Intervention d’André Gattolin en séance plénière – mardi 28 février 2012.
Le Sénat a adopté à l’unanimité mardi 28 février une proposition de loi modifiant la loi créant le conseil national des communes « Compagnon de la libération ». Les débats parlementaires ont été l’occasion pour le groupe écologiste de rendre hommage à l’esprit de résistance des compagnons de la Libération et aux valeurs du conseil national de la résistance qu’incarne si bien Stéphane Hessel, indigné sans frontières. André Gattolin en a profité pour appeler ses collègues à faire vivre ces beaux idéaux en se levant contre toutes les injustices actuelles – en particulier environnementales. Ce qui lui a valu cette remarque ironique du rapporteur UMP de la loi : « Tu n’as pas pu t’empêcher… ».
Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire d’État, Monsieur le Rapporteur, mes chers Collègues,
Le 16 novembre 1940, alors que le général de Gaulle voit s’éloigner l’espoir de rallier à sa cause, contre le régime de Vichy, une vaste zone de l’Empire français, il décide de distinguer ceux qui, en restant fidèles à la France libre, n’ont pas trahi l’idéal de résistance.
La croix de la Libération rend ainsi hommage aux individus, aux unités combattantes et aux collectivités qui se sont distingués par leurs services rendus à la France libre.
Pour la mémoire des femmes et des hommes qui ont su s’élever contre le régime de Vichy en refusant la confortable allégeance au totalitarisme, il importe que l’ordre de la Libération perdure dans le temps.
Ainsi, en 1999, nos prédécesseurs à l’Assemblée nationale et au Sénat ont fixé les modalités de la pérennisation de l’Ordre, notamment en créant un établissement public national à caractère administratif destiné à succéder au conseil de l’ordre de la Libération, une initiative louable du fait que les dernières personnes physiques membres de cet ordre sont appelées à disparaître.
Toutefois, cette loi présentait certaines lacunes, et nos collègues députés ont considéré, à la fin de l’année de 2009, qu’il convenait de légiférer de nouveau pour assurer le bon fonctionnement de ce nouvel établissement public. Une telle démarche est tout à leur honneur, et je ne peux que souscrire aux dispositions de la proposition de loi que le Sénat examine aujourd’hui.
L’article 1er du texte règle le devenir du musée de l’ordre de la Libération créé par le général de Gaulle. L’établissement public national à caractère administratif qu’est le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » aura désormais pour mission d’assurer non seulement la surveillance, mais aussi la pleine gestion de ce musée. Pour ce faire, il disposera d’une plus grande marge de manœuvre. Toutefois, cette autonomie accrue ne doit pas s’accompagner d’une diminution de ses ressources. Or c’est ce qui est à craindre au regard de la situation économique actuelle.
En effet, depuis le 1er janvier 2011, les trois postes équivalents temps plein qui avaient été mis gratuitement à disposition par le ministère de la défense sont à la charge de l’Ordre. Certes, une allocation a été mise en place pour les années 2011 et 2012 afin de compenser cette perte. Mais jusqu’à quand sera-t-elle reconduite ?
L’article 2 permet à l’Ordre de recruter directement des agents contractuels. Pour un texte émanant de députés de la majorité présidentielle, cela n’a rien d’étonnant ! Mais, pour nous, écologistes, la cessation de la mise à disposition de fonctionnaires et la compensation de cette décision par le recrutement de contractuels ne sont jamais un signal positif. Certes, cela permet une souplesse dans la gestion du personnel, mais ce sera, malheureusement, au prix d’une plus grande précarité.
En instaurant de nouvelles sources de financement, l’article 3 est sous-tendu par la même logique d’autonomisation financière de l’établissement public. Une telle disposition confère à cet établissement à caractère administratif une vocation, à mon sens, un peu trop commerciale.
Alors que le Conseil national est financé, aux termes de la loi de 1999, par des subventions versées par l’État ou par d’autres personnes publiques, ses ressources reposeront désormais sur les droits d’entrée du musée, les visites-conférences, la location des locaux ou tout simplement les dons et legs. C’est donc la population qui financera l’activité du Conseil. Encore une fois, nous ne pouvons que déplorer ce désengagement de l’État.
Enfin, l’article 4 prévoit que l’entrée en vigueur du nouveau dispositif devra intervenir au plus tard le 16 novembre 2012, la date de passage de l’Ordre actuel au Conseil national devant être fixée par décret en Conseil d’État. Cette autonomie laissée au pouvoir réglementaire est, à notre sens, très pertinente.
En conclusion, ce texte présente des limites : en étant plus autonome, le futur établissement public sera plus vulnérable que ne l’était l’Ordre. Mais la rédaction qui nous est aujourd’hui proposée est identique à celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale. Un vote conforme permettra donc son adoption avant la fin de la session parlementaire.
En dépit des remarques que je viens de formuler, les écologistes voteront ce texte, afin que le décret instaurant le Conseil national puisse être publié avant le 16 novembre 2012.
Par cette loi, nous allons perpétuer l’héritage des combattants de la liberté. Mes chers collègues, si vous me le permettez, je terminerai mon intervention en rendant hommage à un homme qui porte chaque jour cet héritage auprès des jeunes générations, et dont j’ai la grande chance d’être proche ; je veux parler de Stéphane Hessel, qui n’en finit pas de prouver que l’esprit de la Résistance n’est pas qu’un souvenir.
Son combat, comme celui de tous les combattants de 1940, fut celui de l’indignation contre le nazisme et le totalitarisme. Le meilleur moyen de perpétuer le souvenir des résistants de 1940 consiste donc à cultiver l’indignation, qui commence par l’indignation contre la spoliation de l’un des plus beaux héritages de cette génération, à savoir les avancées politiques et sociales du Conseil national de la Résistance.
Si nous avions su nous indigner, affirme Stéphane Hessel, si nous avions été les véritables héritiers du Conseil national de la Résistance, serions-nous « cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la sécurité sociale », « cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés » ?
Lors du soixantième anniversaire de la Libération, les vétérans des forces combattantes de la France libre déclaraient : « Le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des Nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte. »
Les maux actuels ont changé : ils se nomment désormais « surconsommation, » « surexploitation du “capital planète” et de ses ressources », « mépris des plus faibles et de la culture », « amnésie généralisée » ou encore « compétition à outrance de tous contre tous. » C’est en luttant contre ces maux que nous rendrons un véritable hommage aux combattants de la Libération.
Vive la France libre ! Vive la France indignée ! Et vive la France solidaire !