André Gattolin est intervenu en séance publique, au nom du Groupe écologiste, lors du débat préalable au Conseil européen d’octobre 2013.
Le Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine sera le septième organisé depuis octobre 2012.
Sept réunions en un an quand les textes n’en prévoient toujours officiellement que deux par semestre : soit une base théorique de 4 Conseils européens par période de 12 mois, que nous dépassons allègrement.
Ce rapide petit calcul montre bien l’importance qu’a prise cette instance dans la définition des politiques européennes !
En 2012, nous parlions encore de « réunions informelles ou extraordinaires » pour les réunions surnuméraires non prévues par les textes, alors qu’en 2013 cette dimension-là a tout bonnement disparu.
Ce rythme, supposé exceptionnel l’an passé, est désormais entré dans les moeurs.
Bien sûr, on dira que la situation de crise dans laquelle se trouve l’Union européenne justifie cette inflation.
On soulignera également que les difficultés rencontrées dans la préparation du prochain cadre financier pluriannuel explique qu’il ait fallu autant échanger.
On saluera bien sûr le fait que nos chefs d’Etats et de gouvernements se soient mis à discuter aussi régulièrement.
Mais on aurait cependant tort de se satisfaire d’un tel mode de fonctionnement.
Tantôt, le Conseil européen est présenté comme plus efficace que les autres institutions européennes, puisqu’il permet un dialogue direct et sans intermédiaire entre les Chefs d’Etats et de gouvernements.
Tantôt, il est présenté comme plus légitime, précisément parce qu’il est composé par des chefs d’Etats et de gouvernements.
Or la réalité est bien différente. S’il n’y a effectivement pas d’intermédiaire entre ces hauts responsables au cours de la réunion, on peut difficilement faire comme si leurs discussions ne reposaient pas sur de longs travaux préparatoires.
Les échanges sont tellement peu libres et peu spontanés que les projets de conclusions du Conseil européen circulent ordinairement plusieurs jours avant la tenue de la réunion elle-même !
Et quand on regarde les ordres du jour successifs desdits Conseils de ces dernières années – ordres du jour qui souvent se répètent furieusement et montrent que beaucoup de problèmes peinent à être résolus d’un Conseil à l’autre – on a un peu de mal à voir en quoi les décisions prises dans ce cadre seraient plus efficaces que d’autres pour sortir de la crise.
Il faut dire que, si chacun des Chefs d’Etats et de gouvernements qui le composent dispose effectivement d’une légitimité institutionnelle, la légitimité du Conseil lui-même est déjà beaucoup plus discutable !
Pour les citoyens, le Conseil européen est une arène particulièrement lointaine ; d’autant qu’il n’est officiellement responsable de rien, ni devant personne.
Sa composition change trop souvent, tant les rythmes et les calendriers électoraux diffèrent d’un Etat membre à un autre.
Il arrive même parfois que les gouvernants, avant de grandes échéances électorales et parfois même après, semblent singulièrement paralysés, tout au moins entravés dans leurs prises de décisions.
Ainsi, la France, isolée dans sa conception des affaires européennes puisque nous sommes les seuls à les considérer à ce point comme du domaine réservé de l’exécutif, se trouve souvent bien en peine quand il s’agit de construire des alliances durables avec ses partenaires.
J’y vois une explication, parmi d’autres, de la tendance du Conseil européen à ne plus se concentrer sur les grands projets qui devraient mobiliser l’Europe pour les années à venir, et à se rabattre sur des considérations plus sectorielles et d’ordre souvent purement technico-administratives.
Ce sont là, en effet, de bien commodes dénominateurs communs, mais hélas, sans véritable vision au long cours.
J’en viens à ce qui devrait occuper la réunion de la semaine prochaine.
L’ordre du jour, comme tant d’autres avant lui, est presque exclusivement tourné vers l’économie ; ou du moins il tend à traiter l’ensemble de ses sujets sous l’angle de l’économie et de la compétitivité, y compris lorsqu’il s’agit d’emploi ou d’affaires sociales.
On y reparle d’emploi des jeunes, on y reparle d’union bancaire, on y reparle de numérique et de recherche aussi. Ce sont des sujets éminemment importants, cela va sans dire, mais sur lesquels les avancées tardent à se concrétiser. L’impatience légitime de nos concitoyens et des acteurs de ces secteurs risque bien de monter.
Surtout, une partie des discussions devraient porter, en raison des terribles drames qui y ont eu lieu récemment, sur l’île de Lampedusa et sur ce à quoi elle renvoie : à savoir l’échec des politiques migratoires et des politiques d’asile en Europe.
Qu’il me soit permis de constater que malheureusement les premières réponses européennes à ces drames et à leurs centaines de victimes, réponses qui se sont d’ailleurs fait beaucoup trop attendre, paraissent loin, très loin d’être à la hauteur.
On évoque une surveillance accentuée, des accords avec les Etats de départ ou de transit, la lutte accrue contre l’immigration clandestine…
Si l’on comprend bien qu’il faille démanteler les réseaux de passeurs, ou être en mesure de porter plus rapidement secours en cas de situation de détresse, il ne faudrait tout de même pas que notre unique réaction consiste à fermer encore davantage l’Europe, surtout sans traiter les causes profondes du problème.
En outre, une grande partie, sinon la majorité de ces migrants sont aujourd’hui originaires de Syrie, qu’ils veulent fuir pour des raisons qu’il est inutile de rappeler ici. Qu’attendons-nous pour faciliter leur exil ? Qu’attend l’Europe pour activer la directive sur la protection temporaire, pour développer des programmes de réinstallation, pour délivrer des visas humanitaires ?
Monsieur le Ministre, qu’attend la France pour revenir sur sa décision d’exiger des visas de transit aéroportuaire – distillés au compte-goutte – avant de laisser des citoyens syriens en fuite faire escale dans les aéroports français pour se rendre sur le continent américain ?
J’ai posé déjà posé plusieurs cette question au gouvernement, et je n’ai toujours pas obtenu de réponse. J’aimerais vous entendre prendre position aujourd’hui.
Je ne peux m’empêcher de remarquer que, de manière générale, certaines questions sensibles comme celles-ci ne bénéficient d’une publicité que toute relative.
C’est le cas également des négociations avec les Etats-Unis sur un éventuel traité de libre-échange, dont on suppose qu’elles seront abordées à la fin de ce Conseil européen, et sur lesquelles nous n’avons aucun élément récent. Le sceau du silence ou de la négociation feutrée semble imprimer toutes les discussions concernant l’Union européenne et ses partenaires extra-continentaux.
Mais n’y a-t-il vraiment rien à en dire quand on voit les enjeux auxquels elles renvoient ?
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,
La construction européenne a pu être lancée par une sorte de géniale intuition. Par une espèce de disruption historique qui est venue secouer et changer le cours des événements.
Il a fallu pour cela que les Etats européens acceptent ce qu’ils avaient souvent, jusque-là, rechigné à faire : s’ouvrir, mettre en commun, repenser la notion même de frontière.
On peut malheureusement se demander aujourd’hui si cet esprit-là n’est pas un peu en voie de disparition ; si l’Europe ne se referme pas trop sur elle-même, malgré le rôle majeur qui devrait être le sien dans un monde toujours plus globalisé.
L’Europe doit retrouver sa volonté et sa capacité de mobiliser les sociétés qui la composent. Il est à craindre que les réunions du Conseil européen non seulement n’y suffisent pas, mais qu’elles jouent parfois un rôle contre-productif en la matière.
Cela nous renvoie une fois de plus à l’importance de trouver un nouvel équilibre institutionnel, qui mette enfin le doigt sur les limites de l’intergouvernemental et reconnaisse l’échelon fédéral à sa juste mesure.
Espérons que les prochaines élections européennes ne se retournent pas en sanction de ce triste état de fait.
Je vous remercie.