Ci-dessous, un article de Pierre Haski paru ce jour dans Rue89.com sur le traité d’extradition avec la Chine, qui sera soumis au vote du Sénat cet après-midi.
Tollé contre un traité d’extradition franco-chinois soumis au Sénat
Article original : http://www.rue89.com/2013/05/29/tolle-contre-traite-dextradition-franco-chinois-soumis-senat-242762
Pierre Haski, Rue89.com
C’est un projet de loi d’apparence routinier qui arrive à l’agenda du Sénat ce mercredi, mais qui fait hurler les défenseurs des droits de l’homme et certains parlementaires de la majorité : la ratification d’un traité d’extradition franco-chinois.
Dans un appel d’urgence aux sénateurs, Amnesty International France leur demande de ne pas ratifier ce traité, que Nicolas Bequelin, un chercheur de Human Rights Watch basé à Hong Kong, qualifie pour sa part de « léonin ».
Pour le sénateur Europe Ecologie-Les Verts André Gattolin, qui se mobilise contre la ratification, c’est un traité « honteux ».
Le plus paradoxal est que ce traité d’extradition a été signé en… 2007 par Pascal Clément, le garde des Sceaux de Jacques Chirac, et qu’il dormait sagement dans les limbes parlementaires depuis. Pourquoi l’avoir réactivé sans se poser de questions six ans plus tard ?
Un traité d’extradition conclu avec un pays certes devenu la deuxième puissance économique mondiale, mais dont le bilan en matière de droits de l’homme et de construction d’un Etat de droit reste très discutable n’est pas anodin.
Les précautions du traité
Le traité prend de nombreuses précautions, notamment en excluant les personnes potentiellement soumises à la peine de mort – applicable en Chine qui détient le record absolu du nombre d’exécutions, abolie en France –, et les cas de nature politique. Le texte précise en son article 3 :
« L’extradition n’est pas accordée :
a) Pour les infractions considérées par la partie requise comme des infractions politiques ;
b) Lorsque la partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de sexe, de religion, de nationalité, d’origine ethnique ou d’opinions politiques ou lorsque donner suite à cette demande causerait un préjudice à la situation de cette personne pour l’une quelconque de ces raisons. »
Les objections des défenseurs des droits de l’homme
Mais Amnesty International fait valoir dans son rapport annuel 2013 que le système judiciaire chinois dans son ensemble reste « très politique », et donne lieu à des procès « inéquitables », même dans les affaires de droit commun. La France en conclut :
« L’ensemble de l’appareil policier et judiciaire chinois est donc défaillant et inapte à assurer le respect des droits des personnes concernées. Le traité d’extradition que la France a signé n’offre aucune garantie de ce point de vue. »
De son côté, Nicolas Bequelin, un expert français auprès de Human Rights Watch, spécialiste du droit chinois, confie ses doutes à Rue89 :
« C’est un traité léonin qui reflète les préoccupations liées à l’immigration clandestine.
Il ouvre la porte à la possibilité de requêtes politiquement motivées de la part du gouvernement chinois, par exemple sur les cas de réfugiés tibétains ou ouigours, qui placeront la France dans une position défensive et soumet le système judiciaire français à interagir avec un pays qui ne reconnaît pas l’indépendance de la justice ou celle des juges, dont le barreau reste prisonnier du ministère de la Justice, et auquel les membres du parti communistes sont soustraits.
Les garanties avancées par les défenseurs du projet sont insuffisantes et en pratique irréaliste pour quiconque est familier avec le fonctionnement du système judiciaire en Chine. »
« Ce traité a été rédigé par la partie française »
Présentant le projet de loi au nom de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, le sénateur socialiste de la Drôme Jean Besson (également président du groupe d’amitié France-Chine), apporte les précisions suivantes :
- « Ce traité a été rédigé par la partie française ;
- il reprend les dispositions de la convention européenne sur l’extradition ;
- il est même plus rigoureux que cette convention car elle ne permet pas d’extrader une personne qui risquerait d’être condamnée à mort.
En l’absence d’un tel traité, on doit s’en remettre au bon vouloir de la Chine d’accepter nos demandes d’extradition. Autrement dit sans ce traité, on ne peut exiger la remise d’un de nos nationaux pour le juger en France. »
Ces dernières années, les cas de demandes d’extradition entre les deux pays ont été très rares. Certains ont donné lieu à de véritables cas de conscience, comme une affaire d’un étudiant chinois qui avait assassiné sa compagne chinoise en Chine avant de se réfugier en France, et que Pékin voulait juger en Chine, où il risquait la peine de mort. Le livrer, c’était le condamner à mort, refuser, c’était soustraire un meurtrier à la justice…
Une autre affaire qui a fait réfléchir à Paris a été, l’an dernier : le cas de cet architecte français recherché par la Chine dans le cadre de l’affaire politico-criminelle liée au cadre du Parti communiste Bo Xilai, purgé l’an dernier.
L’architecte Patrick Devillers, qui avait travaillé avec la femme de Bo Xilai, accusée du meurtre d’un Britannique, a été arrêté au Cambodge et était sur le point d’être livré à la Chine quand la France est parvenue à bloquer l’extradition. Patrick Devillers s’est ensuite rendu à la convocation des enquêteurs chinois de son propre chef, après avoir obtenu toutes les garanties.
Rapports politiques avec la Chine
Au-delà des affaires réelles qui existent entre les deux pays à l’heure de la mondialisation, avec la multiplication des trafics humains, des échanges économiques et touristiques décuplés, reste la question très politique des rapports avec la Chine.
François Hollande a voulu, notamment pour des raisons économiques mais aussi stratégiques, placer ces rapports sur un mode de confiance et de cordialité, comme l’a montré son récent voyage à Pékin ; comme l’a montré, aussi, cette Légion d’honneur discrètement décernée à l’ambassadeur de Chine en France au moment de son départ.
Pour autant, il ne peut faire abstraction des objections fortes de ceux qui considèrent que les rapports avec la Chine ne doivent pas faire abstraction de la nature de son régime (le prix Nobel de la paix Lu Xiaobo croupit toujours en prison…), et en particulier de la lenteur des réformes politiques par rapport à l’ampleur des transformations économiques. Un traité d’extradition est, à leurs yeux, un mauvais symbole.