{{La culture délibérative du Sénat}}
De fait ce sont là deux aspects très intéressants de la culture et des modes de fonctionnement du Sénat.
La culture et les pratiques délibératives y sont, en effet, beaucoup plus développées qu’à l’Assemblée nationale. Non que les désaccords politiques y soient moindres. Les débats y sont souvent tout aussi passionnés et passionnants qu’ailleurs, mais on y accorde davantage d’importance à l’échange d’arguments et à l’élaboration de réponses politiques reposant sur des compromis dynamiques.
Ces dernières années, on a vu plusieurs fois des projets ou des propositions de lois assez largement modifiés, notamment en raison de ces différences de culture entre les deux chambres du Parlement. Et il ne fait pas de doute qu’avec une autre majorité et avec la création d’un groupe écologiste en son sein, le Sénat pourrait tirer pleinement parti de ses spécificités et jouer un rôle bien plus important encore dans l’élaboration des lois.
Il en est de même lorsqu’on pense à la dimension européenne des enjeux que nous avons devant nous. Le Sénat apparaît plus sensible à cette dernière que l’Assemblée nationale ; peut-être parce que ses électeurs, représentants des collectivités territoriales, ont une conscience aigüe de ce que la construction européenne a pu apporter à ces dernières en termes de ressources financières, d’échanges humains, et de respect du fait territorial.
{{Agir pour le renforcement démocratique de l’Europe}}
La question de la construction européenne et de son renforcement démocratique est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Ancien Secrétaire général des Jeunesses Européennes Fédéralistes en Ile-de-France, j’ai beaucoup travaillé tout au long de ma vie professionnelle, associative et militante à la propagation d’une conscience européenne forte et respectueuse de nos identités culturelles régionales et nationales.
J’ai toujours tenté de combiner action locale et implication dans la dimension transnationale qu’est celle de l’Europe. J’ai participé très activement à toutes les campagnes aux élections européennes depuis 1984 auprès de formations ou de personnalités engagées dans la volonté de construire une Europe politique, et soucieuses de donner toute leur place aux citoyens de l’Union.
J’ai eu l’occasion de conduire ce combat pour une Europe empreinte d’une forte dimension sociale et écologiste en Italie, en Belgique, en Allemagne et, bien sûr, tout particulièrement en France. En 1999 et 2009, j’ai très activement participé aux élections européennes aux côtés de Daniel Cohn-Bendit et poursuivi ce travail en tant que chargé de missions auprès des eurodéputés français du groupe des écologistes jusqu’en janvier dernier.
J’ai également eu le bonheur d’organiser en 2008 un important colloque en partenariat avec le Parlement européen et le Mouvement européen, à Strasbourg, sur le thème « Dessiner l’Europe de demain » : un millier de lycéens, les principaux responsables de la presse nationale ainsi que de nombreux parlementaires des principaux groupes politiques de l’assemblée européenne y ont participé.
J’espère naturellement pouvoir poursuivre ce travail au Sénat. Depuis l’adoption du traité de Lisbonne, le rôle des Parlements des Etats membres de l’Union européenne a été renforcé en termes de contrôle et de dialogue avec les institutions de Bruxelles et de Strasbourg, notamment via les Commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat. De même les Députés et les Sénateurs sont amenés à voter très régulièrement les « lois de transposition » par lesquelles les directives européennes sont traduites en droit français.
Enfin, ils ont également un rôle à jouer au niveau du contrôle de l’exécutif, puisqu’ils doivent garder un œil sur les politiques mises en place, dans ce domaine, par le gouvernement.
{{La France, mauvais élève européen en matière de législation }}
Ces tâches sont d’autant plus importantes que la France est loin d’être exemplaire en la matière. Notre pays figure ainsi parmi les plus mauvais élèves en matière de transposition des textes européens ; une tendance que la droite actuellement au pouvoir est très loin d’avoir inversé.
D’abord nous mettons en moyenne deux fois plus de temps que les autres Etats membres de l’Union pour inscrire dans nos lois nationales les règles décidées en commun avec nos partenaires. Ensuite, même lorsque nous respectons les délais, il nous arrive fréquemment de procéder à une mauvaise transcription du texte original : le droit français n’étant pas alors tout à fait fidèle à ce qu’il devrait être.
Les conséquences de ces retards et de ces vices de transposition sont considérables. Notre crédibilité vis-à-vis des institutions européennes et des autres Etats membres en souffre de manière évidente. Les délais que nous nous donnons en permanence pour améliorer notre propre législation sont de l’ordre de l’incompréhensible. Le travail parlementaire, qui ne se porte jamais aussi bien que lorsqu’il est respecté par le gouvernement et se déroule selon un rythme régulier, se retrouve tour à tour entravé, engorgé puis bousculé. Pire encore, la France est souvent condamnée, parfois à de très lourdes amendes, par la Cour de Justice de l’Union européenne pour avoir tardé à transcrire une directive ou en avoir déformé une autre.
{{Un gouvernement qui détourne les directives environnementales}}
En décembre 2008 par exemple, cette dernière nous a imposé une sanction de 10 millions d’euros en raison du retard que nous avions mis à transposer une directive datée de 2001, alors même que le sujet concerné – les OGM ! – aurait dû amener les autorités à faire preuve de diligence…
Et deux jours plus tard seulement, la Cour de Justice prononçait une autre condamnation, à nouveau en raison d’un retard dans la transposition d’une directive visant à protéger l’environnement (cette fois-ci, le texte définissait la notion de responsabilité environnementale) !
Si bien qu’en réalité beaucoup des « avancées » du Grenelle de l’environnement existaient déjà dans la législation européenne, sans avoir encore été inscrites dans le droit français. Les deux lois Grenelle ont ainsi servi dans une large mesure à camoufler ce qui n’était en fait qu’un rattrapage : depuis les nouvelles règles concernant les études d’impact environnemental (la Commission européenne avait dû lourdement insister au préalable auprès du gouvernement français), jusqu’à l’application de « Reach », le règlement qui encadre l’utilisation de nombreuses substances chimiques à travers l’Europe. On savait que l’environnement commençait « à bien faire » : on en avait eu malheureusement la preuve sous nos yeux, et depuis bien longtemps.
{{La non-conformité de la France en matière de régulation financière}}
Autre victime de ce « dilettantisme » à répétition : la régulation financière. Alors que l’on a beaucoup parlé du nécessaire encadrement des revenus financiers, et en particulier des fameux « bonus », la France s’est ainsi illustrée en vidant de son sens la directive européenne qui faisait enfin un pas dans cette direction. L’Union européenne considère en effet que la part « variable » des revenus des banquiers et autres traders, calculée en fonction des résultats et autres prises de risques, ne doit pas excéder leur part « fixe », qui elle ne varie pas.
Or la France a discrètement supprimé dans son propre texte l’idée de « rapport équilibré » qu’il devrait donc y avoir entre ces deux parties, pour ne plus parler que d’un rapport « approprié »… Ce qui aux dires de Jean-Paul Gauzès lui-même, pourtant Député européen UMP, ne veut plus rien dire (http://www.liberation.fr/economie/01012336001-sarkozy-fait-la-fortune-des-banquiers). Aux dernières nouvelles, la Commission européenne entendait enquêter sur ce qui avait pu causer ce malheureux glissement.
{{Poursuivre mes engagements au Sénat}}
On le voit, il y a là beaucoup de choses à améliorer. Le Sénat peut y jouer un rôle évident, ne serait-ce que parce que son rôle est d’entretenir un dialogue permanent avec le Gouvernement et avec les institutions de l’Union européenne, et qu’il est supposé exercer un certain contrôle sur les uns comme sur les autres. On peut certes regretter qu’il ne se soit pas fait davantage entendre en la matière. Mais il faut bien garder à l’esprit qu’il n’y a là rien d’une fatalité.
Comme beaucoup d’autres questions d’ordre politique, celle-ci dépend en grande partie des citoyens, des hommes et des femmes qui s’y intéressent, et des élus qu’ils choisissent pour les servir. Le cas échéant et si je devais faire partie de ces derniers, je m’engage à lui accorder toute mon attention et mon énergie.
André Gattolin