Brexit : Il est temps que l’UE fasse preuve d’un peu d’autorité politique

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André Gattolin consacrait son propos au Brexit, ce 17 février dans le débat préalable au conseil européen des 18 et 19 février 2016 :

« Monsieur le Président, Monsieur le ministre, Mes chers collègues,

Demain, le Conseil européen s’ouvrira pour tenter d’avancer sur un dossier bien complexe : celui visant à trouver un accord sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union.

Ce sommet sera en effet le point d’orgue de difficiles négociations menées depuis des semaines, par le Premier ministre britannique David CAMERON, et le président du Conseil européen, Donald TUSK.

En guise de préalable et pour lever toute ambiguïté, je veux rappeler ici que les écologistes souhaitent le maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE, car un « Brexit » porterait non seulement un coup profond à la poursuite de l’ambition européenne, mais il ouvrirait également la boîte de Pandore en montrant aux souverainistes de tous les pays, la voie du démantèlement de l’Union.

Pour autant, nous refusons qu’un tel maintien s’opère au prix fort d’une déconstruction de l’acquis communautaire, car ce serait alors l’ouverture d’une voie apparemment alternative, mais qui conduirait à terme au même résultat que celui que nous cherchons ici à éviter !

Mes chers collègues, imaginez un instant que d’autres Etats membres emboîtent le pas, et négocient un statut tout aussi particulier.

Ce détricotage paralyserait alors tous travaux, et l’Union européenne verrait se multiplier en son sein, des forces centrifuges difficilement contrôlables.

Comme le dit un vieux proverbe africain : « Si en te baignant tu as échappé au crocodile, prends garde au léopard sur la berge ! »

Malheureusement, cette crainte ne restera pas une simple fiction si nous avalisons en l’état toutes les nouvelles concessions accordées au Royaume-Uni dans le projet de décision de Donald TUSK.

Monsieur le Ministre, la prudence de la France sur ce texte est fort louable, car comme chacun le sait, le diable se cache dans les détails.

En l’espèce, je dirais même que le diable se cache en de nombreux points qui sont loin de n’être que des détails !

Sur la gouvernance économique, on prévoit un mécanisme permettant à un certain nombre d’Etats non membres de la zone euro, de « discuter » des décisions prises par les Etats concernés.

On nous affirme qu’il ne s’agit pas d’un droit de veto, mais cela en a tous les contours. Les discussions aboutiront nécessairement à la recherche d’un difficile compromis qui affaiblira les décisions.

Et puisque l’intégration est l’horizon vers lequel nous tendons, les tensions risquent d’aller crescendo.

Monsieur le Ministre, la France a dernièrement exprimé des réserves sur les concessions en matière de réglementation financière et de supervision européenne des acteurs financiers.

Pourriez-vous nous éclairer sur ces deux points, et nous dire s’ils demeurent des pierres d’achoppement ?

Concernant l’épineuse question de la souveraineté, ce projet avalise un revirement dangereux sur le principe fondateur « d’une union sans cesse plus étroite ».

En inscrivant dans le marbre – ou tout au moins dans le bois dans lequel est gravé la proposition Tusk – que, « eu égard à sa situation particulière en vertu des traités, le Royaume-Uni n’adhère pas à une intégration politique plus poussée dans l’Union », on admet que l’Europe à la carte n’est plus l’exception, mais le principe.

C’est là une attaque sans précédent et inacceptable au cœur-même du processus d’intégration européenne !

Je ne vais pas examiner point par point le projet, car le temps nous est compté, mais je développerai un dernier élément, et non des moindres : celui des prestations sociales.

Par le biais du « mécanisme d’alerte et de sauvegarde » qui a été concédé, nous validons une discrimination indirecte basée sur la nationalité, au risque de nous mettre en porte-à-faux avec la Cour de Justice de l’Union.

Si d’autres Etats membres décidaient demain d’utiliser cet outil, alors à terme, ce sera la mort de la liberté de circulation des personnes !

De plus, cette logique défendue par M. CAMERON est fausse et hypocrite.

Si les travailleurs intra-communautaires migrent au Royaume-Uni, ce n’est pas attirés par des prestations sociales, mais plutôt par la perspective de trouver un emploi mieux rémunéré que dans leur pays de provenance.

Une étude qui a été publiée en 2014 par la très renommée University College de Londres a montré que ces travailleurs européens, non britanniques étaient bien plus diplômés que la moyenne de la population britannique, percevaient moins d’allocations sociales et contribuaient de manière significative aux recettes fiscales du pays.

Une autre enquête publiée il y a un an par le quotidien britannique The Guardian soulève que, non seulement les Britanniques sont beaucoup plus nombreux à obtenir des allocations dans d’autres Etats membres que les autres citoyens européens en reçoivent au Royaume-Uni, mais que ces allocations sont aussi beaucoup plus généreuses qu’au pays de Shakespeare.

Alors sur cette question, comme sur l’ensemble des négociations, David CAMERON joue une partie de poker menteur, car il se contente d’appuyer ses propos tantôt sur des études qui sont produites par le très eurosceptique think tank OPEN EUROPE, tantôt sur des chiffres systématiquement contestés par les experts.

Si les comptes sociaux du Royaume-Uni – comme l’affirme M. Cameron – s’avéraient effectivement si menacés, il ferait bien alors de s’interroger sur le dumping social auquel il se livre et qui explique pour une large part l’attractivité économique de son pays qui attire autant de travailleurs non-nationaux.

Au regard du chantage qu’effectue M. Cameron, devons-nous vraiment l’aider à sortir du piège et du calcul électoral dans lequel il s’est lui-même précipité en promettant lors de la dernière campagne électorale de procéder à un référendum sur le maintien ou non du pays dans l’Union ?

En 1973, l’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté économique européenne a constitué le point de départ d’une tumultueuse relation entre ce pays et la construction européenne, plus marqué par des clauses de retrait à tout vent, que par un quelconque rôle moteur.

Et puisque ce texte est dangereux pour le projet européen, alors demandons-nous ce qu’il adviendrait si le Royaume-Uni choisissait de sortir de l’UE ?

Mes chers collègues, je vais vous le dire : Si telle était l’issue, je ne donne pas plus de 5 ans au Royaume-Uni pour se retrouver dans une situation d’implosion institutionnelle, économique et sociale !

Tout d’abord, nous assisterions à une implosion de l’unité du Royaume.

N’oublions pas que l’Ecosse est profondément attachée à l’UE, et que le parti national écossais fait campagne contre le Brexit.

Dès lors, un nouveau référendum de dévolution ne ferait aucun doute quant au résultat, s’il advenait que le Royaume-Uni quitte l’Union.

Ensuite, nous observerions une perte d’attractivité de la City, avec l’émergence de concurrents au sein de l’UE.

Pas plus tard qu’hier, les dirigeants de HSBC, la première banque européenne et de loin, ont déclaré envisager de délocaliser 20% de leurs activités marchés et banque d’affaires vers Paris, si le « Brexit » se réalisait.

Et le durcissement actuel de la réglementation et de la taxation des banques au Royaume-Uni pourra aussi pousser d’autres à emboîter le pas.

L’attractivité économique du pays subirait un sérieux contrecoup.

Selon les études, le recul du PIB britannique pourrait varier de 2 à 14 %.

Rappelons qu’actuellement, 45% des exportations britanniques sont réalisées au sein de l’Union européenne.

A Monsieur Cameron et au peuple britannique donc de prendre leurs responsabilités.

A l’Union européenne, et à nous, de prendre les nôtres, en ne lâchant pas en pâture le socle de principes qui fonde encore aujourd’hui le projet européen.

Il est temps que l’Union européenne fasse preuve d’un peu d’autorité politique, et pas uniquement de facilitations économiques, si elle ne veut pas se réveiller demain, 60 ans après la signature du Traité de Rome, dans le coma irréversible d’une Europe entièrement déconstruite !

Je vous remercie. »