Intervention en hémicycle, le 20 mai 2015, dans la discussion générale sur la proposition de loi Évaluation des normes.
« Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est souvent reproché aux écologistes d’avoir un goût immodéré pour la norme. Force est de l’admettre, il s’agit fréquemment du seul outil dont on dispose pour protéger ce bien commun qu’est l’environnement. Parce que tout le monde peut utiliser ce bien commun pour son profit individuel, il est indispensable que des règles collectives, en l’occurrence souvent des normes, en régulent l’exploitation afin d’en préserver la qualité.
Ce rappel étant fait, je souligne que les normes dont nous débattons aujourd’hui ne s’inscrivent pas réellement dans ce cadre. Elles s’appliquent non pas directement à l’environnement mais aux collectivités territoriales en général. En outre, elles procèdent moins d’une régulation collective que d’une mécanique de gestion administrative et juridique de plus en plus complexe. Y compris dans ce contexte, la norme n’est pas, par principe, un mal à bannir. Elle peut permettre de rationaliser certaines procédures, d’uniformiser des pratiques trop discordantes, de mieux assurer la sécurité de nos concitoyens, voire de protéger les élus locaux dans l’exercice de certaines responsabilités juridiques délicates.
Cela étant, le constat est, aujourd’hui, assez largement partagé : l’usage des normes applicables aux collectivités territoriales est, hélas ! devenu déraisonnable. Certaines normes sont superfétatoires, d’autres sont disproportionnées, et leur volume incontrôlé entrave le respect du principe de subsidiarité, selon lequel toute décision publique doit être prise à l’échelon le plus bas possible. Je ne vous cache pas que les écologistes sont également très attachés à ce principe.
Les précédents orateurs l’ont rappelé, les travaux du Sénat ont, depuis longtemps, fort utilement documenté ce problème. Ils ont également contribué à le résoudre, par la création, en 2008, de la Commission consultative d’évaluation des normes. Toujours sur l’initiative du Sénat, la CCEN a été transformée, via une proposition de loi de 2013, en une instance à l’ambition et aux pouvoirs élargis : le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.
En portant le regard extérieur qui le caractérise sur l’impact et l’intérêt des normes applicables aux collectivités, le CNEN permet d’amorcer un tri entre le bon grain et l’ivraie, non seulement dans les projets de normes mais aussi dans le foisonnement de normes déjà instaurées. Mais, car il y a un « mais », le décret auquel renvoyait la proposition de loi de 2013 a fixé des modalités de saisine restrictives.
Premièrement, les collectivités requérantes ont pour obligation d’asseoir leur saisine sur des « motifs précisément étayés », qu’elles n’ont pas forcément les moyens et l’expertise d’établir.
Deuxièmement, et surtout, elles sont tenues de réunir pour toute saisine au moins cent maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale, ou dix présidents de conseil général, ou deux présidents de conseil régional – en tant que telles, les équivalences établies entre les différents niveaux de représentation ne manquent pas d’intérêt…
Or ces limites à la saisine du CNEN ont été introduites dans le décret d’application sans aucune référence à l’esprit qui avait présidé aux travaux du législateur. On se heurte, de ce fait, à une difficulté de principe à laquelle nous nous trouvons très souvent confrontés. Les limites respectives des domaines de la loi et du règlement, définis par les articles 34 et 37 de la Constitution, sont de fait assez floues. Ainsi, l’exécutif a beau jeu, au cours des débats parlementaires, d’exciper de l’exclusivité de son pouvoir réglementaire pour conserver une marge de manœuvre, dont cette discussion permet de constater qu’elle peut être utilisée à mauvais escient. Il me semble donc important que le Parlement ose affirmer son pouvoir de législateur, même lorsque sa volonté trouve sa concrétisation dans des mesures situées au confluent des domaines de la loi et du règlement.
J’en reviens au fond des dispositions qui nous sont soumises.
La présente proposition de loi vise à revenir sur ces limitations, fixées par décret, à la saisine du CNEN. Toutefois, comme l’a fait remarquer le président de cette instance, Alain Lambert, il convient de veiller à ce que l’assouplissement des conditions de saisine du CNEN ne conduise pas à son engorgement rapide. Plusieurs mesures allant en ce sens ont donc été introduites en commission, cette fois par le législateur.
Tout d’abord, le champ de saisine du Conseil national d’évaluation des normes a été limité aux textes réglementaires ayant un impact technique et financier sur les collectivités locales.
Ensuite, une motivation « simple », et non plus « précisément étayée », a été préservée pour toute saisine.
En outre, une analyse peut désormais être commandée par le CNEN à l’administration qui est l’origine de la norme, de telle sorte que sa création, et non plus sa suppression, soit justifiée.
Enfin, la proposition de loi limite le recours aux saisines en urgence du Conseil national d’évaluation des normes et, même pour ces procédures d’urgence, elle impose des délais incompressibles plus raisonnables que ceux actuellement en vigueur. Osons le dire : le Parlement lui-même est malheureusement habitué à ces délais déraisonnables, qui lui sont bien souvent imposés pour délibérer sur des projets de loi, alors même qu’il y a très peu de véritables urgences législatives. J’ai encore à l’esprit l’exemple du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont la création engageait la bagatelle d’une vingtaine de milliards d’euros et qui fut introduit au Parlement par un amendement du Gouvernement, déposé séance tenante sur un projet de loi de finances rectificative…
Les membres du groupe écologiste voteront naturellement la proposition de loi émanant des groupes UDI-UC et UMP, pour la simple et bonne raison qu’elle contient des mesures positives. Reste que j’ai entendu les propos de M. le secrétaire d’État, et je note son intention de nous aider à aller plus vite, en rectifiant le décret. L’unanimité qui semble se dessiner dans cet hémicycle en faveur de cette proposition de loi permettra au Gouvernement, lors de la réécriture de ce décret, de ne plus oublier ce qu’est l’esprit d’un texte voté par le législateur. » (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)
> Extrait du compte-rendu intégral de la séance du 20 mai 2015