André Gattolin, Sénateur des hauts de Seine et chef de file pour le groupe écologiste, est intervenu le lundi 17 février à l’occasion de la discussion de la proposition de loi visant à appliquer un taux super-réduit de TVA aux services de presse en ligne.
Pour ce qui concerne les contrôles fiscaux en cours (Mediapart, Terra eco, Arrêt sur image…), il a rappelé que « plusieurs supports numériques d’information de qualité font l’objet de procédures de recouvrements fiscaux au terme desquels ils risquent, comme on dit, de mourir guéri » et a appelé le gouvernement « à tenir compte de l’esprit de la loi en mettant en oeuvre un dispositif d’amnistie fiscale circonstancié. »
Sénat – DG TVA Presse en ligne – André Gattolin – 17/02/2014
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Les écologistes plaident depuis de nombreuses années en faveur de l’alignement du taux de TVA de la presse numérique sur celui de la presse imprimée.
C’est donc avec une vive satisfaction que nous accueillons cette mesure et c’est sans surprise que nous voterons conforme cette proposition de loi issue de l’Assemblée nationale.
Le pluralisme de l’information est un enjeu démocratique majeur et l’Etat reste, notamment à travers les aides qu’il accorde à ce secteur, le principal garant d’une presse libre et indépendante.
La baisse du taux de TVA s’inscrit évidemment dans cette logique.
Elle constitue une réparation face à une injustice qui devenait chaque jour plus criante.
Elle rétablit deux principes fondamentaux du droit : la neutralité fiscale et celle plus récente de neutralité technologique.
Elle va en effet permettre de réunifier d’un point de vue conceptuel et juridique la presse imprimée et la presse en ligne, sans discrimination entre ces deux modes de diffusion.
Elle ouvre enfin la possibilité de raisonner globalement en termes de marque d’information, sans s’arrêter à d’artificielles barrières technologiques.
Car, même si elle va leur faciliter la vie, cette mesure n’est pas une mesure en faveur des seuls médias d’information en ligne.
Non, elle concerne l’ensemble des titres de la presse d’information qui ont choisi d’engager une mutation en développant diverses formes d’éditions électroniques en complément de leurs éditions papier.
Sans cette harmonisation de la TVA, il est notamment très difficile de faire des offres couplées d’abonnement des deux supports.
Cette mesure devrait surtout permettre aux entreprises de presse de retrouver un modèle économique en adéquation avec le caractère exigeant de la production d’une information de qualité.
Elle va, en effet, faciliter le redéploiement du modèle économique de la presse sur Internet vers le payant.
Car il faut en finir avec l’illusion d’une presse d’information de qualité fondée sur la gratuité et son corollaire le financement exclusif par la publicité.
C’est un fait : les recettes publicitaires n’ont jamais été en mesure à elles seules de couvrir les coûts de production des authentiques sites d’information.
Pourquoi ? Parce que la ressource publicitaire, qui aurait logiquement dû leur échoir, est le plus souvent captée en amont par les agrégateurs, les moteurs de recherche, des sociétés comme Google capables de tracer individu par individu les usages d’Internet de la population et de commercialiser pour leur compte des données personnelles qu’elles n’ont pas généré.
Trop tardivement, les entreprises de presse ont fini par prendre conscience de cette nouvelle donne économique et elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à développer des offres payantes pour leurs contenus sur Internet.
L’abaissement du taux de la TVA pour ces services est donc une bouffée d’air dans le monde de plus en plus sinistré de l’information.
Alors pourquoi, si elle semble si évidente à présent, une telle mesure n’a t’elle pas été prise plus tôt ?
Le principal argument qui nous a été opposé dans cette enceinte par les gouvernements successifs consistait à renvoyer à une réglementation européenne hostile.
Cet argument est en réalité bien faible.
La Directive 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée des services, généralement évoquée pour juger la presse numérique comme inéligible au taux super-réduit de TVA, fait l’objet d’une interprétation trop restrictive.
Sur la base de ce que contient son chapitre 3, il y a vraiment matière à plaider.
Et surtout nous avons jusqu’à présent trop superbement ignoré d’autres dispositions tout aussi importantes concernant le principe de neutralité fiscale dans le droit européen.
Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne, dans sa jurisprudence et notamment dans l’arrêt « The Rank Group » du 10 novembre 2011, a eu l’occasion de rappeler le principe selon lequel deux prestations identiques ne peuvent en aucun cas être traitées différemment du point de vue fiscal.
Bref, le risque de voir la France sanctionnée pour l’application d’une telle mesure est proche de zéro.
Pour autant, cette proposition de loi que nous serions fous de ne pas adopter ne règlera pas tout.
D’abord, parce que plusieurs supports numériques payants d’information de qualité qui avaient unilatéralement décidé de s’appliquer le taux à 2,1 % pour survivre financièrement et ouvrir la voie à la loi que nous étudions aujourd’hui, font toujours l’objet de procédure de recouvrements fiscaux au terme desquels ils risquent, comme on dit, de mourir guéri.
Ainsi, si la procédure est maintenue, Médiapart pourrait se voir réclamer un recouvrement de 6 millions d’euros !
Pour « Arrêt sur Images », la situation est pire encore : son fonds de commerce a été nanti, à défaut de trésorerie pour payer le recouvrement fiscal. La situation est ubuesque : le directeur de l’administration fiscale est quasiment devenu de fait le directeur de publication !
Certes, en matière de droit, la rétroactivité est toujours une opération dangereuse.
Pour autant nous appelons le gouvernement à tenir compte de l’esprit de la loi et un dispositif d’amnistie fiscale circonstancié serait à notre sens le bienvenu.
Madame la Ministre, mes chers collègues,
Cette mesure – si louable et indispensable soit-elle – ne demeure cependant qu’un des éléments de la nécessaire refonte des aides à la presse dans notre pays.
Un décret actuellement en préparation entend notamment fusionner les 3 sections actuelles du fonds stratégique de la presse en un seul et un nouveau club des innovateurs devrait être mis en place pour définir la pertinence à moyen terme des mesures à prendre.
C’est une très bonne chose car elle devrait permettre d’apprécier plus globalement le bien fondé des aides accordées.
Trop d’argent a été accordé pour des prétendues innovations technologiques qui, en réalité, ne permettaient pas aux entreprises concernées de drainer de nouvelles ressources ou de nouveaux lecteurs.
Il faudra donc être très vigilant quant aux compétences expertes réelles des membres de ce futur comité pour éviter certains errements du passé.
L’innovation ne se décrète pas, mais elle se doit d’être accompagnée avec intelligence et souplesse.
Car depuis trop longtemps le secteur de la presse subit le tournant numérique plus qu’il ne le fait fructifier.
Je vous remercie.