André Gattolin intervenait ce 27 octobre dans le débat sur l’évasion fiscal inscrit à l’ordre du jour du Sénat à la demande du groupe CRC (seul le prononcé fait foi) :
« Monsieur le président, Madame la ministre, Mes chers collègues,
Avant de m’exprimer sur le sujet qui nous est proposé aujourd’hui par nos collègues communistes, j’aimerais formuler une remarque, notamment à l’adresse de la présidence, sur l’organisation de ces débats proposés par les groupes.
Leurs énoncés, par la concision qui leur est imposée, peuvent parfois être sibyllins et nuire ainsi à la qualité de la discussion.
Je crois que tout le monde gagnerait à ce que l’inscription d’un débat à l’ordre du jour puisse s’accompagner d’un petit exposé des motifs, qui permettrait à l’auteur de préciser son intention, et de fournir un point d’appui tangible à la réflexion des groupes et des orateurs.
Je compte sur vous, Monsieur le président, pour transmettre cette requête à qui de droit.
J’en viens maintenant au sujet qui nous occupe.
L’évasion fiscale est à l’évidence une des principales causes de l’instabilité du monde.
Bien que le volume d’une activité clandestine soit par définition difficile à évaluer, on estime généralement que son coût annuel est de l’ordre de 100 milliards d’euros pour la France et de 1000 milliards d’euros pour l’Europe.
Non seulement l’évasion fiscale tend à accroître les inégalités, en soustrayant de la péréquation collective une part considérable de la richesse, mais elle fragilise les fondements mêmes de la démocratie, en dépossédant les décideurs politiques d’une bonne part de leur marge d’action.
La prise de conscience du fléau que cela représente est relativement récente.
A titre de comparaison, alors que la première conférence climatique mondiale eut lieu dès 1979, sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, il faudra attendre 1996 pour que le G7 aborde la question des pratiques fiscales dommageables, 1998 pour que l’OCDE pose une définition du paradis fiscal et seulement 2000 pour qu’elle en dresse une première liste.
Si le problème est désormais largement reconnu, y remédier relève d’un combat difficile, qui bouscule des intérêts par construction puissants.
La mondialisation, qui a été choisie libérale, a permis la libre circulation des capitaux sans prendre la peine de l’inscrire dans un cadre de régulation politique.
A défaut d’outils de gouvernance permettant de piloter l’intérêt collectif, les Etats se livrent donc à une concurrence fiscale dans le but de récupérer au moins une partie de cette richesse qui leur échappe indûment, entretenant ainsi le cercle vicieux.
Mettre sur pied une conférence internationale dédiée à la lutte contre l’évasion fiscale, sur le modèle de la COP climatique, permettrait de poser les premiers jalons d’une régulation mondiale.
Pour dépasser le seul cadre de l’OCDE et l’inscrire dans celui de l’ONU, cela nécessiterait sans doute la création d’un nouveau programme des Nations Unies, à l’instar de ceux pour le développement ou l’environnement.
Ces procédures sont lourdes.
Rappelons qu’entre l’adoption de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, au sommet de Rio en 1992, qui a instauré le principe d’une COP, et l’adoption du récent accord de Paris, il s’est écoulé pas moins de 23 ans…
Cela étant, il n’est jamais trop tard.
Une telle initiative, y compris par le seul processus de sa mise en oeuvre, pourrait bien sûr contribuer à intensifier la lutte contre l’évasion fiscale et à donner du souffle aux espaces de dialogue existants que sont l’OCDE et l’UE.
Il faudra simplement éviter le piège qui pourrait consister, pour certains états, à en tirer un prétexte à l’immobilisme, dans l’attente d’un hypothétique consensus général.
Car les réticences politiques sont encore fortes, et pas seulement dans d’obscurs territoires en marge du concert des nations.
L’Irlande, au coeur de l’Union européenne, mène actuellement une grande campagne publicitaire, notamment par le biais du site taxinireland.com, vantant auprès du monde des affaires ses régimes d’imposition supposés quasiment nuls…
Il s’agit là d’une véritable provocation, à quelques semaines de l’affaire Apple, dans laquelle elle vient de faire appel de son obligation de recouvrer l’impôt sur les sociétés.
Le projet de la Commission européenne appelé ACCIS, l’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des Sociétés, que Pierre Moscovici tente actuellement de relancer, avait été une première fois bloqué au Conseil, en 2011, par l’Irlande, toujours, mais aussi le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas.
Aujourd’hui, les états semblent plus réticents que les entreprises à cette harmonisation, ce qui est quand même un comble !
Le rapport de force, alimenté par divers scandales, a tout de même donné, ces dernières années, quelques résultats : la Suisse remise globalement son secret bancaire, le Luxembourg recule sur les rescrits fiscaux, l’Irlande est mise en demeure de récupérer ses libéralités…
Mais s’il faut rester intransigeant à l’égard de ces pratiques de corsaires, je crois qu’il faut aussi entendre la crainte, légitime, des Etats qui craignent sans cela de perdre leur rang économique dans la compétition internationale.
Ce pourrait être aussi le rôle de cette conférence que de tenter de tracer un chemin vers moins de concurrence et davantage de coopération entre les Etats. Ce n’est qu’au prix de la solidarité économique que nous pourrons endiguer l’agressivité fiscale.
C’est dans cet esprit, mes chers collègues, que le groupe écologiste soutient l’idée d’une conférence internationale contre l’évasion fiscale.
Je vous remercie. »
(Photo d’illustration : Fotolia)