André Gattolin intervenait ce 4 décembre pour défendre la position favorable du groupe LaREM du Sénat sur les crédits de la mission Médias, Livre et Industries culturelles du projet de loi de finances pour 2018 (seul le prononcé fait foi) :
« Monsieur le président, Madame la ministre, Mes chers collègues,
Parmi les crédits consacrés à cette mission, je concentrerai mon propos sur la société France Télévisions, qui bénéficie de plus de 2,5 Milliards d’euros pour 2018, soit les deux tiers des moyens alloués au secteur de l’audiovisuel public.
Comme on le dit couramment, France Télévisions alimente beaucoup la gazette ces dernières semaines. C’est normal, dira-t-on, qu’un grand média fasse parler de lui, mais en l’occurrence ce n’est pas la qualité de tel ou tel de ses programmes, l’exclusivité de telle ou telle information diffusée sur ses antennes, ni ses succès d’audience qui nous valent autant de remue-ménage autour de cette entreprise.
De rapports confidentiels en notes tout aussi confidentielles savamment répandues dans la presse – nous y avons encore eu droit pas plus tard qu’hier avec un prétendu plan interne d’économies déjà démenti quelques jours auparavant –, de critiques pas même voilées à l’endroit de la tutelle en déclarations fracassantes sur telles coupes à venir dans les achats de programmes ou dans les émissions d’information, on en peut pas dire que la direction actuelle de France Télévisions ménage ses efforts.
Sans compter l’intense travail de lobbying déployé auprès de certains collègues et auprès des syndicats de producteurs… Non, on ne chôme pas en matière de communication au siège de l’entreprise. Dommage d’ailleurs qu’il n’existe pas d’indicateur de performance en la matière, car il y aurait là précisément matière à satisfaction… Mais l’origine de cette effervescence, laquelle est-elle ?
Et bien, après plusieurs années d’augmentation continue des crédits alloués à France télévisions, le gouvernement a demandé 50 millions d’économies pour 2018 – soit moins de 1,5% d’un budget global de 2,9 Milliards d’euros. Mais, bizarrement, ce qui est demandé à l’ensemble de la nation afin de redresser nos comptes publics parait irréalisable pour cette société de service public, plus marquée par la culture de la dépense que par la culture de l’efficacité et de l’innovation.
Certes, à la décharge de France Télévisions, il faut reconnaître que l’entreprise évolue dans un univers extrêmement concurrentiel et marqué par des évolutions technologiques profondes. Quelques initiatives ont bien été prises, mais dans la grande inertie et les errements stratégiques qui caractérisent cette entreprise, celles-ci n’ont pas toujours été très judicieuses.
La création en 2016 de France Info TV supposée coûter peu d’argent en est l’illustration.
La faute n’en incombe d’ailleurs pas aux seuls responsables du groupe. Fruit d’une mutualisation de moyens avec Radio-France et plus accessoirement avec France Médias Monde, son audience reste marginale pour un coût réel qui reste totalement opaque. La comptabilité analytique ne semble en effet pas être le fort de la maison car aucun chiffre sérieux n’a jusqu’à présent été produit. Selon les experts du secteur, son coût serait de 60 à 80 millions d’euros par an, soit le double de celui de LCP et Public Sénat réunis pour une audience inférieure à ces deux chaînes ! En concurrence directe avec LCI, BFM TV et CNews, on ne s’étonne guère de la faiblesse de son audience, d’autant qu’on peine à voir – en dehors de l’absence de publicité à l’antenne – de grandes différences de contenus avec ces autres chaînes d’information continue.
Etait-il pertinent de lancer une chaîne linéaire supplémentaire dans un marché déjà saturé ? Difficile de ne pas avoir le sentiment d’une certaine gabegie de l’argent public, quand on sait que la CAP finance déjà une chaîne d’information de qualité qui s’appelle France 24, mais qui demeure largement inaccessible à celles et ceux qui paient pour qu’elle existe. Il aura fallu batailler ferme en 2013 pour que cette chaîne dispose enfin d’une fenêtre de quelques heures sur un canal de la TNT en Ile-de-France. Elle sert désormais aussi de bouche-trou sur le canal de France Info TV entre minuit et 6 heures du matin quand les programmes de la première s’arrêtent. Bref, France 24, c’est comme une belle chambre, payée plein tarif, mais avec deux lucarnes en guise de fenêtres et sans vue sur la mer… Trouvez l’erreur !
Pour revenir à la gestion de France Télévisions, on peut, comme l’a récemment fait la Cour des comptes, s’interroger sur une présence pléthorique des postes d’encadrement au sein de cette société. Certaines fonctions supports de France Télévisions comme les ressources humaines ou la communication (pour n’en citer que deux) ont des effectifs sans commune mesure avec toute autre entreprise de moins de 10 000 ETP dans ce pays ! Cette multiplication insensée de postes d’encadrement impacte terriblement la masse salariale dans des domaines qui ne sont pas directement liés à la production et la diffusion de programmes, le cœur de métier du groupe. Selon le rapport de la Cour des comptes précédemment évoqué, 191 salariés touchent ainsi plus de 120 000 euros bruts par an, 547 salariés plus de 96 000 euros !
La grande maison de l’audiovisuel français ne compte pas que des chambres semi-aveugles, elle comporte aussi – surtout à l’étage France télévisions – des placards obscurs qui contrastent avec d’autres bien plus dorés. Dans quelle autre entreprise de communication trouve-t-on un ancien directeur de l’information, démissionnaire depuis le 22 mai dernier, toujours rémunéré par l’entreprise à un niveau de salaire inchangé, pour une mission qui recoupe très largement des fonctions déjà occupées par d’autres cadres de la société ?
Tout cela pourrait apparaître presque anecdotique si l’intensification de la concurrence venant d’acteurs mondiaux, si les nouveaux usages et modes de consommation des médias n’appelaient pas au plus vite à une réforme en profondeur d’un modèle économique de la télévision publique aujourd’hui à bout de souffle.
Même si l’effort budgétaire demandé à France Télévisions ne représente qu’un infime pourcentage de son budget, nous le considérons comme un préalable bienvenu à une réforme d’envergure.
Pour toutes ces raisons, nous voterons donc en faveur des crédits de cette mission.
Je vous remercie. »