Tribune parue sur le site de l’Express
« Si tu n’as pas tout ce que tu veux, réjouis-toi de ne pas avoir ce que tu ne veux pas » – Bob Dylan (Chroniques, 2004)
À quelques jours du premier tour, c’est l’heure du choix et aussi le moment de prendre un peu de recul sur une campagne qui jusque-là s’est développée de manière assez inattendue.
Assiste-t-on, comme on l’entend souvent, à une « conjuration des élites » ou à une série de « trahisons internes » qui expliqueraient la marginalisation des vainqueurs respectifs des primaires écologiste et socialiste? C’est, je crois, aller un peu vite en besogne et oublier que ce ne sont pas leurs partis qui ont décidé de leur sort, mais bien leurs électeurs potentiels qui les ont désertés. Rappelons que, au plus haut, Jadot ne recueillait que 2% d’intentions de vote et que Benoit Hamon en représente aujourd’hui moins de 10.
Une situation incertaine et sans précédent, d’autant qu’un électeur sur trois se dit encore indécis et que ce match serré à quatre ne manquera pas dans les derniers jours et les dernières heures de provoquer une mobilisation soudaine et des mouvements importants au sein du corps électoral. Longtemps professionnel des sondages avant de devenir parlementaire, je ne crois pas, dans ces circonstances particulières, à l’abstention élevée et au mouchoir de poche final qu’on nous annonce entre les quatre ténors.
À qui pourrait donc bénéficier ce regain de mobilisation?
D’abord parce que le score de Marine Le Pen demeure structurellement élevé en dépit du ton de sa campagne qui se durcit singulièrement – avec des phrases récentes qui rappellent furieusement certaines tristes saillies de son père – et malgré les affaires qui affectent le FN. Ses chances d’arriver en tête ou au pire en seconde position ce 23 avril sont loin d’être minces.
Ensuite, parce que la résistance de François Fillon dans l’électorat paraît presque incroyable au regard des scandales qui le touchent. En fin de campagne, il semble même regagner les points perdus après à sa mise en examen.
Plutôt un président affaibli que pas de président?
Comment expliquer une telle solidité de son socle électoral? En premier lieu parce qu’il y a aujourd’hui dans une large partie de la droite un désir irréductible de ne pas se voir subtiliser une victoire qui lui semblait promise depuis plus de trois ans. Avec un certain cynisme, nombreux sont ceux qui se disent qu’il vaut mieux un président affaibli que pas de président; qu’il vaut mieux une majorité parlementaire négociée plutôt qu’un maintien dans l’opposition avec une nouvelle guerre des chefs annoncée.
La seconde indication forte qu’on peut tirer des enquêtes du Cevipof, c’est que les intentions de vote actuelles ne reflètent pas la droitisation pourtant assez prononcée à l’oeuvre au sein de la société française depuis 2012. Alors qu’elle est nette dans toutes les enquêtes concernant les valeurs des Français, elle ne semble pas – en l’état – se traduire totalement dans les préférences présidentielles.
Fillon étonnamment élevé
Lorsqu’on cumule les voix supposées se porter en faveur d’une offre électorale qui va de Nathalie Arthaud à Emmanuel Macron, on obtient un total d’environ 52-53% pour la gauche et le centre; soit un score étonnamment élevé au regard de l’évolution générale des valeurs dans notre pays.
Parce que je redoute sérieusement un second tour Fillon-Le Pen et que je ne tiens pas à participer par mon vote à un revival du 21 avril 2002, ni devoir me trouver en situation d’appeler ensuite à voter en faveur d’un candidat supposément moins à la droite de la droite que l’autre, je préfère en mon âme et conscience faire, sans détour, le choix d’un vote Macron, et ce dès ce premier tour.
On m’objectera que c’est un choix discordant pour un parlementaire écologiste, car le programme d’Emmanuel Macron ne placerait pas la thématique écologique aussi haut dans son programme que ce que je souhaiterais. Oui, en la matière, il y a de belles propositions dans les programmes de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon. Mais le premier ne représente plus aujourd’hui qu’une candidature de témoignage et qui ne présage guère d’un véritable aggiornamento à venir du Parti socialiste, si tant est que celui-ci survive à cette élection.
Mélenchon oublie les droits humains
Concernant Jean-Luc Mélenchon, je ne comprends pas – ou trop bien – son discours visant à provoquer une amplification de la crise de l’Union européenne dont la destruction serait soi-disant libératrice et finalement refondatrice de celle-ci. Je n’ose imaginer le résultat de cette stratégie du pire pour le meilleur dans un contexte géopolitique où les États-Unis, comme la Russie et la Chine, se régalent déjà du Brexit et de ses effets déstabilisateurs.
Sur les libertés publiques, si je partage nombre de ses craintes en la matière pour notre pays, je trouve son propos totalement incohérent avec la plupart de ses positions internationales qui oublient les droits humains et le droit des peuples à déterminer démocratiquement leur avenir.
Je pourrais continuer encore à égrener la liste de mes désaccords, mais il en est un dernier, majeur pour moi et qui concerne aussi bien Benoît Hamon que Jean-Luc Mélenchon. Je ne juge absolument pas réaliste la hausse des dépenses publiques qu’ils avancent l’un et l’autre pour étayer leur programme. En soi, celle-ci préfigure déjà les revirements qu’ils seraient, l’un ou l’autre, amenés à faire dans l’hypothèse de leur élection.
À trop promettre sans tenir…
En six ans de vie parlementaire, j’ai pu ressentir de près le discrédit sans cesse croissant qui s’abat sur la politique et sur ses représentants. La question de notre probité est importante, je n’en disconviens pas. Mais je crois surtout qu’à trop promettre sans être en mesure de tenir; à toujours être amené à se dédire de ses engagements électoraux au lendemain d’élections au nom de contraintes qu’on prétend découvrir, nous contribuons, plus encore que par toute autre déviance à l’endroit de l’éthique et de la raison politique, au désespoir de ceux qui nous élisent, à leur retrait du débat public ou à leur refuge dans la facilité des discours dits populistes.
Mon vote en faveur d’Emmanuel Macron dès ce premier tour est donc d’abord un choix de raison. C’est, au-delà des aspects de son programme auxquels j’adhère ou n’adhère pas, un choix aussi en faveur du candidat à la présidentielle dont les orientations européennes et internationales sont les plus proches de mes convictions. Ce n’est pas là une mince raison, car ces domaines sont les champs d’action primordiaux de tout président sous la Ve République.
Sur les affaires intérieures du pays, notamment sur les questions sociales, économiques, écologiques et institutionnelles, il faut être clair: les vraies orientations, dans le contexte bouleversé que nous connaissons, se détermineront véritablement à l’issue des législatives et avec la majorité qui en résultera.
Écologiste et fédéraliste européen je suis et je reste. Je considérerai alors le soutien que j’accorderai à tel ou tel candidat aux législatives – s’il me le demande – en fonction des convictions auxquelles je suis et je reste attaché.