Mon intervention de ce matin au nom du groupe écologiste du Sénat dans la discussion générale sur la proposition de loi visant à compléter le PIB par de nouveaux indicateurs de richesse afin de mieux orienter nos politiques publiques. Ce texte a été défendu par la députée écologiste Eva Sas et adopté en première lecture par l’Assemblée nationale.
« Comme l’ont rappelé plusieurs orateurs, parfois sur un mode gentiment sarcastique, cette proposition de loi consiste en une demande de rapport – ce qui peut, en effet, sembler bien anecdotique.
Mais en réalité, mes chers collègues, ce sont les moyens d’action parlementaires qui sont anecdotiques et qui ne nous permettent pas, en la matière, d’être plus normatifs.
Car la question posée ici est cruciale : c’est celle de l’inadéquation de notre gouvernance économique aux besoins de nos concitoyens et aux exigences de notre environnement.
Le seul objectif que nous assignons aujourd’hui à notre économie, c’est la croissance du PIB, supposée être la condition nécessaire et suffisante d’une félicité universelle.
Or, pris seul, le PIB est un assez mauvais indicateur de l’état de notre société. Il mesure une production de richesse, mais il ne dit rien de la répartition de celle-ci, ni de sa qualité, et encore moins de sa durabilité…
Une croissance forte peut donc très bien s’accompagner d’une récession sociale, sanitaire et environnementale.
De plus, l’écrasante omniprésence du PIB dans les discours économiques ne permet pas de penser un monde où la croissance semble, notamment dans nos sociétés les plus développées, atteindre des limites structurelles.
Car l’indicateur n’est pas qu’un outil d’observation : il oriente les analyses et il préfigure les décisions.
Pour prendre une métaphore : quand vous ne disposez que d’un marteau, vous vous persuadez rapidement que votre problème est un clou !
D’autres indicateurs sont donc nécessaires, presque tout le monde en convient désormais, non pas pour remplacer le PIB, mais pour le compléter.
De tels indicateurs existent, me direz-vous ! On en trouve même en très grand nombre – dans des documents statistiques, et jusque dans les annexes du PLF ! – mais ils sont largement
inexploités dans les analyses économiques et totalement inaudibles dans le débat public.
Pour ne prendre qu’un exemple, au Parlement, lorsqu’à l’automne nous débattons longuement du budget du pays, toutes les interventions évoquent l’évolution du PIB. Et c’est bien normal !
Mais combien évoquent l’évolution des inégalités territoriales, l’évolution des inégalités de revenus ou l’évolution de l’empreinte carbone ? Vous conviendrez qu’elles sont moins nombreuses…
Pourtant ces indicateurs ne sont pas moins importants.
Prenons l’empreinte carbone : en première approximation, son évolution décrit notre impact sur le climat.
Or, depuis le fameux rapport Stern, même les économistes les plus orthodoxes admettent désormais que le changement climatique se traduira inexorablement – et se traduit déjà – par un coût financier monumental, sonnant et trébuchant, d’ailleurs d’autant plus élevé qu’il est différé.
S’interroger avec un minimum d’acuité sur l’évolution de notre empreinte carbone lorsque nous établissons le budget public, mes chers collègues, semblerait donc assez naturel !
Quant à la question des inégalités, elle nous ramène à
l’actualité électorale. En effet, plusieurs travaux universitaires
récents, croisant géographie et sociologie politique, démontrent
une corrélation positive entre le vote Front national d’une
part ; et d’autre part la montée des inégalités et de la
précarité, particulièrement forte dans certains de nos territoires.
A l’heure où beaucoup déplorent dans la montée de l’extrêmedroite
une fatalité, je crois au contraire que nous tenons là une
piste d’action concrète et prometteuse : agir pour résorber les
inégalités sociales territoriales !
Mais comment s’y atteler, si nous nous focalisons
exclusivement sur l’évolution du PIB, alors que la croissance du
PIB est précisément indépendante de la croissance des
inégalités ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’ambition de cette
proposition de loi – portée avec ténacité par notre collègue
députée Eva Sas, qui nous écoute depuis les tribunes, et que je
salue – l’ambition de cette proposition de loi est donc de
contribuer à ce que quelques indicateurs complémentaires du
PIB émergent et gagnent en popularité, jusqu’à aider à penser,
en particulier au Parlement, des politiques publiques mieux
adaptées au contexte de crises multifactorielles dans lequel
se débat notre pays.
Ce faisant, il ne faut pas s’imaginer que cela placerait la France
à la tête d’une avant-garde hippie, guidée par le seul Bonheur
National Brut bhoutanais ! En fait, cette proposition de loi nous
permettrait tout juste de nous inscrire dans les pas de nos
voisins anglais, belge et allemand, dont le gouvernement ou le
parlement met déjà en oeuvre, à l’heure actuelle, le débat
public autour des indicateurs complémentaires.
Monsieur le Ministre, même si ce texte a connu, du temps de
vos prédécesseurs, quelques péripéties inattendues à
l’Assemblée nationale, je me réjouis que vous nous apportiez
aujourd’hui le soutien très clair du Gouvernement
et je ne doute pas que les auteurs pourront compter sur vous,
si le texte était adopté, pour accompagner son ambition
dans la durée.
Monsieur le rapporteur, Antoine Lefèvre, je tiens à vous remercier
très sincèrement d’avoir pris le soin d’examiner ce texte pour
ce qu’il est, sans esprit partisan, et je me réjouis que, ce
faisant, au-delà d’une rédaction qui pouvait en effet se
discuter, vous ayez jugé utile de souligner l’intérêt de cette
démarche.
Mes chers collègues, à l’instar de notre commission des
finances, je vous invite donc à soutenir cette proposition de
loi.
Je vous remercie. »