Sergueï Magnitski. Son nom ne vous dit probablement rien. Pourtant, sa seule évocation suffit à provoquer la fureur de Vladimir Poutine.
De même qu’il faisait mine d’ignorer le travail «insignifiant» d’Anna Politkovskaïa, elle aussi assassinée, celui de Magnitski ne mériterait rien d’autre, aux yeux du président russe, que de tomber dans l’oubli. Le simple fait de prononcer son nom serait un crime de lèse-majesté. L’histoire tragique de Magnitski a ceci de gênant qu’elle renvoie directement aux terribles dérives du pouvoir russe et de ses affidés. Lui qui était avocat et défendait, il y a quelques années encore, les intérêts d’investisseurs américains basés en Russie paya de sa vie des révélations qu’il fit dans le cadre de sa profession. A savoir une vaste opération d’escroquerie au détriment de ses clients, et plus encore de l’Etat russe, qui consista à détourner 230 millions de dollars des caisses publiques, après leur perception par le fisc, avec la complicité d’agents des impôts et de la police. Des agents eux-mêmes chargés d’enquêter sur les faits dont ils étaient accusés et qui embastillèrent celui qui avait levé le voile sur leurs activités. Devenus riches et ayant été promus depuis, ils s’activent désormais à persécuter la mère et la veuve de Magnitski. Car Magnitski a succombé le 16 novembre 2009 sous les coups de ses geôliers, après de longs mois passés en prison à subir de multiples mauvais traitements. Précision : le calvaire dont Magnitski a été la victime, comme les agissements qu’il avait dénoncés, ne font aujourd’hui aucun doute. Ses amis n’ont eu de cesse de réunir une irréfutable documentation pour attester de ce qui lui était arrivé. A tel point qu’une commission officielle indépendante russe en charge de dénoncer les mauvais traitements en prison a utilisé le terme de torture. Pourtant, non seulement les responsables de ce drame restent tranquilles et impunis, mais les «poursuites» qu’ils avaient engagées contre leur victime continuent à titre posthume.
Nous savons que nos gouvernements auront du mal à aborder ce sujet avec Poutine. Il ne faudrait pas heurter trop frontalement celui dont dépend aujourd’hui en grande partie le sort de la Syrie. Cependant, en tant que parlementaires nationaux et européens, nous prenons très au sérieux cette partie de notre mission qui consiste en la défense des libertés publiques et individuelles, dans nos Etats et au-delà de nos frontières. Notre rôle de législateurs consiste aussi à soutenir politiquement, sinon à protéger, les citoyens et démocrates du monde, quand bien même les pouvoirs exécutifs en sont empêchés. C’est à nous de réfléchir aux moyens de peser sur les régimes autoritaires ou autoritaristes, quand les instruments classiques du droit international en sont incapables. S’agissant d’un Etat dont le système pénal et carcéral montre autant de dérives et qui ne cesse de réprimer son opposition démocratique, il nous paraît de notre devoir d’interpeller la société civile, nos diplomaties, et nos collègues parlementaires, et de porter haut ce débat devant nos assemblées.
Certains Parlements du monde se sont déjà emparés du sujet. Aux Etats-Unis, au Canada, en Italie, au Royaume-Uni ou au Parlement européen, des propositions de résolutions – voire de lois – ont été récemment présentées pour accentuer la pression sur les responsables de ce crime et sur leurs protecteurs. Certaines ont même été adoptées. Nous proposons donc que les sénats et les assemblées qui ne se seraient pas encore saisis de cette question le fassent, en s’inspirant des dispositifs en cours de discussion ou ayant été votés.
Il s’agirait d’interdire l’entrée sur nos territoires aux personnes impliquées dans ce crime et de saisir les biens qu’ils pourraient y avoir et dont le financement apparaîtrait suspect, jusqu’à ce qu’ait lieu un procès dont la crédibilité et l’indépendance ne sauraient être mises en cause. L’administration américaine, maintenue sous la pression par son Congrès, indique avoir déjà pris ces décisions. La Suisse également. Le Royaume-Uni, la France, l’Italie – lieux de résidence ou de villégiature particulièrement appréciés par les affidés du pouvoir russe – ainsi que l’ensemble des pays membres de l’Union européenne pourraient leur emboîter le pas.
En frappant les hommes de main de tels régimes au portefeuille ou en les privant de leurs luxueuses villas – les seules valeurs qui leur importent -, nos Parlements enverraient un signal clair, dont devraient tenir compte leurs dirigeants comme les nôtres.
Ils seraient pleinement dans leur rôle.