Intervention en séance publique, le 18 mai 2016 :
« Longtemps, dans l’imaginaire collectif, les paradis fiscaux ont été considérés comme des astuces exotiques de bon aloi, sans grande portée générale.
Il aura fallu la terrible crise de 2008 pour que la mansuétude le cède à l’effarement, face au gigantisme des flux financiers en jeu, et devant les conséquences systémiques des petits égoïsmes de la ploutocratie.
Ce n’est qu’après cette prise de conscience de l’opinion publique que le pouvoir politique s’est enfin saisi du sujet, avec pesanteur.
En témoignent les travaux de l’OCDE à ce sujet, qui devraient commencer à donner quelques résultats concrets, huit ans après la crise…
Ces atermoiements s’expliquent en partie par la collusion des acteurs financiers avec certains de leurs régulateurs.
Comment ne pas se désespérer de la chronique des départs réguliers des cabinets de l’Elysée, de Matignon et des services de Bercy vers la finance privée ?
Comment croire à leurs velléités de régulation, passées ou futures ?
Mais l’absence d’avancées rapides tient aussi à la concurrence, parfois déloyale, que se livrent entre eux les Etats au lieu de coopérer.
L’attitude du Luxembourg, sans équivoque, est bien connue.
Alors quand les membres du Conseil européen et les grands groupes du Parlement désignent Jean-Claude Juncker comme Président de la Commission, c’est un signal désastreux qu’ils envoient.
La pression de l’opinion publique a été et reste donc essentielle, pour progresser dans la voie de l’intérêt général.
Et c’est dans la succession de révélations publiques de données considérées secrètes, que cette pression s’alimente.
Alors non, et à l’évidence, la confidentialité d’informations transitant seulement des optimiseurs aux administrations ne suffit pas !
Non pas que tout citoyen ait l’expertise d’un contrôleur fiscal…
La complexité des données est d’ailleurs un des arguments utilisés pour en refuser la publication.
Mais voter aussi c’est compliqué, et tout le monde en a le droit !
Qui est légitime pour être informé ?
On ne trie pas les citoyens.
Dans le Luxleaks ou les Panama papers, si peu de gens ont compris le détail technique des affaires, beaucoup en revanche ont parfaitement perçu leur portée politique.
C’est pour cela que nous sommes si attachés à cette notion de transparence.
Les groupes écologistes de l’Assemblée et du Sénat ont d’ailleurs été à l’origine de nombreux amendements en ce sens, dont certains ont été adoptés – parfois même définitivement !
C’est le sens de l’histoire que de continuer ce travail, et la proposition de loi de nos collègues communistes nous y invite aujourd’hui.
Elle vise à étendre à un large ensemble de grands groupes et d’ETI la publication de données quant à leur activité dans leurs différents pays d’implantation.
A en croire les détracteurs, cela ruinerait la compétitivité des entreprises.
On pourrait d’abord remarquer qu’en matière de réputation, qui n’est pas pour rien dans la compétitivité aujourd’hui, c’est précisément la transparence qui est valorisée, tandis que les difficultés proviennent plutôt des scandales…
La publicité des stratégies fiscales ne remet pas en cause le libéralisme, l’esprit d’initiative ou la créativité entrepreneuriale.
Au contraire, elle replace la concurrence sur un terrain clair et objectif, tout en donnant un avantage d’image aux entreprises vertueuses.
Notre rapporteur a toutefois évoqué un cas – celui d’une entreprise cherchant à conquérir un marché étranger avec un seul produit – où la transparence deviendrait alors trop indiscrète.
C’est vrai mais si de tels cas venaient à se présenter, rien n’empêcherait de les traiter à la manière d’une exception, plutôt que de vouloir renoncer à la règle.
Ultime argument pour l’immobilisme : on ne peut pas avancer tous seuls…
Il est exact que l’UE serait un échelon plus pertinent pour avancer… mais à condition d’avancer !
Car la proposition de la Commission du 12 avril dernier est un dangereux leurre : se réclamant d’une transparence exemplaire, elle ne s’intéresse en fait qu’aux activités à l’intérieur de l’UE et à celles d’un nombre très réduit de paradis fiscaux.
Se ranger à cette proposition minimaliste revient à enterrer toute ambition.
Certes, la transparence n’est pas la panacée universelle et même poussée à son extrême, elle ne suffirait pas à restaurer toutes les bases fiscales.
Elle se heurtera toujours aux Etats incapables d’une vision supra-nationale, y compris dans l’UE, ou à l’ingéniosité malsaine de certaines entreprises – on redoute désormais que les banques ne sous-traitent leurs opérations illicites….
Mais malgré tout, la transparence reste utile et nécessaire pour bousculer la tiédeur des instances de décision. Nous n’en sommes qu’aux prémices !
Bien sûr, cette proposition de loi nécessite quelques améliorations.
J’ai déjà évoqué des cas précis pour lesquels on pourrait prévoir un mécanisme d’exception.
Je pense également au seuil de 40 millions de chiffre d’affaires, qui mériterait sans doute d’être relevé.
Mais nous n’en sommes ici qu’à la première lecture et de tels ajustements trouveraient toute leur place au cours de la navette.
En attendant, il nous semble que c’est le volontarisme qui doit s’affirmer.
En comptant sur quelques évolutions du dispositif proposé, le groupe écologiste votera donc en faveur de ce texte.
Je vous remercie. »