J’intervenais ce 26 novembre en séance publique, au Sénat, pour dénoncer l’obsolescence des orientations industrielles françaises en matière d’énergie, dans le cadre de la mission engagements financiers du projet de loi de finances pour 2016 :
« Monsieur le président, Monsieur le ministre, Mes chers collègues,
Il me semble important d’évoquer ici la politique actionnariale de l’Etat, tant certains choix qui y président ont de quoi surprendre.
Comme l’a rappelé notre rapporteur spécial, Maurice Vincent, l’Etat est très exposé à l’évolution du secteur énergétique, qui constitue plus de 60% de son patrimoine coté.
EDF, dont le cours a baissé d’environ un tiers en 6 mois, en représente à elle seule 43%. C’est à cette aune qu’il convient d’apprécier l’effondrement d’Areva.
Ses causes sont multiples. D’abord, suite à Fukushima, les nouvelles normes de sécurité induisent de considérables surcoûts, tandis que la demande baisse.
Ensuite, l’opacité de la gouvernance de l’entreprise, l’omnipotence de son directoire, les carences et contradictions des représentants de l’Etat ont permis des décisions désastreuses, comme le fiasco de l’EPR de Finlande, ou les investissements hasardeux, sinon frauduleux, dans des mines sans minerai.
Alors EDF va investir plus d’un milliard d’euros dans l’activité réacteur d’Areva NP, sans trouver, par ailleurs, les 25 millions qui permettraient de préserver Nexcis, sa prometteuse filiale dédiée au photovoltaïque. Mitsubishi devrait également entrer au capital d’Areva NP, pour continuer à développer le réacteur franco-japonais Atmea, concurrent direct d’un EPR qui ne s’exporte déjà pas.
Ensuite, ce qui reste d’Areva sera vraisemblablement en partie repris par la China National Nuclear Corporation. Ce groupe constitue le cœur du complexe militaro-industriel chinois, à qui nous allons donc donner les dernières clés d’une d’une filière hautement stratégique.
Enfin, pour compléter le tour de table, le Gouvernement va recapitaliser l’entreprise à hauteur d’environ 3 milliards, en soldant notre patrimoine et nos infrastructures, comme l’aéroport de Toulouse, crucial pour Airbus.
Qui peut sérieusement prétendre qu’Areva constitue un investissement d’avenir ? Que les choix d’alliance répondent à une logique industrielle et stratégique ? Même face à l’échec avéré, à la faillite patente, l’impéritie gestionnaire et stratégique de la nucléocratie le dispute à l’aveuglement politique face aux nouvelles réalités énergétiques.
Au-delà des problèmes de gouvernance, il faut désormais avoir le courage de prendre acte de l’obsolescence de nos orientations technologiques en matière de nucléaire.
Si le risque d’accident, la pollution des déchets et la dépendance géostratégique ne convainquent pas, l’argument économique devrait pouvoir suffire. Certaines énergies renouvelables se vendent désormais moins cher que l’EPR. Encore faudrait-il pour cela ne pas les abandonner, au profit d’une filière dépassée. Areva pourrait alors s’approprier le marché colossal du démantèlement, assurément plus prometteur en termes d’emplois que la politique actuelle, qui planifie 3000 suppressions de postes d’ici 2017.
Face à l’effondrement programmé de notre industrie nucléaire, je crois qu’un sursaut politique est urgent.
Je vous remercie. »