Mission « Conseil et contrôle de l’Etat » : deuxième intervention en hémicycle d’André Gattolin, ce 2 décembre 2015, dans le débat sur le projet de loi de finances pour 2016.
« Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,
Je concentrerai ici mon intervention sur le programme 165 intitulé « Conseil d’Etat et autres juridictions administratives » qui représente plus de 60 % des crédits de la mission présentement examinée.
En progression de 1 % par rapport à 2015 (après une hausse d’environ 2 % l’an passé), ce programme peut, en effet et à première vue, passer pour « privilégié » au regard du contexte budgétaire global très contraint que nous connaissons.
Mais disons-le clairement, ces crédits sont en réalité très chiches au regard du volume croissant d’activité auquel les institutions concernées par ce programme doivent aujourd’hui faire face et surtout au regard des défis auxquelles ces institutions devront répondre dans les années à venir.
L’an passé, l’essentiel des 35 ETP supplémentaires dégagés par le budget ont été absorbés par la Cour nationale du droit d’asile qui depuis 2009 voit le nombre de recours en contentieux exploser.
Et au regard de l’accroissement exponentiel des demandes d’asile lié à l’évolution récente du contexte, les besoins de cette Cour ne risquent pas de se ralentir…
Cette fongibilité des moyens à l’intérieur du programme pour répondre aux urgences ne permet, à mon sens, de satisfaire correctement d’autres besoins cruciaux, notamment ceux attachés à la fonction de « conseil » assignée au Conseil d’Etat.
Celui-ci doit en effet continuer d’affronter une inflation législative à l’oeuvre depuis plusieurs années.
Face à la frénésie législative, le Conseil d’Etat doit multiplier sa production d’avis sur des textes de plus en plus longs et ce dans des délais toujours plus réduits qui ne garantissent pas toujours leur précision et leur qualité.
Ainsi la loi Macron, qui ne comportait pas moins de 308 articles, a du être étudiée par le Conseil dans des délais proprement surréalistes.
Ceci nuit évidemment à la sécurité juridique des textes adoptés, rallonge encore les délais de publication des décrets d’application et la multiplication des recours et des contentieux.
Les amendements, qui par nature ne font pas l’objet d’un avis préalable du Conseil d’Etat, sont de plus en plus régulièrement utilisés par le Gouvernement afin de contourner l’institution de conseil et de contrôle.
Il est d’ailleurs étonnant que la fonction de conseil à l’Etat du Conseil d’Etat s’exerce quasi-exclusivement au bénéfice de l’exécutif et que le Parlement ne puisse, que dans des cas extrêmement limités, avoir recours à ses services !
Cela supposerait évidemment une charge de travail encore accrue pour le Conseil d’Etat mais je crois que, au final, nous y gagnerions singulièrement en pertinence et en efficacité !
Alors certes, les exécutifs modernes sont aujourd’hui sommés d’agir toujours plus vite. Mais face à cette exigence, il faut marteler le fait que le temps passé en amont de l’examen des textes par le Parlement est un temps démocratique ; un temps indispensable qu’il faut cesser de compresser à l’excès !
Renforcer très significativement les moyens du Conseil d’Etat serait aussi un moyen de défendre et de renforcer l’intérêt général aujourd’hui confronté à une juridictionnalisation croissante de la vie publique.
Face à des groupes d’intérêts particuliers et de grands groupes internationaux aujourd’hui capables de mobiliser d’importants moyens de lobbying et surtout une armée de juristes pour exploiter toutes les failles de l’incroyable sédimentation de notre droit, il est donc, mes chers collègues, urgent de renforcer significativement les moyens et les missions du Conseil d’Etat.
Je vous remercie. »