à internet et les opérateurs de téléphonie enregistrent un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros sur la partie digitale de cette activité.
Monsieur le ministre, je vous sais sensible à la protection des droits d’auteur et à la juste rémunération de la copie privée.
La production journalistique fait aujourd’hui l’objet d’un pillage en bonne et due forme, sans pratiquement aucune contrepartie financière. Il est donc urgent d’instaurer un prélèvement de 1 % sur l’abonnement à internet pour financer la création de contenus de presse sur le web.
L’Etat doit aussi agir pour rétablir un meilleur équilibre des recettes publicitaires entre la presse écrite et les autres médias qui ne s’acquittent pas toujours avec autant de persévérance du devoir d’informer.
Avant de conclure, j’aimerais dire qu’il ne nous paraît pas opportun, pour l’instant, de lancer six nouvelles chaînes TNT, le marché publicitaire étant de plus en plus restreint dans ce secteur.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs et les sénatrices écologistes, comme leurs collègues socialistes, appellent à voter contre le budget des aides à la presse pour 2012 proposé par le Gouvernement, car nous n’y trouvons pas la volonté politique nécessaire pour répondre à l’ampleur des défis auquel ce secteur est confronté.
Voir en ligne : La vidéo du discours, sur le site de La Tribune