Intervention en séance publique le 4 juillet 2016, lors de l’examen du Projet de Loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique :
« Monsieur le président, Messieurs les ministres, Mes chers collègues,
Lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique : même l’intitulé de ce projet de loi semble rendre hommage à Michel Rocard, lui qui se distingua à la fois par son intégrité intransigeante et par son réformisme économique.
Pour avoir eu le privilège, ces dernières années, de l’accompagner dans son combat pour la préservation des pôles, et au-delà de cette question éminemment écologique, d’avoir eu la chance d’échanger avec lui sur les grands enjeux de la planète, mais aussi de l’Europe et de la société française, je peux témoigner qu’il fut jusqu’au bout un homme de pensée et d’engagement, toujours en mouvement et tourné vers le futur pour une société plus juste et donc – à son sens – véritablement humaine.
Dans la célébration unanime accompagnant sa disparition, qui voit chacun réclamer sa part d’héritage, je crois qu’il faut veiller à ce que le réformisme de Michel Rocard ne soit pas dévoyé – comme avait pu l’être sa fameuse sentence sur la « misère du monde », dont on avait sciemment tronqué la chute.
A propos de la crise des réfugiés, il avait d’ailleurs récemment estimé que c’était la chancelière allemande qui avait « sauvé l’honneur ».
N’oublions pas, en effet, que c’est à l’époque du Programme commun que Michel Rocard fut qualifié de « réformiste ».
Le contexte politique a, depuis, considérablement changé.
Dans son dernier ouvrage, Suicide de l’Occident, suicide de l’humanité ?, il a eu des mots très durs contre les dérives du système bancaire, contre le capitalisme financier et contre le souverainisme, prônant un développement écologique, une réduction du temps de travail et une nouvelle coopération internationale.
Même si je ne perçois pas encore les modalités de ce réformisme, à l’évidence audacieux, dans la politique du Gouvernement, le fait est, Messieurs les ministres, que votre texte vise au moins à s’attaquer à l’hubris et à l’inacceptable que nous avons trop longtemps toléré.
Je veux parler du fait qu’aujourd’hui, l’économie prime à ce point sur le politique, et que le profit semble s’imposer aux valeurs constitutives de la démocratie sociale.
La corruption est devenue une stratégie commerciale comme une autre.
Les lobbies économiques s’immiscent partout dans la plus grande opacité, entachant de conflits d’intérêts persistants les normes et les lois.
Ce ne sont pas les auteurs des scandales financiers qui sont condamnés, mais les lanceurs d’alerte qui les révèlent.
Ce ne sont pas les gouvernements élus qui imposent la fiscalité des multinationales, ce sont elles qui mettent les États en concurrence.
Face à un tel constat, l’ambition de changement que porte ce projet de loi est salutaire.
Malheureusement, la puissance publique accuse toujours un très long temps de retard sur les abus et les détournements.
Cela tient d’abord à la temporalité.
De la même manière que nous attendons de percevoir les symptômes de la crise écologique pour agir, nous attendons, pour réformer, de voir s’épanouir les fraudeurs qui se soustraient à la fiscalité, ou s’accomplir les disruptions technologiques qui court-circuitent notre modèle économique et social.
La régulation ne se déclenche qu’à la suite de scandales ou d’accidents, jamais par anticipation.
Ensuite, il y a une question de territorialité.
Lorsque nous disposons enfin des outils pour rendre le pouvoir à la politique, vient se poser la question de la mondialisation.
Demander à nos entreprises d’être transparentes ou de ne pas tricher, ce serait nuire à leur compétitivité, puisque les autres ne seraient pas aussi vertueuses.
Si l’on ne veut pas que la modernisation de notre économie se construise ainsi à rebours, je crois qu’il nous incombe, d’une part, d’appréhender sans faux-semblants la terrifiante évolution du monde et d’autre part, de refuser de nous abstraire de nos principes fondamentaux.
Ainsi, face à la plaie que constitue l’évasion fiscale, nous devons appliquer, sans plus tergiverser, le reporting public pays par pays.
Sauf cas très spécifiques, nous ne pouvons pas considérer que les montages fiscaux abscons participent d’une compétitivité qui concourrait au bien commun.
En matière de répression de la corruption, il faut prendre acte du manque d’efficacité de notre système.
Pour autant, il semble difficile de se féliciter qu’une transaction judiciaire permette de préserver les intérêts économiques d’une personne morale accusée de corruption.
En ce qui concerne la protection des lanceurs d’alerte, même les ressources de notre droit positif ne sont pas toutes utilisées.
Ainsi, la commission de déontologie en matière de santé et d’environnement, créée il y a déjà trois ans par la loi Blandin, n’a toujours pas été mise en place par le Gouvernement.
A propos des groupes d’intérêts et de pression, tout reste encore à faire pour nous doter d’un mécanisme de traçabilité des informations qui permettent aux décideurs publics d’écrire la loi.
En matière de financiarisation, nous devons porter une attention particulière à la prédation qui touche le foncier agricole.
J’aurais l’occasion, avec mes collègues du groupe écologiste, de revenir en détails au cours du débat sur tous ces sujets et sur bien d’autres.
Globalement, même s’il nous paraissait à certains égards un peu tiède, le texte issu de l’Assemblée nationale constituait selon nous une avancée, là où la version établie en commission par le Sénat semble en revanche marquer un recul.
Nous attendrons donc de voir l’évolution de nos débats de séance avant de nous prononcer sur notre vote.
Je vous remercie. »