André Gattolin est intervenu ce jour dans le cadre du débat demandé par le Groupe écologiste du Sénat sur les problématiques du climat et de l’énergie en Europe. Voici son intervention (seul le prononcé faisant foi).
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Ronan Dantec et plusieurs de nos collègues l’ont déjà rappelé : les bouleversements climatiques et les enjeux énergétiques figurent parmi les défis majeurs et les plus urgents auxquels nous devons faire face.
Ces défis, la France ne peut évidemment pas les relever seule. Ils concernent la planète toute entière, et l’Europe a longtemps fait figure de pionnière pour tenter de les relever.
Il faut dire qu’elle avait toutes les raisons pour cela !
D’abord, parce que ces problématiques l’affectent au tout premier chef : entre sa forte dépendance énergétique et la nécessité de préserver un climat exceptionnellement tempéré.
Ensuite parce que l’Union européenne dispose d’une masse qu’on pourrait croire suffisante pour pouvoir influer utilement sur ses partenaires.
Enfin, parce que c’est précisément sur ce type de dossiers à la fois techniques et politiques que la construction européenne s’est concrètement développée à la fin des années 1950.
On pouvait donc penser que l’Europe saisirait à bras le corps la multiplicité des enjeux croisés qui s’offraient à elle dans le domaine de l’énergie et du climat.
L’échec du Sommet de Copenhague en 2009 a pourtant très vite remis en cause les efforts que l’Europe avait commencé à déployer.
C’est tout une dynamique qui s’est alors interrompue et avec laquelle nous n’avons toujours pas réussi à renouer.
Certes, des avancées non négligeables ont vu le jour, mais le seuil critique n’a pas été atteint et une partie des acteurs qui s’étaient mobilisés pour une réelle prise en charge de ces questions au niveau international et européen se sont découragés, tandis que les attentistes, les sceptiques en ressortaient renforcés.
La crise économique et financière a eu un double effet dramatique sur les orientations stratégiques de nos états :
– On a d’abord souhaité renouer au plus vite avec la croissance et avec l’emploi en usant des recettes les plus classiques, sans trop se soucier d’en inventer d’autres plus cohérentes avec les enjeux tant climatiques qu’énergétiques.
– Ensuite, la recherche de la compétitivité à tout prix pour relancer nos économies occidentales essoufflées a conduit à des choix énergétiques de court terme, en surexploitant nos ressources naturelles finies et en important notre énergie à tout va, sans réel souci de rationalisation ou de sobriété.
La facture énergétique de l’Europe a ainsi été multipliée par 6 en 12 ans. Elle a atteint pas moins de 488 milliards en 2011 !
Pour faire simple, au nom d’une croissance productive classique et court-termiste dont nous attendons en vain le retour, nous sommes en train de dilapider notre capital-planète.
Les bouleversements climatiques sont pourtant plus que jamais à l’oeuvre : fonte accélérée des glaciers de l’Antarctique et du Groenland, réduction accélérée de la banquise arctique, multiplication de phénomènes météorologiques dramatiques – dramatiques parce que coûteux en vies humaines et en conséquences économiques et sociales.
Et comme une réaction en chaîne mal maitrisée, ces effets immédiats sur le climat conduisent non pas à une réorientation salutaire de nos choix stratégiques : mais amènent au contraire à des décisions folles fondés sur des raisonnements fantasmatiques !
Rapporteur pour la Commission des affaires européennes sur les stratégies européennes sur les questions de l’Arctique, je note à travers les nombreuses auditions auxquelles je procède actuellement que la dégradation accélérée du climat arctique, loin de provoquer des réactions salutaires, génère un discours délirant et incroyablement irresponsable du type : « La banquise fond ? Formidable ! Nous allons pouvoir exploiter les ressources minérales, pétrolières et gazières contenues sous les eaux de cette océan vital ; nous allons pouvoir tracer de nouvelles routes maritimes entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord ! »
Comme la guerre est parfois une scandaleuse source d’opportunités pour certains industriels, la dégradation accélérée du climat en Arctique apparaît pour certains comme une superbe opportunité de business.
C’est au passage, très mal connaître les réalités de l’Arctique, la fragilité de son écosystème, les conditions extrêmement risquées, les coûts particulièrement élevés de l’exploitation de ses ressources et les dangers de la navigation dans cette zone.
Même dans l’hypothèse d’un accroissement du réchauffement climatique dans ce vaste espace qui, au passage, est déjà deux fois et demi plus élevé que sur le reste de la planète !
Mais un des principaux mécanismes de l’économie mondialisée est sans doute de fonctionner sur des logiques archi-spéculatives où, au final, on privatise les bénéfices et où on collectivise les pertes.
Comme les paradoxes succèdent aux paradoxes, l’inquiétante crise russo-ukrainienne a eu au moins l’avantage de remettre la question énergétique sur le devant de la scène.
Depuis quelques mois certains, dont le Président de la République lui-même, appelaient de leurs voeux la formulation de politiques énergétiques européennes, allant jusqu’à parler d’un Airbus de l’énergie. Des propositions aujourd’hui relancées par la situation de l’Ukraine et le chantage au gaz russe.
Mais un point reste hautement problématique. Ces discours sur la souveraineté énergétique de l’Europe apparaissent en effet de plus en plus déconnectés de la question du climat. On assiste à un véritable découplage entre ces deux thématiques qui sont pourtant intrinsèquement liées !
L’énergie la moins chère, c’est celle que l’on économise.
L’énergie la moins dangereuse pour le climat, c’est la moins carbonée. C’était tout le sens du fameux paquet énergie climat mis en place en 2008, qui en dépit de ses limites établissait clairement le lien entre ces différents aspects avec ses objectifs quantifiés : 20% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique, 20% de réduction des émissions de CO2, 20% de gains d’efficacité énergétique.
La situation globale s’est depuis encore dégradée. Pourtant, le nouveau paquet énergie climat proposé par la Commission européenne constitue un recul sans précédent, dans la droite ligne de ce qu’espéraient le Royaume-Uni et la Pologne.
Les objectifs d’efficacité énergétique ont disparu, les objectifs en matière d’énergies renouvelables ne sont plus contraignants et donc ne seront pas respectés, et la cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre reste faible.
Pourtant, dans ses dernières propositions, le Parlement européen réclamait lui des objectifs contraignants simultanément dans ces trois domaines.
Madame la Ministre, il n’aura échappé à personne que votre ministère regroupe aujourd’hui avec bonheur l’écologie et l’énergie. Nous vous savons, comme nous, très attachée à l’intégration de ces deux problématiques.
Force est malheureusement de constater que nous assistons aujourd’hui à leur découplage presque total au niveau européen. Avec, au mieux, le risque d’échouer dans l’un ou l’autre de ces deux domaines ; et au pire, très certainement, d’échouer dans les deux.
Madame la Ministre, le Groupe écologiste aimerait donc savoir quelles initiatives le gouvernement entend prendre tant au niveau de l’Union et auprès de la Commission européenne qui s’installera cet été, que dans le cadre du sommet Paris 2015, pour relier à nouveau comme il se doit ces deux politiques fondamentales pour notre avenir.
Je vous remercie.