Texte de l’intervention en séance sur la proposition de loi relative à la dématérialisation du JO au 1° janvier 2016.
« En cet après-midi du 12 octobre, le Sénat, grâce à l’initiative de notre collègue Vincent Eblé, va vraisemblablement être à l’origine d’une révolution administrative avec la suppression de la version papier du Journal officiel. J’emploie le terme de « révolution » en pensant à Albert Camus, qui écrivait, en août 1944, qu’« un journal, c’est la conscience d’une nation ». Sans doute aurait-il qualifié le Journal officiel de mémoire vive de la République…
En effet, la publication au Journal officiel conditionne l’application de la loi. Par conséquent, transformer ce dernier comme nous nous apprêtons à le faire aujourd’hui, c’est modifier l’un des éléments constitutifs du fonctionnement de notre République, ce qui ne saurait se faire à la légère. Une telle transformation doit s’opérer avec une certaine solennité, celle qui prévaut dans cet hémicycle ; cela m’amène à remercier notre collègue Eblé d’avoir déposé cette proposition de loi.
« Révolution » est un terme fort, mais, pour des amoureux du papier comme nous le sommes pour la majorité d’entre nous, une bibliothèque sans livres ne saurait être pleinement une bibliothèque. La consultation des débats de nos prédécesseurs, ou même celle des nôtres, via une version électronique du Journal officiel n’aura pas la même saveur que leur lecture sur un support physique : il manquera la texture du papier, l’odeur de l’encre, un « quelque chose » indéfinissable !
Oui, le papier doit continuer à vivre, mais il est également vrai qu’il faut accepter le réel, même quand il se présente sous une forme dématérialisée, comme c’est de plus en plus souvent le cas aujourd’hui.
L’appétence pour la version papier du Journal officiel a beaucoup diminué au fil des années. Le nombre d’abonnés a chuté alors que, depuis 2004, la consultation de la version électronique connaît une progression constante.
Il est d’ailleurs assez paradoxal de constater que moins la version papier du Journal officiel est lue, plus sa pagination augmente, du fait de l’inflation normative : je ne développerai pas ce sujet aujourd’hui, mais il mériterait un véritable débat de fond au sein de notre assemblée. Ainsi, la volumétrie annuelle du Journal officiel était d’environ 15 000 pages dans les années quatre-vingt, de plus de 20 000 pages au tournant des années 2000, pour atteindre 23 829 pages en 2014 !
Comment le citoyen, qui, selon une célèbre fiction normative, « n’est pas censé ignorer la loi », peut-il s’y retrouver dans cette sédimentation réglementaire et législative chaque jour un peu plus baroque ? Cela paraît bien difficile…
Nous percevons là un autre intérêt de la version électronique du Journal officiel, outre ses avantages environnementaux liés à la diminution de la consommation de papier et de consommables d’impression : la numérisation du support, associée au moteur de recherche intégré de son site, offre un instrument utile à tous les citoyens, dès lors qu’ils ont accès à un ordinateur connecté à internet.
Dans cette perspective, le site du Journal officiel doit être performant, ergonomique et accessible à tout un chacun. Il faut le dire : des progrès sont encore possibles en matière de recherche par mots clefs.
À cet égard, une amélioration me semble nécessaire : l’ajout du site du Journal officiel de l’Union européenne dans le bloc « accès aux sites publics », sur la page d’ouverture du site du Journal officiel de la République française. Il n’y figure pas aujourd’hui, ce dernier se limitant à la loi franco-française, alors même qu’une grande partie de notre législation découle des directives et des normes européennes. Remédier à cette situation serait bien le moins, l’intervention du législateur n’étant pas nécessaire.
La sécurité du site doit également être renforcée et surveillée quotidiennement : dans ce domaine, l’obsolescence n’est pas programmée, elle est inhérente à l’univers et à l’écosystème instable du numérique. Les hackers du monde entier ne cessent de développer des procédés permettant d’exploiter en temps réel la moindre faille et la moindre faiblesse. Le piratage des sites internet du Premier ministre belge et du Parlement bruxellois, avant-hier samedi 10 octobre, en a encore apporté la preuve flagrante : la technologie est toujours faillible face à des personnes déterminées et expérimentées.
La vigilance est d’autant plus nécessaire qu’il est mis fin à l’exception de la publication des actes individuels relatifs à la nationalité française et au changement de nom, qui était jusqu’à présent assurée uniquement via la version papier du Journal officiel : à compter du 1er janvier 2016, elle le sera sous le seul format électronique, même si c’est via une annexe du Journal officiel.
Par-delà les assurances apportées, en matière d’emploi, aux salariés travaillant à l’impression de la version papier du Journal officiel de la République française, une véritable réflexion managériale doit être menée, afin de créer un centre de compétences interne permettant de répondre à tous les aléas techniques et à toutes les demandes des citoyens. Car c’est bien aux citoyens que s’adresse en premier lieu le Journal officiel de la République française ! C’est pourquoi je salue l’adoption, par la commission des lois, des amendements, déposés par mes collègues Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat, visant à permettre à toute personne physique de demander à l’administration de lui transmettre une version papier d’un extrait précis du Journal officiel de la République française. Dès lors que l’on dispose de la version PDF du texte, cela est relativement facile et n’exige pas de moyens considérables.
La mise en œuvre de cette préconisation n’est malheureusement pas de nature à résoudre le problème de la fracture numérique qui existe en France métropolitaine et, plus encore, dans les départements et les collectivités d’outre-mer, mais elle contribuera, je l’espère, à faire prendre conscience que, désormais, tout doit être fait pour la faire disparaître.
Enfin, je puis témoigner que la dématérialisation du Journal officiel des associations et fondations d’entreprise est une réussite. Je pense que la dématérialisation de son « grand frère », le Journal officiel de la République française, en sera également une.
La dématérialisation totale du Journal officiel de la République française sera véritablement révolutionnaire si elle est le symbole du passage à une « e-administration » : cela prouvera que le service public à la française est non pas une notion dépassée, mais, au contraire, un concept qui mérite d’être exporté dans le monde.
Animé de cet espoir, le groupe écologiste votera en faveur de l’adoption de ce texte. »