Article paru dans LE MONDE | L’Elysée reprend à Matignon un service stratégique chargé des sujets européens|26.04.2014 à 10h01 | Par Thomas Wieder
En politique comme ailleurs, les apparences peuvent être trompeuses. Puisque l’on fait crédit à Manuel Valls d’avoir plus d’autorité que Jean-Marc Ayrault, on en déduit qu’il a davantage de pouvoir. La réalité est moins simple. En nommant un homme fort à Matignon, François Hollande a veillé à ne pas affaiblir l’Elysée. Bien au contraire.
C’était le 11 avril. Ce jour-là, le Journal officiel publiait un décret annonçant la nomination de Philippe Léglise-Costa, le conseiller Europe du président de la République, à la tête du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). Depuis mai 2012, le poste était occupé par Serge Guillon, le conseiller Europe du premier ministre. Dix jours après le remaniement, le message était clair : désormais, c’est l’Elysée et non plus Matignon qui aurait la haute main sur le puissant service administratif chargé des affaires européennes. Dans les faits, le président s’appropriait aux dépens de Manuel Valls une part des prérogatives de M. Ayrault.
Officiellement, bien sûr, telle n’était pas l’intention du chef de l’Etat. A l’Elysée, la nomination de Philippe Léglise-Costa à la tête du SGAE est présentée comme une décision relevant du seul « bon sens ». L’explication est la suivante : en France, contrairement à ce qui se passe ailleurs, c’est le chef de l’Etat et non le chef du gouvernement qui assiste au Conseil européen. Dès lors, il apparaît logique que ce soit son conseiller, et non celui du premier ministre, qui dirige l’organisme chargé d’assister le gouvernement dans le suivi au jour le jour des dossiers communautaires.
A cette raison structurelle, l’Elysée ajoute un argument contextuel. L’Europe va changer de visage : un nouveau Parlement va être élu, une nouvelle Commission s’installer, des initiatives politiques seront possibles. Dans une telle période, François Hollande a intérêt à renforcer son propre dispositif, ce qu’il fait en prenant le contrôle du SGAE et de ses quelque 200 agents. Par ailleurs, Jean-Pierre Jouyet, qui fut secrétaire d’Etat aux affaires européennes du gouvernement Fillon, a rejoint l’Elysée.
COMME MITTERRAND AVEC GUIGOU
Mieux épaulé pour négocier avec ses homologues sur la scène européenne, François Hollande est aussi mieux armé pour piloter la politique de son gouvernement à l’échelle nationale. C’est l’autre conséquence, implicite celle-là, de sa mainmise sur le SGAE. La plupart des arbitrages interministériels, qu’ils concernent le budget, la culture, la fiscalité l’environnement ou les transports, doivent tenir compte des règles européennes. Dans un tel contexte, le SGAE occupe une place stratégique, au point d’apparaître, indique l’un de ses membres, comme « un modèle réduit de l’administration française, avec des antennes dans tous les domaines ». En confiant à l’un de ses collaborateurs le pilotage d’un tel service, François Hollande s’assure de garder un œil direct sur les dossiers traités par ses ministres.
François Mitterrand avait eu la même idée. En novembre 1985, il avait nommé Elisabeth Guigou, sa conseillère chargée des questions européennes, à la tête du SGAE, à l’époque appelé Secrétariat général de coordination interministérielle (SGCI). « Quand Mitterrand a vu arriver les législatives de 1986, comprenant que nous allions les perdre et qu’il y aurait une cohabitation, il s’est dit qu’il devait garder la totale maîtrise des affaires européennes », se souvient Mme Guigou. Aujourd’hui présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, elle qualifie de « logique » le choix de François Hollande. « Hors période de cohabitation, cela permet d’assurer une parfaite coordination entre l’Elysée, Matignon et les ministères », dit-elle.
Censé « mettre en cohérence toute la chaîne », comme l’explique M. Léglise-Costa, le choix du président n’est évidemment pas présenté à l’Elysée comme une volonté de déposséder Matignon. Le fait que le SGAE reste administrativement rattaché au premier ministre et que la conseillère Europe de celui-ci soit l’adjointe du nouveau directeur est censé le démentir.
Que tirera le chef de l’Etat de cette nouvelle organisation ? Là est la question, pour le sénateur écologiste André Gattolin, secrétaire de la commission des affaires européennes. « Si on a un président qui porte un discours fort sur l’Europe, ce nouveau système peut fonctionner. Mais dans l’état actuel des choses, où l’on ne sait pas vraiment quelle est sa vision des affaires européennes, je ne vois pas vraiment ce que cette réorganisation peut apporter. »