Mon intervention, ce soir, lors du débat qui s’est tenu en séance à la suite du Conseil européen du 19 juin 2020:
« Madame la Présidente, Madame la Ministre, Mes chers collègues,
La vie en distanciel n’est pas la vie en présentiel. Et en politique, comme ailleurs, nous en faisons tous quotidiennement la délicate expérience.
Difficile en effet de faire une campagne de proximité en distanciel à l’occasion du second tour des élections municipales qui aura lieu ce dimanche.
Difficile également en visioconférence de tenir une réunion de Commission un tant soit peu dynamique; de garder toute son attention lors de marathons virtuels qui nous conduisent parfois à participer à 4 ou 5 visios dans la même journée.
Finies, en dehors des interférences dues à certains micros qu’on oublie de couper, la spontanéité des échanges, les petites pauses ou les apartés informels deux à deux qui permettent souvent d’esquisser un début de compromis ou de rapprochement.
Dans distanciel – cela ne vous aura pas échappé – il y a le mot distance.
Et s’il est vrai que la communication en distanciel autorise bel et bien l’expression des différents points de vue, ce cadre particulier de l’expérience – pour reprendre une expression chère à Erving Goffman – ne permet guère en revanche de construire une relation véritablement interactionnelle et authentiquement dialogique.
Qui signifie en effet un silence dans un échange distantiel et médiaté par les nouvelles technologies de l’information?
Approbation, désapprobation?
Réflexion, inattention?
… Ou tout simplement l’existence d’un problème de transmission ou de réception?
Cette délicate expérience du distantiel, c’est celle que les 27 chefs d’Etats et gouvernement, ainsi que les principaux dirigeants de l’Union, ont pu vivre à l’occasion du sommet virtuel qui s’est tenu vendredi dernier.
Mais cessons de geindre et de laisser croire que les maigres résultats qui ont émané de cette réunion seraient le seul fait de la technologie employée.
Certes, la délicate question du prochain Cadre Financier Pluri-annuel et du Plan de relance européen auraient, peut-être, pu connaître quelques avancées suplémentaires si ce Conseil avait eu lieu en présentiel.
Mais rappelons quand même que les discussions autour du Cadre budgétaire 2021-2027 durent depuis plus de deux ans et que, pour l’essentiel, elles se sont faites en présentiel, sans que leur atterrissage final soit aujourd’hui clair, et ce à 6 mois à peine de sa mise en oeuvre effective.
Tout le monde l’a dit depuis deux semaines: ce Conseil européen ne pouvait être qu’un tour de chauffe; un round d’observation où les dirigeants des 27 Etats-membres ne feraient qu’exprimer leur avis sur cet audacieux projet de paquet budgétaire qui n’a, il faut le souligner, qu’un tout petit mois d’existence !
En dépit de cet étrange sommet “pour voir”, il faut dire aussi que nos diplomaties respectives n’ont, en amont et en aval de celui-ci, pas chômé pour faire avancer les positions des uns et des autres.
Parties à deux le 18 mai dernier, la France et l’Allemagne ont vite été appuyées par la Commission et suivies par une large majorité des Etats membres.
Dans ces délais inaccoutumés à l’échelle de l’Europe, c’est déjà en soi un petit miracle…
Par ailleurs, et même s’ils formulent certaines réserves, c’est sans doute la première fois depuis plusieurs années que les pays du groupe de Visegrad ne sont pas au coeur de l’opposition à un procès d’approfondissement et de renforcement de l’Union européenne. Bel exploit !
L’autre point positif, c’est que c’est l’Allemagne, qui prendra la présidence du Conseil le 1er juillet prochain, qui sera à la manoeuvre lors des négociations finales sur ce grand paquet budgétaire (CFP + Plan de Relance).
D’autre part – et Madame la Ministre confimera ou infirmera – le fait que la présidence allemande annonce la tenue d’une seule grande réunion du Conseil en présentiel dans le courant juillet – plutôt que deux ou trois comme envisagé un temps – limitera les risques de procrastination délétère de la part de certains Etats membres.
Ceux qui connaissent bien l’histoire de la construction européenne savent que les accords européens les plus importants se sont, par le passé, toujours faits sous les hospices de la présidence d’un des grands pays de l’Union.
Au-delà de ces belles raisons d’espérer, on ne peut cependant occulter les actuels points de tensions qui se font jour entre Etats membres, aux premiers rangs desquels figurent les fortes réticences exprimées par les fameux pays dits “frugaux”.
- Peu ou prou, ils contestent le recours à l’emprunt européen pour financer ce plan ou tout au moins la répartition entre subventions et prêts, actuellement nettement en faveur des premières;
- Bénéficiaires de rabais sur leurs contributions nationales, ils refusent leur suppression en dépit du départ du Royaume-Uni;
- Ils insistent sur l’instauration de fortes conditions pour les pays qui devraient principalement bénéficier de ce plan de relance: un semestre européen plus exigeant et l’engagement d’importantes réformes structurelles par les pays bénéficiaires;
- La question des ressources propres est centrale c’est même la clé de voute d’un accord sur ce Plan. Sans nouvelles ressources propres, le remboursement de la dette européenne risque à terme d’échoir principalement aux pays contributeurs nets au budget de l’ Et comme les décisions concernant les ressources sont adoptées tous les 7 ans à la fin de chaque CFP, un changement en profondeur dans ce domaine doit, selon les règles européennes, passer par la procédure législative spéciale qui requiert l’unanimité du conseil, la ratification du parlement européen et celle des parlements nationaux.
Au sein du club des 4 frugaux, les positions ne sont heureusement pas toutes aussi fermes qu’il le semble à première vue…
La Suède et le Danemark pourraient être plus conciliants que l’Autriche et surtout les Pays-Bas.
Concernant l’Autriche, l’histoire des 25 dernières années depuis son adhésion à l’Union, montre qu’elle a souvent tendance à rallier son puissant voisin qu’est l’Allemagne et que celle-ci sous sa présidence européenne pourraît trouver les mots justes pour la convaincre.
Le cas des Pays-Bas est plus délicat car l’euroscepticisme est puissant dans l’opinion et le Premier ministre, Mark Rutte, est actuellement à la tête d’une coalition assez hétérogène qui ne dispose que d’un siège de majorité à la Seconde chambre des Etats généraux.
Pour autant, les nouvelles du jour semblent ouvrir quelles espérances si j’en crois un article paru cet après-midi dans un grand quotidien du soir.
Le déplacement du Président de la république ce soir à la Haye pour rencontrer Mark Rutte n’est sans doute pas étranger à cette soudaine évolution.
Bien sûr, et comme toujours dans une négociation européenne, il y aura certainement des concessions réciproques pour parvenir à un accord.
Madame la Ministre, vous êtes indubitablement combative, mais êtes-vous optimiste quant l’obtention d’un accord au sein du Conseil européen avant la fin du mois prochain?
Et plus précisément, quelles sont les concessions acceptables qui vous semblent pouvoir être faites pour y arriver ?
Je vous remercie. »