Retrouvez ci-dessous le texte de mon intervention dans le débat, ce matin, qui a inauguré l’examen en séance publique du Projet de loi de finances (PLF) pour 2015 (seul le prononcé fait foi).
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,
Hormis les baisses de crédit des missions et la diminution des dotations des collectivités territoriales, ce projet de loi de finances, au fond, ne comporte pas de mesures phares. On pourrait bien sûr penser à la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu. Mais ce n’est en réalité que la nouvelle mouture d’une mesure que nous avions déjà discutée en juillet, avant qu’elle ne soit censurée depuis par le Conseil constitutionnel.
S’il ne présente pas de mesures emblématiques, ce projet de loi n’en est pas moins empreint d’une ligne politique claire et – il faut reconnaître au Gouvernement ce mérite – une ligne cohérente : accroître les marges des entreprises, par la diminution de leurs impôts et cotisations, et tenter, dans le même temps, de réduire le déficit par la baisse des dépenses publiques.
Cette baisse des dépenses, on le sait, a des conséquences inquiétantes. Pour nos concitoyens, d’abord, qui voient remettre en cause leurs prestations sociales, leurs retraites, leurs allocations familiales, leurs indemnisations du chômage… Pour notre économie, ensuite, du fait du repli de l’investissement public, qu’il s’agisse de l’Etat ou des collectivités territoriales, soumises pour cette année et les suivantes à une cure d’austérité drastique.
Cela est d’autant plus inquiétant que selon l’INSEE, la maigre croissance (0,4 %) que la France a pu accumuler au troisième trimestre de 2014 est essentiellement tirée par la commande publique ! En effet, l’investissement privé, dont on aurait pourtant pu espérer, deux ans après l’annonce du CICE, qu’il vienne se substituer partiellement à l’investissement public, est lui aussi en recul.
Les effets récessifs de cette politique, systématiquement sous-évalués, ne permettent pas à la France de respecter la trajectoire budgétaire à laquelle elle s’est engagée devant la Commission européenne. Pour 2014, on s’achemine même vers une augmentation du déficit de 0,1 point, à 4,4% du PIB.
Le Gouvernement a choisi, pour compenser le non-respect de ses engagements, de donner à la Commission des gages de libéralisation du marché du travail, qui fragilisent encore plus les salariés, alors que l’endémisme du chômage leur impose déjà un rapport de force extrêmement défavorable avec les employeurs.
Tous ces sacrifices, sociaux et économiques, servent à financer le pacte dit de responsabilité et de solidarité. En effet, si l’on additionne les 41 milliards attribués aux entreprises et les 5 milliards consentis aux ménages en compensation, on n’est plus très loin des fameux 50 milliards d’économies que le Gouvernement impose à nos finances publiques.
Cette dépense a trouvé sa justification dans la création d’emplois, par centaine de milliers d’après le Gouvernement, par millions d’après le patronat. Aujourd’hui que les mesures sont en œuvre, plus personne ne se risque à avancer un chiffre, et on nous explique que la relation de cause à effet n’est pas aussi simple. Et pour cause !
La réalité, c’est qu’il est absurde de considérer que c’est l’entreprise qui crée unilatéralement l’emploi. Sans même parler du fait que la puissance publique peut créer elle aussi de vrais emplois, une entreprise n’embauche, comme l’avoue désormais Monsieur Gattaz, que si elle a un carnet de commandes ! L’offre et la demande sont à l’évidence inextricablement liées. La réalité, c’est que ce pacte de responsabilité représente un immense effet d’aubaine pour de nombreux groupes – je pense par exemple au secteur de la grande distribution, par définition non délocalisable.
J’espère d’ailleurs, Monsieur le Ministre, que la représentation nationale pourra disposer en temps voulu de la répartition précise, par secteur d’activité, du volume de baisses de cotisations et de crédit d’impôt consentis dans le cadre du pacte de responsabilité.
Cette stratégie de compétitivité, et donc de compétition, par la baisse du prix du travail est sans issue. Jamais nous ne pourrons concurrencer sur ce plan les pays en voie de développement et quant à nos plus proches voisins, nous avons avec eux partie liée : l’Allemagne l’expérimente à ses dépens, qui voit sa situation économique commencer à se dégrader sérieusement malgré toutes les vertus dont elle s’est parée…
Enfin, par son uniformité et sa focalisation sur le prix du travail, cette stratégie fait une dramatique impasse sur ce qu’il est convenu d’appeler la compétitivité hors coût, c’est- à-dire le positionnement stratégique de nos produits.
Il nous faut aujourd’hui prendre conscience de notre communauté de destins. Avec notre planète d’abord, dont la préservation conditionne la qualité de notre vie, quand il ne s’agit pas tout simplement de notre survie. Avec l’ensemble des peuples du monde, ensuite.
Les drames humanitaires récurrents de Calais et de Lampedusa, et plus récemment la propagation du virus Ebola, devraient nous convaincre, sans même qu’il soit besoin d’invoquer de grands principes humanistes, de l’illusion, de l’aveuglement qu’il y a à penser que les économies dites développées pourraient se préserver indéfiniment une prospérité isolée de la misère du monde.
Dans ce contexte, s’en remettre pour toute stratégie à la compétition est un non-sens, et spécialement dans le cadre de l’Europe politique. Nous ne sortirons pas de la crise en nous livrant à une compétition sociale avec l’Allemagne pas plus qu’en nous adonnant à une compétition fiscale avec le Luxembourg.
A cet égard, les propos, hier, du premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel, expliquant, en plein scandale LuxLeaks, qu’il s’opposera à toute harmonisation fiscale au sein de l’Europe et demandant aux services fiscaux des pays voisins d’arrêter la « chasse aux sorcières » contre les travailleurs frontaliers, sont proprement scandaleux.
Cela justifierait, Monsieur le Ministre, une offensive politique d’envergure de la part de la France, notamment vers l’Allemagne, pour que l’Europe avance enfin sur cette question de l’harmonisation des taux d’imposition s’appliquant aux bases mobiles. Si l’on veut éviter que le contrôle exercé par la Commission sur les déficits nationaux ne se résume qu’à une vaine coercition, il devient urgent d’afficher des avancées substantielles sur l’harmonisation fiscale et la coordination macro-économique des Etats.
Si la coopération plutôt que la compétition à l’échelle européenne est une condition nécessaire de la sortie de crise, elle ne suffira pas. Il nous faut impérativement trouver la voie d’une économie politique, opérant des choix démocratiques quant aux objectifs de long terme et aux filières à soutenir.
Alors que l’on nous explique encore aujourd’hui que le nucléaire doit être soutenu car il produit une électricité bon marché, nous n’accepterions pas, Monsieur le Ministre, qu’Areva puisse être recapitalisé par des fonds publics sans qu’a minima le Parlement soit consulté.
Cette économie politique se devrait d’être respectueuse de l’environnement. Il me faut dire, Monsieur le Ministre, que le processus est amorcé. La création de la contribution climat énergie (CCE) puis la loi de transition énergétique, qui trouve une première traduction dans ce projet de loi de finances avec la mise en place du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), nous poussent dans la bonne direction.
Toutefois, le retard français est tel en matière de fiscalité écologique que nous ne pouvons nous satisfaire de ces premiers pas. Surtout que dans le même temps le budget de l’écologie recule une nouvelle fois : l’écologie a subi depuis 2012 une réduction cumulée des crédits de 1,65 milliard d’euros et une suppression de plus de 1 600 emplois.
De même, la taxe poids-lourds, qui représentait à son échelle un véritable changement de paradigme, est définitivement écartée – avec, par surcroît, un coût de dédit qui se chiffre en milliards.
Lancer résolument la France dans la voie d’une économie coopérative et écologique est un investissement : cela nécessite un soutien public important, aussi bien de la demande que de l’offre. Mais c’est un investissement rentable : non seulement les activités écologiques sont globalement plus intensives en emplois que les autres, dans la mesure où elles prélèvent moins de ressources, mais il y a des économies gigantesques à la clé.
Les importations d’énergies fossiles nous coûtent aujourd’hui autour de 70 milliards par an, les coûts sanitaires liés à la pollution de l’air sont évalués entre 20 et 30 milliards par an, la relocalisation des bases fiscales par l’harmonisation européenne rapporterait des dizaines sinon des centaines de milliards, etc.
En attendant, Monsieur le Ministre, nous pouvons également vous proposer quelques milliards d’économies de court terme comme la suppression de la composante aérienne de la dissuasion nucléaire militaire – qui ne changerait rien à la doctrine de la France – ou la suppression de la déductibilité des contributions bancaires au fonds de résolution européen…
Malheureusement, loin de ces perspectives d’avenir enthousiasmantes, il nous semble cette année assister au même cycle que les années précédentes : un budget reposant sur des hypothèses contestées par le Haut conseil des finances publiques, un manque à gagner fiscal à venir, et une course sans fin à la réduction des dépenses qui nous interdit de penser la transition douce de notre société vers l’issue de la crise de développement que nous connaissons aujourd’hui…
C’est pourquoi, Monsieur le Ministre, mes chers collègues, les écologistes ne voteront pas en faveur de ce projet de loi de finances.