André Gattolin intervenait en hémicycle ce 10 juin 2015, dans un débat sur les négociations du traité transatlantique.
« Madame la présidente, Madame la Ministre, Mes chers collègues,
Ce débat tombe vraiment à point nommé, car il se déroule à un moment important du processus de négociations du Traité transatlantique entamé en juillet 2013.
Un moment important et peut-être même crucial car le 9ème round des négociations qui s’est tenu fin avril a été marqué par un coup d’arrêt des compromis qui avaient été trouvés précédemment et on assiste, en parallèle, à une montée des oppositions à ce traité au sein des états membres de l’Union européenne.
Le report in extremis hier du vote au Parlement européen, qui devait avoir lieu aujourd’hui, à propos des lignes rouges que celui-ci entendait fixer dans les négociations témoigne, s’il le fallait, des doutes profonds qui traversent aujourd’hui l’Union quand à l’agenda, la méthode, les prérogatives et les objectifs finaux que s’était initialement fixées la Commission européenne.
Pour toutes ces raisons, je crois que c’est, ici et maintenant, le lieu et le moment de revenir aux questions fondamentales qui entourent ce projet de traité, et qui jusqu’à présent n’ont pas toujours été explicitement posées.
La première de ces questions est : pourquoi ce traité entre l’Union européenne et les Etats-Unis ?
La réponse autorisée – celle portée par la Commission – est simple, à défaut d’être tout à fait convaincante. Éroder les barrières non-douanières permettrait d’enclencher une nouvelle dynamique de croissance et d’emploi, dont l’Europe retirerait 0,5 point de PIB et un million d’emplois… à l’horizon 2027.
Sincèrement, je pense que personne ne croit à ces chiffres invérifiables, probablement pas ceux qui les ont commis, et quand bien même, ils n’ont pas de quoi nous transporter d’enthousiasme.
La réalité est ailleurs.
La réalité c’est que la Chine est désormais la première puissance économique mondiale.
La réalité c’est que le libre-échange profite toujours au plus fort et que c’est donc désormais elle qui pourrait tirer les marrons du feu.
Elle ne s’y trompe d’ailleurs pas : classifiée comme une « économie non-marchande » lors de son entrée à l’OMC en 2001, la Chine revendique désormais le statut d’ « économie de marché » pour 2016.
Lors de sa tournée européenne l’année dernière, Xi Jinping n’a pas fait mystère de sa volonté d’aboutir ensuite à un traité de libre-échange avec l’Union européenne.
Compte tenu de notre environnement libéral, la menace pour les économies occidentales est devenue concrète.
Pour autant, et malgré toutes les raisons qu’il y a de douter de la réalité de l’ouverture de l’économie chinoise, il sera bientôt difficile de refuser à la première puissance mondiale de telles requêtes.
Il est donc tentant, pour les Etats-Unis, de prendre les devants : ils se bordent à l’ouest avec l’élargissement et renforcement du partenariat trans-pacifique et ils se couvrent à l’est avec le traité trans-atlantique.
L’enjeu est de taille car les Etats-Unis et l’Europe représentent environ 30% du commerce mondial.
Les unir par un traité de libre-échange permettrait de constituer un pôle de stabilité fort et démocratique, et éviter que la Chine ne devienne trop rapidement le seul arbitre du commerce international.
Ma conviction est donc qu’en fait, les motivations réelles de ce traité tiennent moins aux promesses incantatoires de croissance qu’à ces considérations géostratégiques.
C’est cette course de vitesse avec la Chine permet qui permet d’expliquer, à la demande des Etats-Unis, le passage en force de la Commission à la demande des Etats-Unis et au mépris du Parlement européen, des représentations nationales et de la société civile, découlent la plupart des maux dont souffre aujourd’hui la négociation.
Ce passage en force est rendu flagrant par l’absence de transparence.
Certes, des progrès ont été réalisés depuis les premiers débats mais ces avancées restent hélas encore incomplètes et très insatisfaisantes.
Car si le mandat de négociation et certaines prises de positions de l’Union ont été rendus publics, aujourd’hui, seuls 13 députés européens, soumis au secret, ont un accès complet aux textes conjoints consolidés qui formeront l’accord final du TTIP.
Au nom de son « Agenda pour la transparence », notre Secrétaire d’Etat au commerce international, Matthias FEKL, avait pourtant fait de ce point une de ses priorités, avec à la clef des propositions concrètes.
Pouvez-vous nous dire, Madame la Ministre, si nous disposons d’un retour officiel de la Commission quant à ces propositions ?
Nous nous trouvons en effet dans une situation absurde, où les acteurs industriels et économiques participent en permanence à la négociation du traité, quand les acteurs politiques des 28 Etats membres, mais aussi la société civile, en sont largement tenus à l’écart.
Ainsi, par le mandat accordé à la Commission européenne, nous avons réussi le tour de force de privatiser un débat public au nom d’une nouvelle forme de raison d’Etat.
Malheureusement, comme souvent, l’opacité et la privatisation des procédures ne servent pas le bien commun.
En l’occurrence, cela a permis d’une part à la DG commerce d’imposer sa lecture ultra-libérale du contenu du traité, au mépris de toute souveraineté démocratique européenne.
A ce propos, Madame la ministre, pouvez-vous également nous dire si nous avons obtenu un retour de la part de la Commission européenne sur les propositions de Matthias FEKL quant au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et entreprises ?
L’opacité a aussi permis d’autre part à la Commission européenne d’imposer ses vues aux représentations nationales, en empiétant sur leurs compétences.
Ce contournement des acteurs publics est d’ailleurs en train de trouver sa limite et d’aboutir à une rupture.
La société civile se mobilise chaque jour davantage contre ce traité et le Parlement européen vient d’exprimer un mouvement d’humeur inattendu et lourd de sens.
Quant aux parlements nationaux, ils ne manqueront certainement pas d’en faire de même lorsqu’ils finiront, bien tardivement, par être consultés.
Car même si nous restons suspendus à la décision de la Cour de justice de l’Union quant à la qualification d’ « accord mixte », il est désormais plus que probable que pour être adopté, le TTIP devra être approuvé par les représentations nationales.
Si l’idée d’un traité entre les Etats-Unis et l’Europe, face à une économie chinoise qui relève encore du capitalisme totalitaire, ne peut pas être balayée d’emblée – même par un écologiste ! -, il n’en reste pas moins que la réalisation d’un tel accord, dans un espace qui se revendique démocratique, ne peut faire l’économie ni de la transparence, ni de l’inclusion des acteurs politiques et de la société civile au coeur de la négociation.
Aujourd’hui, nous en sommes toujours loin et je crois qu’à la suite des députés européens, il nous revient plus que jamais de nous faire entendre.
Je vous remercie. »