André Gattolin est intervenu en séance, mercredi 27 novembre, pour porter la parole du Groupe écologiste au Sénat dans la discussion générale portant sur l’article 41 du Projet de loi de finances pour 2014
« Évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’état au titre de la participation de la France au budget de l’union européenne » (1)
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,
Il y a quelques jours, le Premier Ministre a annoncé sa volonté de lancer une vaste réforme fiscale.
On ignore encore quelle sera au final l’ampleur de cette réforme, mais en connaît quand même plusieurs des objectifs affichés : la recherche d’une plus grande justice fiscale et une plus grande lisibilité de l’impôt.
Cette lisibilité, aussi indispensable que l’impôt lui-même, est une garantie de son efficacité et de son équité. C’est aussi le moyen, pour le citoyen, d’accepter, d’assumer cette charge commune, de la reconnaître pour ce qu’elle est : à savoir, le fameux « prix à payer pour la civilisation ».
Or, s’il est une chose sur laquelle nous nous accorderons tous – quelle que soit notre conviction profonde quant au projet européen – c’est justement que cette illisibilité, nous la retrouvons aussi épaisse et même plus encore au niveau européen qu’au niveau national.
Le premier principe d’une bonne gouvernance, c’est précisément la lisibilité et l’acceptation des compétences qui échoient à chacun.
L’Union européenne est malheureusement aujourd’hui un organe politique sans gouvernement véritable, une organisation dénuée de gouvernance.
Les circonstances de l’adoption du cadre financier pluriannuel par le Parlement européen en sont l’illustration la plus récente.
Que s’est-il passé la semaine dernière dans l’hémicycle de Strasbourg ?
Nous avons vu une succession de prises de parole par nos collègues Eurodéputés, de gauche comme de droite, pour condamner un budget que le Parlement tout entier a trouvé mauvais, et même abominable. Un budget abominable que le Parlement, presque tout entier, a toutefois voté. Pourquoi ? Parce que l’échelon national est toujours le seul à détenir les clefs de ce Parlement censé être transnational. Et parce qu’il est aussi toujours le seul à détenir les cordons de la bourse, en dépit du Traité de Lisbonne et de la prétendue souveraineté budgétaire des députés européens. Car ce budget repose encore, dans son immense majorité, sur des contributions nationales, comme celle que nous examinons aujourd’hui.
Le Parlement européen devrait être en mesure de co-décider, avec les Etats membres, de l’agencement du budget européen : il en est pourtant incapable ! Ne serait-ce que parce que pour être membre du Parlement européen il faut être en accord avec les principaux partis du pays dont on est soi-même issu, partis dont la vision européenne n’est pas toujours la qualité première.
Les gouvernements devraient s’entendre sur une définition positive commune de ce même budget, mais ils en sont tout autant incapables ! Alors ils fabriquent ensemble une machine sans véritable cohérence, sans véritable ambition non plus, qui vient ajouter aux politiques de rigueur de chaque capitale une politique de rigueur à l’échelle communautaire… Au moment même où une étude interne de la Commission européenne reconnaît l’échec de cette orientation politique !
L’Europe est accusée de ne pas fonctionner alors que ce sont les Etats qui la composent qui fonctionnent mal, ou qui refusent de lui donner les moyens d’agir correctement.
C’est la troisième fois que je prononce ce discours au nom de mon Groupe. Comme d’habitude, je vous rassure, les écologistes voteront l’article consacré au prélèvement sur recettes permettant d’abonder le budget de l’Union. Mais comme d’habitude aussi, nous le ferons avec un immense regret : celui de voir que, année après année, les mesures nécessaires à poursuivre efficacement le projet européen se voient repoussées à plus tard.
Les Eurobonds ? L’Allemagne n’en veut toujours pas. Les ressources propres ? Personne ne les pousse vraiment, au prétexte d’autres urgences à régler. La taxe sur les transactions financières ? Elle est là, elle est en cours d’élaboration, mais c’est une course de lenteur.
Si nous voulons une Europe qui marche, débarrassons-la de ses scories, qui sont réelles. Refaisons de la Commission européenne le moteur qu’elle est censée être. Traitons les élections européennes à la hauteur de ce qu’elles sont : les seules élections, dans le monde, à se jouer des frontières. Bref, comportons-nous enfin en Européens !
Monsieur le Président, monsieur le Ministre, mes chers collègues,
La Commission des Affaires européennes du Sénat, sous la présidence de notre excellent collègue Simon Sutour, est reconnue pour la qualité de son travail à Bruxelles et chez nos partenaires.
Je crois plus que jamais que le gouvernement aurait intérêt à s’appuyer davantage sur notre action, et que dans le même temps nous aurions intérêt à diversifier encore celle-ci.
En Allemagne, le gouvernement s’appuie beaucoup en matière européenne sur les Länder et sur le législatif.
Les régions, comme le législatif, participent intensément à chaque pas de la décision européenne, y compris très en amont, lors des consultations publiques, de la rédaction des livres verts et des livres blancs.
La puissance que l’on prête à l’Allemagne, elle vient également de ce que ce pays voit l’ensemble des acteurs qui le font vivre comme une force à part entière, qu’elle mobilise jusqu’au niveau européen.
Ne croyez-vous pas, Monsieur le Ministre, que nous devrions nous en inspirer ? Ne pensez-vous pas que vous auriez-là de précieux alliés afin de définir une position de la France en Europe qui soit toujours plus claire, plus ambitieuse, et plus efficace ?
Si nous voulons que cette contribution financière ait un sens, nous devons aussi rendre notre contribution politique plus forte, plus vivante, et plus lisible.
Aussi, pour conclure mon propos, je voudrais faire une modeste proposition.
Je parlais au début de mon intervention de la lisibilité de l’impôt comme condition essentielle d’une citoyenneté assumée.
Chaque foyer fiscal sait précisément et distinctement ce qu’il paie comme impôt au niveau local et au niveau national. Ceci n’est pas le cas pour sa part de contribution au budget de l’Union européenne.
Il serait don d’informer chaque citoyen de sa « contribution personnelle » à l’Europe, qui, si on tient compte de la contribution nette française reste somme toute peu élevée : moins de 200 euros en moyenne par foyer fiscal, et un peu plus de 350 euros par foyer fiscal soumis à l’impôt sur le revenu.
Etablir un lien entre citoyenneté nationale et citoyenneté européenne (encore trop abstraite) passe notamment par cette lisibilité, qui ferait taire certains discours un peu délirants et de plus en plus en vogue qui se développement dans le débat public hexagonal.
Je vous remercie.
(1) Texte de l’article : « Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est évalué pour l’exercice 2014 à 20 144 073 000 € »