Ce 21 novembre, je défendais en séance publique un amendement visant à préciser la loi de 2014, harmonisait le taux de TVA de la presse écrite à la presse en ligne, est d’entrée en vigueur au 12 juin 2009, date à laquelle a été introduite dans l’article 298 septies du code général des impôts la définition des services de presse en ligne. Ci-dessous le compte-rendu de nos débats.
Rendez-vous lundi 23 novembre à partir de 10H pour la reprise des débats en loi de finances…
* * *
L’amendement n° I-334 est présenté par M. Gattolin, Mmes Blandin, Bouchoux et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au II de l’article unique de la loi n° 2014-237 du 27 février 2014 harmonisant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne, la date : « 1er février 2014 » est remplacée par la date : « 12 juin 2009 ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. André Gattolin, pour présenter l’amendement n° I-334.
M. André Gattolin:
Par cet amendement, je souhaite aborder la question du taux de TVA appliqué à la presse en ligne.
La presse n’est pas seulement un secteur économique, c’est surtout et en premier lieu – chacun en convient – une composante essentielle de notre démocratie. Or, sur le plan tant économique que du débat public ou de la vie démocratique, rien ne différencie la presse papier de la presse en ligne : toutes deux ont malheureusement un équilibre économique précaire et toutes deux participent à la qualité de notre démocratie. Pourtant, avant que la loi ne l’y contraigne, l’administration fiscale avait toujours refusé de leur appliquer le même taux de TVA. La presse papier bénéficiait du taux historique super-réduit de 2,1 %, tandis que la presse en ligne se voyait appliquer le taux plein de 19,6 %.
Un certain nombre de sites de presse en ligne, précurseurs, convaincus d’avoir l’esprit du droit avec eux, se sont appliqués de leur propre initiative le taux super-réduit. Il aura fallu une longue mobilisation politique – diverses tentatives ont été nécessaires pour faire adopter cet amendement, plusieurs fois rejeté et modifié, au Sénat – pour qu’enfin soit inscrite dans la loi l’application à la presse en ligne du taux super-réduit. Nous avons d’ailleurs passé une journée et demie à débattre de cette mesure au début de 2014, alors qu’elle aurait pu être adoptée dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2013.
Le problème est donc réglé pour l’avenir. Toutefois, l’administration fiscale s’acharne toujours à réclamer les arriérés couvrant la période antérieure à 2014. À titre d’exemple, Mediapart et Arrêt sur Images sont soumis à des redressements fiscaux, respectivement de 4,1 millions d’euros et de 540 000 euros, comme l’est également le groupe Indigo Publications pour un montant d’environ 450 000 euros, pour la période s’étalant de leur création en 2008 au vote de la loi du 27 février 2014. Ces sommes considérables mettent en danger la viabilité de ces médias, qui ont de vraies rédactions et des journalistes encartés.
Il nous semble vraiment nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, de prendre pleinement en compte la reconnaissance de l’éligibilité de la presse en ligne au taux de TVA super-réduit et de trouver un arrangement pour apurer le contentieux. Il est donc proposé, par cet amendement, d’effacer le contentieux couvrant la période postérieure au 12 juin 2009. C’est en effet à cette date qu’a été introduite dans l’article 298 septies du code général des impôts la définition précise des services de presse en ligne. Je pense que les sites concernés s’engageraient alors à régulariser les impayés réclamés pour la période antérieure au 12 juin 2009.
M. le président:
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances:
Cet amendement vise à faire bénéficier rétroactivement la presse en ligne du taux particulier de TVA à 2,1 % à compter du 12 juin 2009 et non du 1er février 2014, comme cela est le cas actuellement.
Compte tenu de la condamnation de la France en matière de TVA sur le livre numérique par la Cour de justice de l’Union européenne,…
M. André Gattolin:
Aucun rapport !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances:
… il ne semble pas opportun de modifier, de manière rétroactive, une situation déjà fragile vis-à-vis du droit de l’Union européenne. C’est pourquoi la commission s’est montrée défavorable à cet amendement.
M. le président:
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d’État:
Les acteurs que vous avez cités, monsieur le sénateur, ont pris l’initiative de s’appliquer une disposition qui n’était pas en vigueur à l’époque. Ils ont décidé de s’auto-appliquer un taux de 2,1 % en étant parfaitement conscients du fait qu’ils étaient dans l’irrégularité.
Au bout de quelques années, en 2014, le Parlement a fini par adopter ce taux réduit de 2,1 %, sachant qu’il mettait notre pays en infraction au regard de la réglementation européenne. La Commission nous a fait savoir, depuis lors, que cette disposition était en effet contraire au droit communautaire.
Certains de vos propos m’ont surpris. Vous prétendez que les acteurs ont voulu appliquer « l’esprit du droit ». Je ne sais pas trop ce que signifie cette expression. La mission de l’administration est d’appliquer le droit, et les tribunaux l’éclairent parfois lorsqu’un doute surgit sur l’application de certaines de ses dispositions.
Ce sujet important soulève d’autres questions. En effet, si votre amendement était adopté, nous ferions face à une vraie difficulté : ceux qui ont appliqué le taux légal – c’est le cas de beaucoup de sociétés de presse en ligne, notamment le site internet d’un grand journal du soir – seraient concernés par le dispositif que vous proposez. Pour respecter le principe d’égalité, il faudrait alors leur rembourser la TVA. Or cette taxe a normalement vocation à être payée par le consommateur final. On redonnerait ainsi des marges supplémentaires à ceux qui ont respecté le droit et l’on effacerait l’infraction de ceux qui ne l’ont pas respecté. Franchement, ce serait anormal.
Mme Catherine Procaccia:
Tout à fait d’accord !
M. Christian Eckert, secrétaire d’État:
De surcroît, je le répète, une procédure est en cours contre la France au niveau de l’Union européenne sur cette question.
Cela étant, si les acteurs concernés rencontrent des difficultés – je sais que c’est le cas de quelques-uns –, ils peuvent demander, au moyen d’une réclamation contentieuse ou d’une saisine du tribunal administratif, un sursis à paiement. À ma connaissance, certains d’entre eux ne l’ont pas fait…
J’ajoute que l’un des acteurs a engagé une procédure contentieuse et qu’un jugement du tribunal administratif de Paris, rendu le 16 octobre 2015 au nom du peuple français, l’a débouté.
M. François Bonhomme:
Mediapart ?
M. Christian Eckert, secrétaire d’État:
Non, et j’évite de toute façon de citer des noms propres.
Au vu de ces arguments, monsieur Gattolin, et compte tenu de ce que vous avez dit, y compris sur le prétendu acharnement qui serait celui des pouvoirs politique et administratif, je ne peux pas vous suivre dans votre raisonnement.
L’application du droit par l’administration peut être contestée devant toutes les juridictions ad hoc, la saisine de la justice pouvant aussi entraîner, le cas échéant, un sursis à payer. Toutefois, après le jugement du 16 octobre dernier, l’administration a logiquement mis en recouvrement les sommes concernées pour des faits similaires.
Bien qu’elle soit présentement plus douce, la rétroactivité nous apparaît très difficile à appliquer, compte tenu de ce que j’ai dit précédemment sur les médias qui avaient respecté le taux applicable : on les rembourserait, mais on ne rembourserait pas leurs clients et leurs fournisseurs, qui sont parfois des professionnels qui pourraient eux-mêmes prétendre à un remboursement de la TVA… La situation serait ingérable.
Pour toutes ces raisons, nous sommes défavorables à cet amendement.
M. le président:
La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin:
Quand on regarde le niveau des aides à la presse, dont on réclame la remise à plat, on s’aperçoit que, parmi les grands quotidiens, le premier touche 15 millions d’euros chaque année, le deuxième 13 millions d’euros, etc. Heureusement, à notre demande, la liste des bénéficiaires de ces aides est désormais publique depuis trois ans.
La presse en ligne, quant à elle, ne bénéficie d’aucune aide. Pourtant, ces médias – je ne parle pas des journaux bidon qui se contentent de reprendre les dépêches, mais des sites qui disposent de vraies rédactions et développent un nouveau modèle – payent des charges sociales et sont soumis à des contrôles. Je rappelle qu’il y a deux ans, lorsque L’Humanité était en très grave difficulté, nous avons voté, à l’occasion d’un projet de loi de finances rectificative, un montant de 5 millions d’euros pour aider ce journal en urgence.
Mme Catherine Procaccia:
Pas tout le monde !
M. André Gattolin:
À un moment, il faut savoir : est-ce qu’on parle de débat public, de démocratie ou est-ce qu’on se contente d’avancer des arguments juridiques ?
Si l’on veut interrompre une procédure fiscale, négocier, trouver des solutions, c’est possible. C’est ce geste politique que je demande.
Il y a des situations de rente dans la presse française. Quand on voit les aides que reçoit la presse télé, on est en droit de s’interroger au regard de son apport au débat public.
Si le droit n’est pas juste, nous devons le changer. Et si nous ne pouvons pas le changer, nous devons engager une médiation, faire appel à notre intelligence, comme nous l’avons fait pour L’Humanité et d’autres titres en difficulté !
La question n’est pas simplement de savoir si ces titres sont bien-pensants, nouveaux ou anciens. Nous devons prendre conscience que l’écosystème de l’information se réduit de jour en jour dans notre pays. De plus en plus de sites d’information reprennent les mêmes nouvelles, et la presse se fait piller tous les jours. Dès qu’une information exclusive est diffusée, elle est reprise par tout le monde, aucun droit d’auteur ne permettant de la protéger, contrairement à ce qui se passe dans le domaine culturel.
Si, aujourd’hui, nous n’aidons pas cette presse, demain, nous n’aurons plus d’informations, nous lirons tous les mêmes dépêches AFP, et le pluralisme y perdra beaucoup.
M. le président:
Mes chers collègues, M. le secrétaire d’État devant nous quitter, je vous propose de poursuivre lundi les explications de vote sur cet amendement.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances:
Il nous reste 239 amendements à examiner. Pour sécuriser le vote de la première partie du projet de loi de finances mardi soir au plus tard, il serait prudent, monsieur le président, de prévoir la possibilité de siéger la nuit, lundi et mardi. Il s’agit d’une mesure de prudence, en espérant que nous n’aurons pas besoin d’y recourir.
M. le président:
La conférence des présidents avait déjà prévu cette possibilité. L’ordre du jour sera rectifié en ce sens.
Mes chers collègues, nous avons examiné 84 amendements au cours de la journée ; il en reste 239 à examiner sur la première partie du projet de loi de finances.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.