A l’occasion de la discussion de la proposition de loi sur la fiscalité numérique, André Gattolin a appelé à une réforme globale du système fiscal pour faire face aux mutations profondes de l’économie.
« Monsieur le Président,
Madame La Ministre,
Mes Chers collègues,
Je voudrais tout d’abord remercier notre collègue et président de la commission des finances, M. Philippe Marini, pour sa proposition de loi et aussi tous les travaux préalables et rapports qu’il a produit en amont sur l’économie numérique et sur sa fiscalité.
Au-delà des clivages politiques qui peuvent parfois exister au sein de cette assemblée, je crois qu’il est bon de souligner l’importance et la qualité du travail qui a été effectué.
Cette proposition de loi ne nous offre pas seulement l’occasion de débattre de la fiscalité numérique ;
elle nous permet, également et plus généralement, de réfléchir à notre capacité à financer demain les politiques publiques que nous aurons à mettre en œuvre pour répondre aux défis nouveaux qui bouleversent notre société et à leurs conséquences tant économiques que sociales.
L’objectif de rétablir une neutralité fiscale en taxant équitablement les géants américains de l’Internet proportionnellement à leurs chiffres d’affaires en France est régulièrement débattu au Sénat depuis 2010.
La proposition de loi qui vise à introduire une nouvelle taxe sur les revenus publicitaires en ligne via une déclaration d’un représentant fiscal sur le territoire s’inscrit dans cette réflexion ; elle constitue une piste intéressante pour recouvrer le pouvoir d’imposer des bénéfices qui sont réalisés sur notre territoire par les entreprises de l’économie numérique.
Elle est positive…
– en ce qu’elle rééquilibre un peu la situation non-concurrentielle des entreprises françaises victimes des stratégies d’optimisation fiscale des Gafa ; du fait de l’établissement de leur siège social dans des pays européens pratiquant une forme de dumping fiscal.
– Elle est également pertinente dans la mesure où elle affecte les taxes prélevées au budget général de l’Etat – et non à un secteur particulier de l’économie – ce qui permet d’augmenter nos marges pour financer l’ensemble des politiques publiques que nous devons mettre en oeuvre face à des mutations qui impactent notre économie et nos équilibres sociaux bien au-delà du seul domaine des industries culturelles.
Mais elle est malheureusement, à notre sens, trop partielle, du fait qu’elle n’explore qu’une partie de l’économie numérique, en ciblant essentiellement les GAFA et laissant de côté toutes les autres entreprises qui collectent des données personnelles ou agrègent des contenus produits par d’autres pour les redistribuer et les commercialiser à leurs compte…
Ceci contribue à réduire considérablement l’assiette de l’impôt qui devrait normalement être prélevé et rend malheureusement très marginale la ressource que devrait générer la fiscalité du numérique au regard de la fiscalité globale.
De ce point vue, le rapport sur la fiscalité numérique, remis au Gouvernement le 18 janvier, apporte de nouvelles pistes pour élargir l’assiette fiscale dans ce domaine.
Le Groupe écologiste estime donc nécessaire de se donner le temps nécessaire pour étudier avec attention les conclusions du rapport de MM. Colin et Collin.
A propos de ce rapport, permettez-moi de souligner l’intérêt du dispositif d’incitation fiscale qui privilégie les « bonnes pratiques » en matière de protection des données personnelles.
L’application du principe « prédateur-payeur » en matière de protection des libertés individuelles telle que préconisée par le rapport s’inspire fort justement du dispositif « pollueur-payeur » qui sous-tend la fiscalité environnementale et c’est là une piste très intéressante.
Le Groupe écologiste s’associera donc à la motion de renvoi en commission du texte tout en insistant sur la nécessité, dans un terme très rapproché, d’instaurer une régulation fiscale du secteur de l’économie numérique.
Au-delà de l’urgence qu’il y a donc à circonscrire l’optimisation fiscale massive des géants de l’industrie numérique, j’aimerais également souligner que nous ne pourrons pas nous dispenser, à moyen terme, d’appréhender plus généralement l’ampleur des mutations qui travaillent nos sociétés en ce domaine.
Notre économie connaît depuis 20 ans une transformation rapide et profonde, mais la fiscalité qui s’y attache demeure, elle, très largement fondée sur les structures qui prévalaient dans l’économie d’hier.
Pour résumer, nous dirions que notre fiscalité reste encore très largement inscrite dans le cadre national d’une production matérielle et territorialisée, fondée sur une logique de stock avec pour horizon l’idée d’une croissance illimitée se refusant à intégrer dans ses coûts les externalités négatives qui résultent de la sur-exploitation des richesses naturelles de l’accaparement et la privatisation de plus en plus systématique du bien commun.
Mais la réalité aujourd’hui, c’est que notre économie évolue dans un cadre de plus en plus mondialisé, déterritorialisé où les biens produits sont de plus en plus immatériels, où les relations humaines et les échanges commerciaux sont de plus en plus dématérialisés, où la frontière entre production et consommation devient de plus en plus difficile à établir, ou la création de valeur et de richesse est de plus en plus déconnectée des actifs physiques et se fondent de plus en plus sur des logiques de flux et non plus de stocks, et où la destruction de notre environnement local et global ainsi que la sur-exploitation des ressources naturelles de la planète ont désormais des impacts considérables en termes de coûts immédiats sur l’économie et dans nos comptes publics.
On le voit, pour faire face à ces mutations profondes, c’est donc l’architecture globale de notre fiscalité que nous devons repenser.
Pour les écologistes, répondre à ces trois grands défis majeurs que sont la mondialisation économique et financière, la révolution numérique et informationnelle et enfin l’impératif de transition écologique de notre économie, suppose de mettre en place et de développer trois types de fiscalités nouvelles pour abonder nos moyens d’intervention, de régulation des changements qui s’opèrent dans notre société.
L’instauration d’une fiscalité numérique est un de ces trois piliers indispensables.
Mais celle-ci doit aussi s’articuler avec deux autres grandes initiatives en matière fiscale.
La première, c’est naturellement l’instauration rapide d’une véritable fiscalité écologique dans notre pays. Le Président de la République et le gouvernement ont pris des engagements en ce sens, mais le retard à combler est énorme car notre pays figure actuellement aux derniers rangs des pays de l’union européenne en la matière.
La seconde concerne la taxation des flux financiers à l’échelle nationale et internationale.
Cela fait 15 ans que les écologistes soutiennent le principe d’une telle taxe et le consensus politique qui semble aujourd’hui émerger en France sur cette question ne peut que nous satisfaire.
Mais, avouons-le, les assiettes fiscales actuellement retenues en la matière sont encore bien trop étroites pour donner aux pouvoirs publics les ressources nécessaires pour compenser les coûts économiques et sociaux induits par la mondialisation financière.
Pour conclure, je dirais que nous avons dans les trois domaines que je viens d’évoquer d’importants efforts à faire. Nous devons être très ambitieux en matière de contrôle, de taxation et de régulation des flux financiers comme en matière de fiscalité écologique et de fiscalité numérique.
Et pour le dire très concrètement, je ne vois pas comment l’Etat pourrait raisonnablement faire face à tous les défis auxquels nous sommes confrontés si l’ensemble des trois domaines de fiscalité nouvelles que je viens d’évoquer ne correspondait pas à horizon de 10 ans à au moins 15 % de ses recettes budgétaires.
Je vous remercie »