Budget rectificatif 2012 et pacte de compétitivité

Crédit Impot, TVA : André Gattolin s’est exprimé au nom du groupe écologiste lors de la discussion du projet de loi de finance rectificative vendredi 14 décembre.

 

Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

 

 

Le vote d’un PLFR en fin d’année est, en général, un exercice relativement facile, qui consiste à ajuster les ouvertures de crédit de l’année en cours, en tenant compte des différences survenues entre les prévisions de début d’année et la réalité de l’exécution en cours d’année.

Mais cette année, je dois dire, sans acrimonie, que nous nous essayons à un exercice des plus hétéroclites dans sa forme et des plus contorsionnistes dans les objectifs fixés et les effets espérés. J’aurai l’occasion d’y revenir.

 

Tout d’abord, le groupe écologiste se réjouit des mesures du projet de loi de finances rectificatif pour 2012 concernant la fraude fiscale.

En effet renforcer la lutte contre la fraude et pour la transparence sont des enjeux très importants en matière de justice sociale comme d’équité fiscale.

Nous souscrivons pleinement aux propositions qui visent à imposer davantage de transparence aux contribuables, à renforcer les moyens d’action de l’administration dans ce domaine, à accroître la responsabilité des auteurs de montages fiscaux complexes, à améliorer la traçabilité des produits du tabac et à aggraver les sanctions en cas de fraude.

 

De même, nous nous félicitons également de la mise en place d’autres mesures qui permettent de déjouer diverses stratégiesd’optimisation fiscale, notamment en matière de transmission de patrimoine entre personnes physiques.

Le texte prévoit également l’augmentation du plafond de la garantie attribuée à Dexia, conformément à l’accord passé avec la Belgique le 8 novembre dernier : c’est une bonne chose.

Ces mesures sont très largement encouragées par les écologistes.

Il convient aussi de souligner que ce PLFR entérine dans nos comptes publics la réduction de la charge de la dette opérée cette année grâce à des taux d’intérêt encore plus bas que prévus sur les marchés obligataires. Sur ce point, il serait malhonnête de ne pas accorder un satisfecit à l’actuel gouvernement qui, bien loin des prédictions catastrophiques annoncées en la matière par l’ancienne majorité durant la campagne présidentielle, a su agir avec une très grande dextérité pour ne pas subir les effets négatifs de la dégradation de la note du pays.

 

J’aurais aimé pouvoir m’arrêter là, conclure sur cette note positive… Mais je vois qu’il me reste encore beaucoup de temps de parole, et malheureusement beaucoup de choses à dire sur les articles précipitamment ajoutés au PLFR 2012 initialement prévu.

 

Le revers de la médaille, ce sont, sans surprise, les articles reprenant le fameux « pacte de compétitivité » du Gouvernement.

Le Crédit d’Impôt Compétitivité et Emploi proposé par lr gouvernement coûtera en effet pas moins de 20 milliards par an avec un financement reposant sur trois piliers :

– 10 milliards d’économies supplémentaires en dépenses, dont le moins que l’on puisse dire c’est que nous n’avons pour l’instant aucune visibilité quant aux champs où elles s’appliqueront…

– 7 milliards d’augmentation de la TVA à compter du 1er janvier 2014. Avec des modalités d’application qui restent à définir et à évaluer en termes d’impacts concret sur notre économie…

– et une nouvelle fiscalité écologique dont le rendement atteindra 3 milliards d’euros, peut-être avant 2016. En la matière, le flou sur ces mesures, qui en tant qu’écologistes nous intéressent tout particulièrement, est encore plus épais que la brume qui entoure actuellement les deux autres sources de financement précédemment évoquées…

 

Monsieur le Ministre (Cahuzac), en février dernier, votre collègue du Budget s’insurgeait contre la TVA sociale en démontrant que son objectif était de faire payer aux consommateurs les gains de compétitivité pour les entreprises et, à l’époque, il encourageait le précédent Gouvernement à assumer ses choix.

 

Alors, et je suis désolé, mais j’en viens à m’interroger : qu’est ce qui a changé à ce niveau-là depuis février ?

 

Le pouvoir d’achat des ménages ne s’est pas amélioré,

la TVA reste un impôt profond injuste car son augmentation pénalise toujours davantage les catégories populaires et les classes moyennes que les populations le plus aisées.

 

Permettez moi donc, au nom des écologistes, d’exprimer ma très grande perplexité quant à cette hausse de la TVA.

Certes, elle n’augmente que de 0.4 point sur la fourchette supérieure passant de 19.6 % à 20 % ; mais qu’en est-il pour la tranche intermédiaire ?

Une augmentation de 3 points ! Une augmentation, qui va directement et négativement impacter les ressources de certains secteurs essentiels de notre économie, de la vie sociale et culturelle de nos concitoyens.

C’est le cas du secteur des transports en commun, du secteur de la rénovation du bâtiment et de nombreux secteurs de la culture.

Transports en commun et rénovation des bâtiments sont pourtant deux axes forts d’une véritable politique de transition écologique de notre économie. Ce sont aussi des secteurs où l’emploi n’est pas délocalisable.

 

Le Président de la république, depuis l’ouverture de la conférence environnementale en septembre dernier, a exprimé à plusieurs reprises sa volonté d’agir fortement dans ces domaines.

Le Chef de l’État a annoncé, par exemple, un grand plan pour la rénovation thermique pour atteindre «un million de logements mis aux normes chaque année». 

De quelle manière le Gouvernement parviendra-t-il à tenir ses promesses tout en alourdissant le coût des secteurs essentiels de la transition écologique via une hausse de la TVA?

 

Si le gouvernement veut tenir les promesses du président à l’horizon 2014, il devra donc engager des dépenses supplémentaires très substantielles, d’abord pour contrebalancer les effets négatifs du PLFR sur ces secteurs et ensuite pour inverser la tendance.

 

La hausse prévue du taux intermédiaire de TVA pourrait en l’état annihiler une bonne part des effets économiques attendus à travers la mise en place d’une fiscalité écologique.

En termes macro, comme en termes micro-économiques, il ne nous paraît pas logique de dissocier de la sorte les effets des mesures lourdes entourant le pacte de compétitivité et les objectifs logiquement recherchés à travers la future fiscalité écologique que vous dites vouloir prochainement instaurer.

Nous parlons beaucoup aujourd’hui du retard de la France en matière de compétitivité, mais nous oublions étrangement de souligner notre retard en matière de fiscalité écologique : Les taxes environnementales au Danemark et au Pays-Bas représentent respectivement 5,7 % et 3,9 % du PIB, contre seulement 2,1% en France.

Lorsque les écologistes proposent la suppression des niches fiscales anti-écologiques, ou la mise en place d’une véritable fiscalité verte, on nous répond qu’il faut prendre le temps d’étudier les impacts, de se concerter… etc.

En revanche, on notera que lorsqu’il s’agit de demander aux parlementaires de voter de très lourds crédits d’impôt « compétitivité emploi », on se passe malheureusement, et assez facilement, de toute réelle étude d’impact et de toute conférence de concertation…

 

Certes, les mesures entourant le CICE doivent être entérinées rapidement pour permettre aux entreprises d’anticiper leurs investissements 2014. C’est un argument pertinent, surtout quand on connaît la manière dont les entreprises fonctionnent.

 

Là où le bât blesse, c’est que le crédit d’impôt, tel qu’il est conçu ne permet pas, à notre sens, de répondre de façon stratégique aux enjeux de l’économie et de l’industrie française.

Il n’y a aucune sectorisation des aides, on ne fait , au contraire, que consolider les secteurs traditionnels de notre économie bien souvent vieillissante.

 

Nous avons voté, il y a quelques jours la création de la Banque Publique d’Investissement : pourquoi ne pas prendre exemple sur ce projet de loi, co-élaboré avec les parlementaires, dans le souci de la transition écologique, du développement des PME et des filières d’avenir ?

 

Le CICE, lui ne prévoit aucune critérisation, mise à part l’interdiction de financer une hausse des dividendes ou une augmentation des rémunérations de la direction des entreprises par voie d’amendement à l’Assemblée Nationale. C’est d’ailleurs bien le minimum que l’on puisse demander.

 

Les sénateurs et sénatrices écologistes sont soucieux de la bonne tenue de notre économie et se préoccupent sincèrement du sort des entreprises et tout particulièrement de celui de nos PME-PMI et de nos TPE…

Mais, comme nous sommes parcimonieux concernant l’usage de l’argent public, nous nous méfions des chèques en blanc qui pourraient être donnés à certains…

Je rappelle quand même que Total a engrangé plus de 12 milliards d’euros de bénéfices en 2011, que BNP Paribas suit avec 6 milliards d’euros, et Sanofi : 5,7 milliards.

Je ne suis pas certain que ces entreprises aient vraiment besoin de l’argent de nos impôts !

 

Aujourd’hui, seul le Medef semble véritablement se réjouir des mesures annoncées et notons au passage qu’il crie quand même au scandale dès que l’on parle de contreparties.

 

Et bien, les écologistes, eux, réclament des contreparties, et contrairement au Medef, nous faisons bel et bien nous partie de la majorité parlementaire de gauche !

 

Comment peut-on accepter de subventionner aussi indifféremment le secteur privé, sans conditions, tandis que l’on envisage de réduire encore de 10 milliards d’euros les dépenses de l’État ?

Le vote du Projet de Loi de Finances 2013 a déjà été assez douloureux pour tous les ministères qui ont perdus en moyens d’action pour mener leurs politiques publiques, dans l’écologie, la culture, la santé et bien d’autres encore !

 

Par ailleurs, le Crédit d’Impôt dit vouloir agir pour l’emploi, mais la mesure, appliquée en fonction de la masse salariale brute supportée au cours de l’année pour les rémunérations inférieures ou égales à 2,5 SMIC, ne risque-t-elle pas de créer un effet de seuil, de tirer certains salaires vers le bas ?

Je crains, en effet, que toutes les personnes dont les salaires sont inférieurs à ce seuil n’obtiennent pratiquement plus de valorisation de leurs salaires.

 

A ce sujet, je voudrais savoir, Monsieur le ministre, si vos services ont été étudié avec précision cette question…

 

« La compétitivité est un faux prétexte, ce n’est pas en baissant de quelques points les cotisations patronales qu’il y aura quelques progrès que ce soit pour notre commerce extérieure ». Cette phrase, prononcé par François Hollande en février dernier est, à notre sens, pleine de bon sens et les écologistes sont d’accord pour dire que le problème de notre compétitivité est loin de résider dans le seul coût du travail.

 

Pour nous, le problème est avant tout « hors coût », c’est-à-dire dans une défaillance structurelle des entreprises au niveau de l’innovation, de l’investissement, de la recherche.

 

Il nous semble primordial de concentrer les aides sur les entreprises en difficulté conjoncturelle, sur les TPE et notamment l’entreprise individiuelle non concernée par le CICE malheureusement (!), les PME, l’économie locale et non délocalisable, les filières d’avenir, et notamment dans le domaine des énergies renouvelables.

 

La politique industrielle de la France doit prendre en compte une vision globale et stratégique des enjeux économiques, sociaux et écologiques.

 

Les sénateurs et sénatrices écologistes craignent que le CICE, mis en place précipitamment et sans objectifs sectoriels, créent, en fait, plus d’effets d’aubaine que de résultats pour l’emploi.

 

Pour conclure, nous sommes d’accord pour dire que le PLFR 2012 contient de bonnes mesures, notamment concernant le fraude fiscale, mais je dois avouer qu’il nous laisse plus que « perplexe » sur le Crédit d’Impot Compétitivité – emploi, son financement et ses méthodes.

 

C’est donc, avant tout, dans un esprit de responsabilité à l’égard de nos concitoyens et de la majorité gouvernementale à laquelle nous appartenons pleinement et avec, en permanence dans notre esprit, la volonté de faire avancer les projets qui nous tiennent à cœur sur de nombreux autres sujets, que nous voterons au final – mais non sans réserves – ce PLFR 2012.

Je vous remercie.