A l’occasion du débat sur la couverture numérique du territoire au Sénat le 2 avril, André Gattolin a rappelé l’engagement du groupe écologiste en faveur de l’égalité territoriale. Il a également souligné la nécessité, en matière de fracture territoriale, de réfléchir globalement, c’est-à-dire en termes d’écosystèmes et ne pas se focaliser exclusivement sur la question de l’aménagement numérique.
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DEBAT action des collectivités locales et couverture numérique du territoire – André Gattolin – 02/04/2013
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Messieurs les Rapporteurs,
Mes chers collègues,
Permettez moi en premier lieu de saluer le travail de mes collègues Yves Rome et Pierre Hérisson.
Puisque l’heure même au Sénat est aux anglicismes, je dirais que le « double-play » gagnant des rapporteurs a remarquablement mis en lumière les blocages et les difficultés se rapportant au déploiement du très haut débit en France.
Le plan établi sous le quinquennat du précédent gouvernement se fixait comme objectif de couvrir l’intégralité des foyers en THD d’ici à 2025.
Nous en sommes encore très loin, puisqu’actuellement seuls 2 millions de logements sont raccordés en fibre optique.
Notre retard par rapport aux autres pays de l’Union européenne est sérieux, d’autant que les territoires aujourd’hui équipés dans notre pays sont concentrés dans les zones les plus urbanisées.
Face à ce constat, le Groupe écologiste suit avec attention les orientations stratégiques qui ont été affichées par le Président de la République à Clermont-Ferrand le 20 février dernier.
La couverture en THD de l’ensemble du territoire en 2022 a constitué un de ses engagements de campagne.
Pour se faire, il a donc récemment appelé à un investissement public et privé de 20 milliards d’euros dans les dix prochaines années.
« L’ambition numérique » du gouvernement repose sur la volonté de réduire la fracture numérique, d’améliorer la compétitivité des entreprises et d’offrir une meilleure offre de services numériques dans les zones peu denses.
Le Groupe écologiste partage l’objectif général d’assurer l’égalité territoriale.
En effet, en l’absence d’infrastructures numériques adaptées, l’attractivité des territoires décline et favorise le départ ou la non-installation d’activités à forte valeur ajoutée dans ces zones.
Il s’agit cependant d’un investissement considérable qui fait porter une charge lourde aux pouvoirs publics.
Sur les 20 milliards dédiés à l’ambition numérique du Gouvernement, l’investissement public devrait représenter environ 6 milliards d’euros ; une somme dont l’Etat assumerait la moitié du financement aux côtés des collectivités locales dans les zones jugées les moins rentables.
Dans la période de crise financière et économique que nous traversons, nous devons donc nous assurer que nous allons opérer les bons choix technologiques et trouver les systèmes de financements les plus pertinents.
Compte tenu de l’évolution des besoins en matière de numérique, la fibre optique est sans doute la technologie la plus appropriée aujourd’hui.
Mais l’objectif d’une couverture totale du territoire en THD est-il réaliste économiquement et sa charge la plus équitablement répartie ?
Car, en l’état général de l’économie du numérique, ces investissements profiteront en premier lieu aux géants de l’Internet ; des entreprises très habiles pour s’approprier la valeur des contenus diffusés via le numérique et qui se dispensent aujourd’hui d’acquitter la TVA ou l’impôt sur les sociétés en France.
Le rapport Colin-Collin sur la fiscalité du numérique a d’ailleurs souligné cet effet induit, en pointant que le déploiement du très haut débit « promet également d’être un facteur d’accélération radicale du mouvement de transformation de l’économie issue de la révolution numérique, y compris la domination des grandes sociétés américaines du numérique et leur montée en puissance dans la chaîne de valeur de tous les secteurs de l’économie. Comme tout progrès technique fondé sur le logiciel connecté en réseau, le très haut débit porte en germe le creusement de l’écart entre les entreprises qui dominent le marché et les autres ».
Par ailleurs, si la couverture en haut débit du pays est essentielle pour lutter contre la fracture territoriale et contre la fracture numérique, elle ne solutionne cependant pas à elle seule ces questions…
Les inégalités en matière d’accès et surtout d’usages du numérique ne se réduisent en effet pas à une simple question de « tuyaux ».
Il existe aussi des disparités très fortes en matière de qualité des équipements personnels et familiaux et de coûts d’accès à certaines informations ou à certains logiciels.
Des disparités existent aussi en matière de protection et de sécurisation des données personnelles ou professionnelles, ainsi qu’en matière d’intensité d’usage et de nature d’utilisation du numérique.
Concernant la fracture territoriale, notre vaste et beau pays n’est malheureusement pas en proie qu’aux seules disparités liées à un accès très inégal aux infrastructures numériques.
Loin de moi évidemment l’idée de minimiser leur importance et le rôle qu’elles joueront demain pour la compétitivité de la France et la revitalisation économique de ses territoires !
Mais cette question de la fracture numérique territoriale ne doit pas être isolée de la question plus large de la disparition ou de la « rationalisation » excessive de certains services publics, de la fermeture de commerces, de la raréfaction des activités sociales sur des zones immenses de notre territoire.
Il faut, en matière de fracture territoriale, réfléchir globalement, c’est-à-dire en termes d’écosystèmes et ne pas se focaliser exclusivement sur la question de l’aménagement numérique.
Car il ne faut pas se le cacher : quand la ressource est rare et les besoins nombreux et variés, nous devons procéder à des arbitrages complexes – budgétaires et financiers notamment – afin de ne pas déshabiller Paul pour habiller Jean !
Quand je vois l’investissement que le Conseil territorial de St-Pierre-et-Miquelon vient d’engager pour l’aménagement numérique du petit archipel, je me demande si une meilleure desserte en transports, une forte amélioration desinfrastructures sanitaires et éducatives n’auraient pas dû être tout aussi prioritaires.
La question est donc à la fois stratégique et financière.
Elle nécessite d’abord d’avoir une idée précise de combien coûtera réellement l’aménagement global du pays en THD.
On parle aujourd’hui de 20 milliards d’euros… On parlait de 30 milliards, voire davantage, il y a encore quelques mois.
Une étude précise sur ce sujet devrait prochainement être rendue publique. Nous l’attendons avec impatience !
Dans ce contexte, les écologistes seront particulièrement attentifs à ce que ces grands opérateurs privés participent pleinement et largement aux financements des « tuyaux » numériques dont ils seront les premiers bénéficiaires.
On le voit aujourd’hui, les intérêts de l’opérateur historique France-Télécom/Orange dans la valorisation de son patrimoine dans le réseau cuivre « ADSL » entrave les investissements nécessaires.
Il est donc urgent d’obtenir la plus grande transparence sur la réalité des réseaux très haut débit construits à ce jour, et sur les conditions ou les projets d’extension de ces réseaux. Transparence également sur les conditions d’attribution des aides du FSN aux Collectivités Territoriales pour la réalisation des Réseaux d’Initiative Publique.
La connaissance des déploiements doit être accessible à tous, en mode ouvert dit « open data ».
En conclusion, le Groupe écologiste réaffirme son soutien à un développement harmonieux des territoires sur le plan numérique.
Mais il s’inquiète de la mise en place d’une logique qui reviendrait, comme souvent, à privatiser les bénéfices d’une telle opération et à socialiser les pertes.
Les écologistes en appellent donc à un autre modèle, celui du service public local : les collectivités locales doivent être en responsabilité sur l’intégralité de leur territoire, contrôler la qualité, les tarifs, les investissements, les conditions d’accès dans le respect des principes du service public (égalité, neutralité, continuité…), comme c’est le cas pour tous les autres réseaux collectifs, notamment l’eau et l’électricité.
Les réseaux de télécommunications doivent être conçus comme une infrastructure publique et mutualisée, sur la base de laquelle les opérateurs organiseront les services.
Les pré-requis techniques et juridiques à cette organisation sont en place, il faut maintenant la volonté de les activer.
Je vous remercie.