André Gattolin intervenait ce 12 janvier 2017 à la tribune du Sénat dans le débat « Faut-il réformer le fonctionnement de la zone Euro ? » :
« Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues,
Faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? La question posée est pertinente, mon cher Pierre-Yves Collombat, et la réponse est évidemment oui. Reste à savoir comment faire…
La zone euro est en crise, même si nous avons franchi une période difficile en 2012, j’y reviendrai, parce que je diffère de mon excellent collègue Michel Canevet à propos de la solidarité des États, mais le constat est clair, notamment depuis 2008.
Nous avons alors assisté à une crise de la dette privée, avec l’effondrement de la banque Lehman Brothers, qui s’est rapidement muée en crise de la dette souveraine en 2010, puisque, globalement, les États ont renfloué les victimes de la crise financière au prix d’un accroissement impressionnant de leur dette publique et d’une augmentation très forte de leur déficit budgétaire afin de compenser les effets économiques et sociaux de cette crise.
On dit souvent que c’est le non-respect des critères qui a provoqué la crise, mais en réalité, c’est la crise qui a provoqué le non-respect des critères !
Nombre de pays de l’Union européenne se sont trouvés en situation de ne plus respecter deux des critères majeurs du traité de Maastricht énoncé dans l’article 121 qui fondaient les conditions de création de l’euro et de la zone qui lui était attachée : un déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB et un taux d’endettement public en dessous de 60 % du PIB. On oublie que le premier critère était une inflation limitée à 1,5 %. On n’en parle plus, parce que cela ne concerne pas beaucoup de pays de l’Union européenne aujourd’hui !
Si la zone euro est encore là et qu’elle a survécu à la grande crise qu’elle a connue en 2012 après la menace de défaut de la Grèce, mais aussi de plusieurs autres États membres, le constat d’échec demeure. Les performances économiques des pays de cette zone sont inférieures à celles d’autres pays de l’Union européenne qui n’en font pas partie et elles sont surtout inférieures à celles des États-Unis, pourtant à l’épicentre de la crise qui a frappé l’économie mondiale en 2008.
Les disparités financières et économiques se sont singulièrement accrues entre États de la zone euro et même l’Allemagne, qui s’en tire bien mieux que les autres, n’est pas en si bonne situation.
Les modèles de croissance fondés par les États membres considérés comme les plus vertueux au regard des critères de Maastricht se basent de plus en plus sur le chacun pour soi, leur succès s’obtient au détriment de leurs partenaires, si l’on peut encore utiliser ce terme. L’Allemagne bénéficie ainsi d’un excédent commercial excessif, d’autres, de pratiques fiscales relevant du dumping.
C’est le constat fait aujourd’hui par nombre d’économistes, dont Joseph Stiglitz. Je le fais mien, sans partager ses conclusions : la crise est là, et l’euro a échoué dans deux de ses principaux buts, à savoir la prospérité et l’intégration économique.
Ces dysfonctionnements, selon moi, trouvent leurs racines dans les vices cachés présents depuis la création de la zone euro.
Pour ma part, je suis favorable à une monnaie unique européenne. Pourtant, en 1992, au moment du référendum sur le traité de Maastricht, alors que j’étais l’un des responsables des jeunesses européennes fédéralistes, j’ai fait scandale en annonçant que je m’abstiendrai. En effet, j’étais certes pour l’euro, mais contre un euro sans gouvernance économique ni surtout politique pour l’encadrer.
Je ne vous cache pas que, pendant plus de dix ans, je suis passé pour un idiot. Puis, les crises ont montré que les choses ne tournaient pas d’elles-mêmes, et que le fonctionnement de la zone euro était fondé sur une large ambiguïté : l’article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précisait qu’il n’y aurait pas de solidarité financière entre les États en cas de crise ; à la demande de l’Allemagne, ce même article réduisait la BCE aux acquêts, lui confiant la seule mission de juguler l’inflation, et l’empêchant de prêter aux États tiers ou aux États membres ; mais, lorsque cette gardienne de l’inflation s’est trouvée en échec et jusqu’à la veille de la crise de 2007-2008, les marchés ont cru à une solidarité qui n’était pourtant pas dans les textes.
On avait alors largement outrepassé les textes, puisque, en 2003, quand la Commission européenne a pris des mesures pour demander des sanctions contre la France et l’Allemagne pour déficit excessif, un compromis habile avait été trouvé, comme par miracle. Celui-ci avait également permis, au passage, d’effacer l’ardoise de la Grèce, qui avait déjà quelques difficultés flagrantes.
À l’issue de cette crise, l’Allemagne, qui se trouve dans une position relativement forte, réaffirme tout à coup des exigences anciennes : juguler l’inflation et maîtriser les dépenses, à un moment où nous avons besoin de ces dernières pour reconstruire l’investissement.
Nous devons trouver des solutions, mais la création un ministre des affaires économiques et financières de la zone euro que l’on nous propose aujourd’hui n’est qu’un gadget ! Nous voyons bien que Mme Frederica Mogherini, qui est l’équivalent d’un ministre européen des affaires étrangères, n’a aucun poids réel face à vingt-huit politiques étrangères différentes. Les choses se jouent désormais au niveau politique.
Il nous faut retrouver une solidarité financière entre les États européens. Sans cela, la zone euro n’a pas de sens, car une crise touchant la Grèce ou Chypre risque de menacer tout l’édifice, alors que ces pays ne représentent que quelques pour-cent du PIB européen.
Nous devons repenser non seulement les fondements de la zone euro, mais également l’organisation globale et les fondations de l’Europe, même si je n’ai malheureusement pas le temps de développer mes idées sur ce point. »