Avec le parti Allons Enfants, qui œuvre pour une meilleure représentation de la jeunesse dans la vie publique, André Gattolin a travaillé à l’élaboration d’une proposition de loi organique visant à abaisser de 24 à 18 ans l’âge d’éligibilité aux élections sénatoriales. Il l’a défendue ce 21 novembre en séance publique :
J’entends bien la conviction profonde qui habite nombre d’entre vous et qui consiste à penser que, pour prétendre devenir sénateur, il conviendrait au préalable d’avoir exercé un mandat d’élu local.
Notre Constitution qualifie en effet notre assemblée de « chambre des territoires », et tout au long de son histoire celle-ci s’est toujours posée en défenseur des collectivités locales. Sachez, mes chers collègues, que je respecte cette conviction et que je ne vise pas à la contester par ce texte.
Il ne s’agit ici que d’une proposition de loi visant à assurer la cohérence de notre droit interne au regard du droit désormais commun dans notre pays à toutes les élections.
Dans toutes les démocraties consolidées comme la nôtre, l’heure est en effet à l’universalité de plus en plus étendue de l’éligibilité concernant les fonctions sujettes à mandat électoral. C’est dans cet esprit, d’ailleurs, qu’en 2011 nous avons abaissé à dix-huit ans l’âge d’éligibilité à l’élection présidentielle, de même que celui de nos députés.
Cependant, nous nous doutons bien, au regard des attentes de nos concitoyens et de leurs pratiques de vote, que l’élection d’un Président de la République de moins de vingt-cinq ans a très peu de chance de se produire un jour.
Aussi, dans ce débat sur l’âge d’éligibilité, la logique et la raison doivent absolument l’emporter sur la conviction et sur l’émotion. Il faut donc bien veiller à ne pas confondre accès à un droit et effet produit par ce droit dans les faits. Être éligible et être élu représentent deux choses bien distinctes, même si, naturellement, pour être élu, il faut être éligible.
C’est le droit qui définit l’éligibilité, mais ce sont les électeurs qui choisissent les élus.
Mes chers collègues, c’est précisément votre esprit de logique et de cohérence – propre à votre fonction de législateur – que je sollicite en tentant de vous démontrer que le seuil de vingt-quatre ans, aujourd’hui en vigueur, est à la fois inéquitable, incohérent et in fine inutile.
Inéquitable, tout d’abord, car la règle actuellement en vigueur exclut de facto plus de 4 millions de jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans, dont certains sont des élus locaux ou des grands électeurs lors des élections sénatoriales. Dans mon bon département des Hauts-de-Seine, ils n’étaient pas moins de trente-huit dans cette situation lors du renouvellement sénatorial de l’an passé, grands électeurs, obligés de voter sous peine d’amende en cas de manquement, mais interdits de figurer sur une liste sénatoriale, même en position de suppléant.
L’existence d’un âge minimal d’éligibilité supérieur à l’âge de la majorité est injuste, voire dangereuse, car elle ouvre la voie par parallélisme à une possible fixation d’un âge maximal d’éligibilité. Ce n’est pas le cas en France, mais cela se pratique déjà dans certains pays, et non des moindres, comme le Canada, qui fixe un âge maximal d’exercice de la fonction de sénateur à soixante-quinze ans.
Ce seuil à vingt-quatre ans au Sénat est, par ailleurs, incohérent.
D’abord, il est incohérent au regard des règles générales d’éligibilité en vigueur lors de toutes les autres élections ouvrant droit à mandat public dans notre pays, et même pour la plupart des grandes fonctions de l’État : ministre, membre du Conseil constitutionnel ou encore, et dans un autre registre, membre du Conseil économique, social et environnemental.
Ensuite, il est incohérent au regard du corps électoral particulier amené à élire les sénateurs dans notre pays, puisque nous avions abaissé en 2004 à dix-huit ans l’âge d’éligibilité aux mandats municipaux, départementaux et régionaux.
À ce stade de notre réflexion, il serait intéressant, je crois, de nous pencher sur l’exemple de la Belgique et sur les conditions d’éligibilité en vigueur dans ce pays en matière d’élections sénatoriales.
Alors qu’en 1993 le Parlement belge avait déjà abaissé de quarante à vingt et un ans l’âge d’éligibilité au Sénat, une chambre désignée au suffrage universel indirect par les représentants des territoires qui composent la fédération, nos collègues belges ont en 2014 procédé à un nouvel abaissement de ce seuil à dix-huit ans.
Quelles sont les raisons invoquées pour justifier cette nouvelle réforme ? Dans leurs attendus, nos collègues belges ont procédé à cet abaissement, car ils jugeaient « raisonnable et objectivement justifié de prendre cette mesure dès lors que l’âge de dix-huit ans est demandé pour toute élection en Belgique ». Ils ont également invoqué « une rupture du principe d’égalité en cas de non-alignement de l’âge d’éligibilité des parlementaires sur celui concernant les autres mandats électifs ». Monsieur le président de la commission des lois, vérité outre-Quiévrain, erreur en deçà ?
Enfin, concernant toujours les principes d’égalité et de cohérence de notre droit électoral, je rappelle que, conjointement avec l’Assemblée nationale, la Haute Assemblée constitue le parlement de la France. Dans ce cadre, nous pouvons être appelés à nous réunir en Congrès pour prendre des décisions majeures pour notre pays.
Aussi, si rien n’oblige à avoir le même mode de scrutin et le même corps électoral dans les deux chambres, il est en revanche très discutable, en termes de droit d’accès à l’élection, de ne pas disposer des mêmes règles d’éligibilité. Il serait sans doute intéressant de consulter le Conseil constitutionnel à ce sujet, ce que je ferai peut-être…
De surcroît, ce seuil d’éligibilité est, je crois, inutile. La nature spécifique de notre chambre ne repose pas sur des compétences législatives spécifiques, voire exclusives. Nous disposons heureusement du même champ de compétences que l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas le cas pour tous les sénats dans le monde.
Notre spécificité de « chambre des territoires » repose, d’un point de vue juridique et législatif, exclusivement sur la nature du corps électoral appelé à nous élire. Le choix d’un sénateur obéit donc à des critères fixés par les grands électeurs, souverains en la matière. Adjoindre à ce processus un critère d’âge spécifique, c’est exprimer une forme de défiance à l’endroit du jugement de nos grands électeurs.
Bref, cette condition d’âge, ajoutée à la nature spécifique du corps électoral du Sénat et de ses modalités de scrutin, fait un peu, mes chers collègues, passez-moi l’expression, « ceinture et bretelles » !
À ceux qui disent qu’un abaissement du seuil d’âge d’éligibilité reviendrait à dénaturer notre Sénat, je veux leur dire sans emphase : « n’ayez pas peur ! » (M. François Bonhomme s’esclaffe.)
La meilleure des preuves, c’est celle qui relève des faits observés. L’abaissement en 2011 de l’âge d’éligibilité de trente à vingt-quatre ans n’a pas provoqué de bouleversement sociologique et démographique au sein du Sénat. Lors des trois renouvellements qui ont eu lieu depuis cette réforme, un seul sénateur de moins de trente ans a été élu.
Par ailleurs, quelqu’un dans cet hémicycle peut-il dire que le niveau de compétences des sénateurs a baissé depuis 2011 et que le Sénat actuel défend moins bien qu’hier nos collectivités locales ? Je ne vois pas de mains se lever, preuve que nous sommes tous d’accord sur ce point !
Dernier argument souvent avancé pour ne pas abaisser davantage l’âge d’éligibilité au Sénat : nombre d’autres hautes chambres en Europe, et ailleurs, fixent elles aussi un âge d’éligibilité de leurs représentants supérieur à l’âge légal de la majorité. C’est vrai, mais elles sont de moins en moins nombreuses. De plus, ce seuil, quand il existe, répond souvent à des considérations très particulières liées aux spécificités des modes de scrutin ou de désignation desdites chambres.
L’Union européenne compte actuellement quarante et une chambres nationales et déjà vingt et une d’entre elles ont adopté un seuil d’éligibilité à dix-huit ans, et sept autres à vingt et un ans.
Si l’on se penche uniquement sur le cas des treize États disposant d’un Parlement bicaméral, six d’entre eux, et non des moindres – l’Allemagne, l’Espagne – disposent d’un seuil d’éligibilité à dix-huit ans pour leur sénat et deux autres établissent celui-ci à vingt et un ans.
Sur les cinq pays restants, dont la France, quatre – l’Italie, la Pologne, la Roumanie et la République tchèque –disposent d’un sénat élu au suffrage universel direct (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), le plus souvent le même jour que la tenue des élections législatives.
Clairement, dans ces pays, la fixation d’un seuil d’éligibilité plus élevé est le seul critère permettant de différencier la composition de la Haute Assemblée de celle de la chambre basse.
Alors, oui, la France fait bien figure d’exception dans le concert des parlements nationaux au sein de l’Union européenne, puisque c’est le seul pays bicaméral où un Sénat élu au suffrage universel indirect, suivant un mode de scrutin très différent de celui de l’Assemblée nationale et à des dates bien distinctes de celle-ci, s’autorise, de surcroît, à fixer un seuil d’éligibilité de six ans supérieur à celui de la chambre basse.
Vous le voyez, mes chers collègues, tout dans cette proposition de loi organique n’est qu’affaire d’équité, de cohérence et aussi de reconnaissance de la légitimité de chacun à espérer concourir à la représentation de la Nation.
À l’heure où la représentation nationale et le Sénat en particulier sont trop injustement vilipendés dans l’opinion, l’abaissement de l’âge de l’éligibilité à dix-huit ans serait un signal fort adressé à plus de 4 millions de nos concitoyens. «
N.B. : à l’issue de son examen en séance publique, cette PPLO n’a pas été adoptée par le Sénat.
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