Ci-dessous le texte de la tribune cosignée avec Pascal Durand et qui est parue sur le site Médiapart
« En matière de composition gouvernementale comme en matière de compétition sportive, la qualité du sélectionneur, de l’entraîneur et du casting soulève systématiquement une foule de critiques. Il faut dire que si elle ne suffit jamais à garantir le succès sur le terrain, elle en est toujours une condition nécessaire ! Pas étonnant, du coup, que les noms retenus et les psychodrames survenus lors du dernier mercato politique aient suscité autant de réactions.
Beaucoup a été dit, en particulier sur la « promotion-sanction » d’Harlem Désir, tout à la fois « exfiltré » du Parti socialiste et nommé secrétaire d’Etat aux affaires européennes. De fait, sans mettre en cause ses compétences – même s’il n’a été que très peu présent au Parlement européen au cours des deux années passées – nous ne pouvons que regretter ce que révèle le traitement réservé aux questions européennes dans la nouvelle mécanique qui se met en place au gouvernement et autour du chef de l’Etat.
Non seulement, le portefeuille d’Harlem Désir ressemble à un lot de consolation, mais il constitue un recul par rapport à la hiérarchie gouvernementale précédente. On repasse en effet pour la première fois depuis de nombreuses années d’un ministère délégué à un secrétariat d’Etat aux affaires européennes, comme un retour à l’ère Giscard d’Estaing – le premier à avoir créé une telle mission.
Surtout, les affaires européennes sont encore plus concentrées au niveau de l’Élysée – et dans une moindre mesure de Bercy – qu’auparavant. Le Secrétariat général des affaires européennes (le fameux SGAE), organisme interministériel qui suit l’aspect européen de l’ensemble des politiques publiques, dépendait jusque-là de Matignon : il est désormais sous l’autorité directe du conseiller Europe du Président de la République.
De même, Jean-Pierre Jouyet, devenu secrétaire général de l’Élysée, sera très certainement chargé d’une partie conséquente des dossiers européens et des négociations avec Bruxelles et Berlin, au côté du ministre des finances Michel Sapin. En soi, l’on peut évidemment y trouver un élément positif : Jean-Pierre Jouyet n’a, après tout, pas démérité au temps où il s’occupait, au sein du gouvernement de Nicolas Sarkozy, d’animer la Présidence française de l’Union européenne.
Reste que ces évolutions et nominations tendent à confirmer que l’Europe, aux yeux de François Hollande et de Manuel Valls, se résume décidément à un problème économique et à un élément parmi d’autres du fameux domaine réservé du chef de l’Etat : rien autrement dit qui nécessite d’être vu et discuté politiquement. Le discours de politique générale du premier ministre n’a d’ailleurs que très peu porté sur les questions européennes – au-delà des habituelles critiques sur le cours de l’euro… Il est à craindre que la répartition des tâches qui semble se mettre en place –d’un côté, les proches de François Hollande pour rassurer Bruxelles, de l’autre des ministres comme Arnaud Montebourg pour rassurer les eurosceptiques – ne soit pas du meilleur effet quant à la qualité du débat européen dans notre pays, trop souvent schizophrène ou caricatural.
N’étant ni sélectionneurs, ni entraîneurs, ni même membres de l’équipe, les écologistes que nous sommes se garderont bien d’entrer dans des considérations de personnes. Pour nous, la question n’est pas de savoir qui aurait fait mieux à tel ou tel poste pour incarner en France la question européenne. Mais nous sommes persuadés que l’architecture institutionnelle retenue n’est pas la bonne : elle renforce l’incapacité de notre pays à débattre, sur le fond et collectivement, de ce que nous voulons porter comme vision européenne.
Promptes à dénoncer les technocrates de Bruxelles, les autorités françaises n’ont jamais cherché à contenir l’influence de leurs propres technocrates sur les sujets européens : elles se sont toujours contentées de postures pour dénoncer telle ou telle décision érigée en diktat, une fois la partie terminée, plutôt que de s’engager véritablement dans le match politique.
Nous avions proposé en 2012 la création d’un poste de vice-premier ministre en charge des affaires européennes, qui aurait autorité sur le SGAE, qui personnifierait à Paris, à Bruxelles et à Strasbourg la parole européenne de la France, et qui serait chargé de réfléchir à une politique européenne française enfin digne de ce nom. Notre pays se doterait alors des moyens d’élaborer une vision de l’Europe plus collective, mieux partagée, mieux assumée et incluant davantage la société civile, le Parlement et les citoyens eux-mêmes. Il serait en mesure de peser davantage dans les discussions européennes. Le pouvoir exécutif profitera-t-il des élections européennes et du renouvellement prochain de la Commission européenne pour continuer sa mue, ou restera-t-il au stade où il vient de s’arrêter ? À trop vouloir laisser l’Europe sur le banc des remplaçants, des jokers et des discussions en coulisses, il est à craindre que l’équipe de Hollande ne reste éternellement dans notre division nationale, sans jamais accéder au sommet de la ligue des champions. »
Pascal Durand, tête de liste Europe Ecologie pour les élections européennes en Île-de-France
André Gattolin, sénateur EELV des Hauts-de-Seine et secrétaire de la commission des affaires européennes du Sénat