André Gattolin est intervenu ce 9 juillet en séance publique, dans la discussion générale sur l’orientation des finances publiques et la loi de règlement du budget 2014 :
Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,
Permettez-moi tout d’abord de vous livrer une confidence un peu personnelle.
A l’automne, quand je partage avec vous un mois de débat dense et passionné, je me laisse un peu gagner par l’euphorie de faire le budget de la France.
Mais à l’été suivant, quand je partage, toujours avec vous, cette petite après-midi à discuter de son exécution, je me demande plutôt si nous n’avons pas perdu un mois à l’automne. Ce qui déclenche chez moi ce dépit, mes chers collègues, c’est notamment la lecture, page 11 du projet de loi, de la phrase – je cite : « Les dépenses de l’État sont significativement inférieures à l’autorisation parlementaire, témoignant ainsi d’une gestion 2014 particulièrement sérieuse. »
C’est dit et écrit avec une telle candeur administrative !
Pour mesurer l’ampleur de cette performance, rappelons d’abord que l’article 40 interdit aux parlementaires toute dépense. L’autorisation parlementaire est donc surtout une « auto-autorisation » gouvernementale.
A cela s’ajoute la réserve de précaution, chaque année plus importante et complètement détournée de son objet. Se succèdent ensuite les annulations de crédits gelés et surgelés, les redéploiements sur lesquels nous ne votons pas toujours, et les manoeuvres de débudgétisation autour des PIA.
Alors c’est vrai, en 2014, pour les investissements d’avenir dédiés à l’écologie, par exemple, on a dépensé 366 millions de moins que l’autorisation parlementaire. Doit-on vraiment y voir le signe d’une gestion sérieuse ?
Sincèrement, je ne crois pas. L’exécution de notre budget 2014 fournit une belle illustration de la difficulté qu’il y a à plaquer cette logique comptable sur une économie.
On postule comme objectif la réduction du déficit. On procède à des coupes claires dans les dépenses publiques. On constate ensuite un mystérieux recul spontané des recettes fiscales de 10 milliards par rapport à la LFI. Et, à la fin, le déficit de l’Etat augmente d’à peu près autant par rapport à 2013.
Et tout cela, alors même qu’un contexte exogène favorable nous maintient la tête hors de l’eau ! La BCE mène une politique des plus accommodantes, l’euro s’est déprécié par rapport au dollar, et le prix du baril s’est écroulé au détour d’une concurrence entre producteurs. De plus, notre dette bénéficie de taux très bas, dont il serait présomptueux de penser qu’ils ne reflètent que la qualité intrinsèque de nos obligations. Ainsi, les écologistes partagent le constat du caractère préoccupant de la situation de nos finances publiques.
Pour autant, nous contestons les moyens aujourd’hui mis en œuvre pour y répondre. Et qu’il n’y ait pas d’ambiguïté ! Les écologistes prônent une évolution substantielle de nos modes de vie pour les rendre durables. Ce n’est donc pas le principe d’un effort que nous contestons : c’est la nature de ceux qui nous sont proposés. A quelques mois de la Conférence de Paris sur le climat, il serait temps de prendre conscience que le changement climatique est, entre autres, une bombe à retardement financière. D’innombrables rapports d’économistes, dont le plus célèbre reste celui de Nicholas Stern, détaillent le coût faramineux de l’inaction. Alors quand on voit le traitement réservé à l’écologie, budget après budget, il y a vraiment de quoi s’inquiéter. Le même raisonnement s’applique à presque tous les secteurs de l’économie. Une étude récente a chiffré le coût des pollutions chimiques dans l’Union européenne à 157 milliards d’euros annuels…
On pourrait également citer le coût de la pollution de l’air, qui fait, à l’initiative du groupe écologiste, l’objet d’une commission d’enquête du Sénat. Ou encore le coût de la production agroalimentaire, dont la responsabilité est avérée dans les épidémies d’obésité et de diabète, très dispendieuses pour nos finances publiques. Et aussi, évidemment, le coût du nucléaire. Il se trouve que le déficit constaté en 2014 du compte des Participations financières de l’Etat découle de l’achat de titres AREVA au CEA, pour financer le démantèlement de ses installations nucléaires.
Une énième illustration de l’absence de prise en compte des coûts réels du nucléaire… Pour toutes ces raisons, les écologistes considèrent qu’on ne peut pas poser la réduction des crédits comme l’objectif irréfragable de la politique budgétaire. Cela ne permet pas d’envisager les réformes de structures dont nous avons besoin pour redresser durablement nos finances. C’est d’ailleurs en ce sens que nous avions défendu une proposition de loi de notre collègue députée Eva Sas, visant à introduire des indicateurs alternatifs, plus représentatifs de la santé de notre pays qu’un agrégat comptable.
Grâce au travail du rapporteur Antoine Lefèvre, que je salue, le Sénat a définitivement adopté cette loi en première lecture, dans le but de permettre son application rapide. A cet égard, pouvez-vous nous préciser, Monsieur le Ministre, si elle sera bien appliquée dès le PLF 2016 ?
A cette question de l’objectif et des indicateurs, vient s’ajouter la politique du Gouvernement en faveur des entreprises. Car les économies demandées aux Français ne servent pas qu’à satisfaire l’orthodoxie budgétaire, elles financent également baisses de cotisations et dépenses fiscales pour les entreprises. Sont-elles pour autant efficaces ?
Le CIR, qui coûte environ 6 milliards, a déjà été étrillé par plusieurs rapports mettant en évidence ses formidables effets d’aubaine.
Le CICE, quant à lui, coûte déjà 10 milliards environ et tout porte à croire qu’avec un impact très limité sur l’emploi, il a été lui aussi massivement détourné de ses objectifs. Toutefois, puisque sa réorientation a fait l’objet de subtiles tractations lors du congrès de Poitiers, il nous est encore permis d’espérer. C’est donc avec une grande impatience, probablement comme vous Monsieur le Ministre, que nous attendons le rapport que le Parti socialiste doit publier à ce propos le 27 juillet.
En ce qui concerne l’obsession des économies tous azimuts, il semble en revanche que pour le PLF 2016 le ton est donné. L’écologie est à nouveau sacrifiée. Et à ceux qui nous expliquent qu’il faut compter avec les dépenses fiscales, j’aurais tendance à répondre que les dizaines milliards de dépenses fiscales au profit des énergies fossiles et des polluants ne plaident pas en ce sens.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les écologistes sont très réservés sur l’orientation de nos finances publiques, mais notre vote porte aujourd’hui sur la loi de règlement. Malgré le dépit dont je vous ai fait part, mes chers collègues, et malgré mes critiques plus sérieuses sur l’usage des PIA, les écologistes considèrent qu’il n’y a pas lieu de rejeter les comptes 2014. Nous voterons donc pour le projet de loi de règlement, Monsieur le Ministre, tout en vous indiquant que pour le PLF 2016, nous serons un petit peu plus difficile à convaincre…
Je vous remercie.