André Gattolin est intervenu ce mercredi 10 octobre 2012 dans le cadre du débat sur les nouvelles perspectives européennes, à la suite de la déclaration du Premier Ministre faite devant le Sénat au nom du gouvernement. Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Chers collègues,
En introduction de mon intervention et en écho à la déclaration du Premier Ministre, je me permettrai de citer les paroles d’un homme politique français qui fut un grand européen et dont les propos ne devraient pas manquer de nous interroger au sujet de la situation actuelle de l’Europe.
Je le cite :
« Tant que nous n’auront pas saisi corps à corps l’idée même de souveraineté, tant qu’on n’aura pas répandu et accrédité la conviction que les souverainetés nationales sont limitées, qu’elles peuvent et doivent être subordonnées à des règles d’organisation collective, il n’y aura pas plus d’Europe rationalisée que d’Europe pacifiée ».
Quelques années plus tard, le même homme politique précisait sa pensée quant à une nécessaire unification de l’Europe en déclarant: celle-ci « suppose la mise en place d’organismes supranationaux dont les décisions s’imposent aux Etats en matière douanière, financière, monétaire, industrielle… » (…), et également « l’établissement de plans communs de production et d’échange, la création d’organismes communs de contrôle, d’exécution, et peut-être de gestion ».
Monsieur le Premier ministre, vous l’aurez sans doute reconnu… Il ne s’agit ni de Jean Monnet, ni de Robert Schumann, ni de Jacques Delors. Cet homme, c’était Léon Blum… dans des écrits et discours qui remontent respectivement à 1930 et à 1948 !
En comparaison avec la clarté de ses propos, on comprend que les citoyens aient du mal aujourd’hui à voir le cap que l’Europe est supposée suivre. Depuis trop longtemps, nous nous sommes contentés de construire l’Europe en réaction aux événements et aux crises, en repoussant sans cesse à demain les mesures impliquant des choix et arbitrages plus profonds.
Des erreurs majeures ont ainsi été commises. Je n’en évoquerai que deux…
D’ABORD, la multitude d’accords de libre-échange qui ont été signés par l’Europe depuis les années 1980 et qui ont ouvert le marché unique bien au-delà du raisonnable, et sans totale réciprocité de la part de nos partenaires extra-européens.
Avant ces accords successifs, une partie des droits de douane perçus à l’entrée de l’Union abondaient directement son budget. En remplacement de cette ressource propre, nous avons dû faire appel à un renforcement des contributions nationales, ce qui n’a fait qu’accroître les marchandages en tous genres entre les Etats membres et limité d’autant la nécessaire croissance du budget de l’Union.
On a ainsi grandement contribué à affaiblir ce qui était, et reste toujours, la principale puissance économique et commerciale de la planète.
LA SECONDE ERREUR MAJEURE a été d’instaurer une monnaie commune sans se doter de véritables instances de cohésion et régulation économiques et financières.
L’euro était supposé protéger nos économies de la spéculation : c’est hélas un objectif que nous sommes loin d’avoir aujourd’hui atteint ! L’Euro devait être un pas de plus vers une Europe plus unie, mais l’Euro et plus encore les citoyens européens paient aujourd’hui l’absence de véritable gouvernance économique de l’Europe ; nous payons aujourd’hui le prix de la non-fédéralisation de l’Europe…
Dans cette optique, il est indispensable de renforcer cette Union économique et monétaire en la dotant d’une véritable dimension fédérale.
Cela passe notamment par une extension du mandat de la BCE, afin de lui permettre de venir en aide aux Etats en difficulté, dans la lignée et le prolongement, notamment, de son nouveau programme de rachat d’obligations.
Cela passe par l’activation, dès cette semaine, du Mécanisme Européen de Stabilité pour soutenir l’Espagne et éviter un terrible effet domino sur les autres économies.
Cela passe aussi par une supervision bancaire intégrée au niveau européen.
Cela doit également passer par une véritable convergence des Etats membres en matière fiscale.
Comme l’a évoqué le Premier Ministre dans sa déclaration, la poursuite de cette convergence fiscale est une impérieuse nécessité. Nous ne pouvons que l’approuver. Cela fait plus de trente ans que les écologistes et les fédéralistes réclament une harmonisation fiscale en Europe !
A l’heure où une partie importante de l’économie se dématérialise et où les consommateurs peuvent de plus en plus facilement se jouer des frontières pour procéder à des achats, ce ne sont pas seulement les emplois qui se délocalisent – à présent dans les services comme dans l’industrie – mais le produit même de la vente effectuée sur un territoire qui est capté par quelques oasis fiscaux surgis au cœur même de l’Union européenne.
A l’heure où il nous est demandé une rigueur financière sans précédent, de telles pratiques ne sont plus acceptables.
A terme, et une fois la convergence opérée, nous pourrions imaginer qu’une part de l’Impôt sur les sociétés aille directement abonder le budget de l’Union européenne.
Le lancement d’une coopération renforcée pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières a été annoncée hier. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette nouvelle. Là encore, il s’agit d’une politique que les écologistes, notamment au Parlement européen, soutiennent depuis un bonne quinzaine d’années !
J’y vois un signe que l’Europe a bel et bien enclenché une évolution que nous espérons salutaire. Mais il ne faudrait pas s’arrêter trop tôt en chemin.
Le budget européen, que le gouvernement précédent espérait diminuer, équivaut à 1% seulement du PIB de l’Union. Pour redonner à l’Union l’élan dont elle a besoin, il conviendrait de faire passer, via la mise en place de nouvelles ressources propres, ce budget aux alentours de 5% à 7% du PIB à l’horizon 2025. Soit l’équivalent de ce qu’a pu accomplir aux Etats-Unis, de 1932 à 1945, le Président Franklin D. Roosevelt. Alors seulement l’Europe pourra se constituer en puissance budgétaire autonome, capable de faire valoir l’intérêt général européen sur les intérêts nationaux trop souvent divergents.
Monsieur le Ministre, l’Union européenne commence doucement à se réveiller. Mais trop souvent encore, on entend dire qu’elle est insuffisamment démocratique, alors que la démocratie se trouve au fondement même du projet européen.
Pour rendre l’Europe fidèle à elle-même, et approfondir les pistes que j’ai évoquées, je ne vois qu’une possibilité : renforcer le pouvoir politique, parlementaire et citoyen sur les orientations de l’Union, à l’échelle du continent comme à celle des Etats membres. Nous devons mieux penser l’articulation entre un Parlement européen renforcé, et les Parlements nationaux. Nous devons lier davantage, sur ces questions, nos exécutifs au législatif. Bref, il faut politiser l’Europe, donner à la politique européenne l’occasion de se déployer à la fois vers les citoyens et sur une base transnationale.
C’est là un vaste mais impérieux chantier, pour lequel si vous êtes résolu à vous y engager, vous aurez le plein soutien des écologistes.
Sous forme de post-scriptum, je rappellerai enfin la devise de l’Union européenne… « Unis dans la diversité ». A l’image de cette devise, les écologistes sont divers, parfois très divers comme s’agissant de leurs positions sur la ratification du nouveau traité européen… Mais comme vous l’aurez vu, nous sont bel et bien unis dans notre combat pour l’instauration d’une Europe fédérale.