André Gattolin interrogeait ce 16 novembre Jean-Yves Le Drian, en séance publique au Sénat. Retrouvez ci-dessous le compte-rendu de cet échange, qui peut aussi être consulté en vidéo.
M. André Gattolin. Monsieur le ministre, à moins de six semaines du début de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, les ambitions de notre pays sont nombreuses, mais les incertitudes qui entourent les actuelles tractations politiques chez notre principal partenaire, l’Allemagne, limitent encore la visibilité de ce qui pourra réalistement être engagé.
À cette incertitude s’ajoute celle d’une actualité imprévisible, qui vient régulièrement bousculer un agenda européen déjà très contraint, sous la forme de crises et de tensions nouvelles appelant des réponses rapides et si possible coordonnées.
Entre le devoir de répondre à ces crises impromptues et la nécessité de renforcer les fondations de l’Union, sous peine d’un déclassement international, il est d’ores et déjà indispensable de se doter d’instruments visant à prévenir des menaces qui se profilent à bas bruit, mais qui ne devraient pas manquer malheureusement de s’amplifier dans les mois à venir.
Parmi ces sujets de préoccupation, la question de la protection des libertés académiques au niveau européen est loin d’être anodine.
La récente mission d’information sur ce sujet, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, a mis en lumière les effets dévastateurs des ingérences étatiques extraeuropéennes dans nos universités et la nécessité de prendre des mesures pour préserver nos libertés académiques et protéger notre patrimoine scientifique.
Le problème n’est pas, tant s’en faut, propre à la France. Les travaux menés par Scholars at Risk et le Global Public Policy Institute mettent clairement en lumière les menaces qui pèsent sur les libertés académiques dans la plupart des pays de l’Union, libertés qui constituent le fondement de l’indépendance, de l’intégrité et de la qualité de nos systèmes universitaires et de recherche.
Pourtant, nous manquons aujourd’hui d’un cadre juridique solide à l’échelle européenne pour protéger ces valeurs essentielles.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que la présidence française pourrait être l’occasion d’accélérer l’élaboration du cadre à mettre en œuvre dans ce domaine à l’échelle européenne ? (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur André Gattolin, vous avez produit un rapport très pertinent sur les nouveaux risques qui se présentent à nous, en particulier les stratégies d’influence agressives, qui brouillent les frontières et, parfois, normalisent certaines formes d’ingérence.
Vous avez souhaité, dans votre rapport, qu’il y ait une prise de conscience renforcée de ces menaces et de ces risques. J’ai coutume de dire que la différence entre le hard power et le soft power a complètement disparu et que les batailles d’influence, les enjeux de puissance et les conflictualités sont partout.
Il n’y a pas, d’un côté, ce que je nommais tout à l’heure la « grammaire traditionnelle des rapports de force », et, de l’autre, ce qui serait plus léger et sur lequel il faudrait porter moins d’attention, à savoir les risques de domination par influence. Je pense que vous avez raison de soulever ce sujet au niveau national. Il faut en effet que nous puissions nous mobiliser davantage sur ce point.
C’est l’une de mes préoccupations en tant que ministre des affaires étrangères. Selon moi, la réponse doit s’intégrer à l’agenda de souveraineté engagé par la boussole stratégique. M. le président Jean-François Rapin faisait référence au fait que cette boussole a été mise sur la table hier lors de la réunion du Conseil des affaires étrangères.
Il convient de développer, pendant la présidence française, certaines actions en particulier.
Ainsi, il faut protéger au niveau européen nos dispositifs d’enseignement supérieur, qui sont des actifs stratégiques. Nous devons échanger sur les bonnes pratiques, disposer de références pour le faire et mener, ensemble, une action de promotion, afin de projeter l’excellence de nos universités et de nos établissements de recherche européens, notamment en Afrique et en Indo-Pacifique, pour les préserver.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.