Ci- après, le texte de mon intervention au Sénat jeudi passé sur la proposition de résolution Dassault-Longuet visant à réduire drastiquement les charges sociales (et notamment les charges patronales) dans le financement de la protection sociale. Cette proposition a finalement été rejetée, mais nous étions encore une fois bien peu nombreux dans l’hémicycle (j’ai même dû officier en tant que secrétaire de séance… Les titulaires de garde étant absents !).
(Extrait du compte-rendu officiel du Sénat)
M. le président:
La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin:
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’intérêt que les membres du groupe écologiste ont étudié la proposition de résolution du groupe UMP relative au financement de la protection sociale et à l’allégement des charges des entreprises.
Nous avons examiné ce texte avec beaucoup d’attention car, dans l’absolu, la question de fond à laquelle il renvoie, à savoir celle de la répartition des charges et des coûts, mérite bel et bien d’être posée.
La distinction entre, d’une part, les dépenses sociales de nature assurantielle, dites « contributives », directement liées à la vie économique des individus et des entreprises, et, d’autre part, les dépenses sociales dites « universelles », liées à la vie familiale et personnelle de ces mêmes individus, est en effet légitime.
On peut parfaitement concevoir que, dans la mesure où elles relèvent de logiques différentes et visent des objectifs différents, elles soient financées différemment.
Toutefois, un pareil sujet, quitte à être remis sur le métier, mériterait d’être abordé bien plus globalement que ne le fait, en l’état, cette proposition de résolution.
En effet, le présent texte ignore totalement un grand nombre d’autres dépenses dont le rôle est pourtant déterminant dans le fonctionnement de l’économie et de l’activité des entreprises. Or ces dépenses sont non pas prises en charge par les entreprises – ou pratiquement pas –, mais par le reste de la collectivité via différentes formes de prélèvements et d’impôts.
Je pense au financement de la formation préalable des futurs salariés, qui, en règle générale, n’est pas pris en charge par les entreprises dans notre pays. A contrario, l’enseignement supérieur fait l’objet d’investissements très significatifs de la part des entreprises dans nombre de pays étrangers, notamment aux États-Unis.
Précisément, l’enseignement supérieur en France a profondément évolué au cours des vingt dernières années. Il offre de plus en plus de formations professionnalisantes, conformément au souhait des entreprises, mais aussi des étudiants, qui cherchent des débouchés. De fait, les universités, qui constituent un service public de l’enseignement, fournissent une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée, et immédiatement opérationnelle, aux entreprises. Ces dernières sont aujourd’hui les principales bénéficiaires de ce système alors qu’elles ne contribuent pas à son financement à hauteur des coûts qu’il représente pour la collectivité.
Je songe également à certaines externalités négatives résultant de diverses activités, notamment industrielles. En tant qu’écologiste, je ne puis manquer d’évoquer certains coûts, en termes de pollution et de consommation d’énergie, dont il n’est absolument pas question dans cette proposition de résolution. Or nous pourrions parfaitement envisager de les prendre en compte si la répartition des charges sociales devait être redéfinie comme le proposent nos collègues.
J’irai plus loin encore. À lire le texte qui nous est proposé, on pourrait penser que, au cours des dernières années, absolument aucune réduction de charges n’a été accordée aux entreprises, en particulier aux plus grandes d’entre elles.
Or Nicole Bricq vient de le rappeler avec brio : la réalité, chacun le sait, est bien différente.
Les grandes entreprises sont, en proportion, celles qui paient le moins d’impôts en comparaison avec les PME et les PMI et les très petites entreprises, les TPE, lesquelles sont pourtant essentielles à la vitalité de toute économie qui se respecte.
Ce constat me conduit à pointer deux autres limites du présent texte.
En premier lieu, cette proposition de résolution perpétue les mythes bien français de la très grande entreprise et des champions nationaux. Or l’importance des PME, que je viens d’évoquer, n’est plus à démontrer. Elle a été longtemps, et demeure encore aujourd’hui, largement négligée dans notre pays.
On érige souvent l’Allemagne en modèle. Les auteurs de ce texte le font eux-mêmes. Il serait peut-être bon de se rappeler que nos voisins disposent d’un tissu de PME et de PMI beaucoup plus dense, beaucoup mieux articulé et innovant, capable d’exporter jusqu’à quatre fois plus que nos propres PME. Las, le présent texte ne s’intéresse pas, ou peu, au développement de ce type d’entreprises ou au secteur des services, dont on ne peut nier non plus l’importance.
En second lieu, cette proposition de résolution reprend une autre idée devenue aujourd’hui commune : elle réduit l’enjeu de la compétitivité de nos entreprises à la seule question du coût du travail.
Ce raccourci est bien commode, évidemment, lorsqu’il s’agit de demander une baisse de la fiscalité et des charges des entreprises. Mais il conduit à passer sous silence un ensemble de facteurs pourtant déterminants pour la compétitivité globale de nos entreprises à l’échelle internationale !
Il en est un qui ne dépend pas nécessairement de la politique nationale et qui est capital : le dumping fiscal. De nombreux États, hors d’Europe, et parfois même au sein de l’Union européenne, y ont recours pour doper leur économie et leurs entreprises.
Notre politique à l’échelle européenne est, en la matière, profondément défaillante. En effet, au nom d’une vision très dogmatique de la concurrence, elle proscrit largement le recours aux crédits d’impôt sectoriels dont usent et abusent pourtant nos partenaires nord-américains et certains pays d’Asie pour encourager l’activité au sein de leurs territoires.
Chers collègues de l’UMP, nous aurions jugé plus utile un projet de résolution européenne, que nous aurions alors volontiers soutenu, visant à développer une véritable politique industrielle à l’échelle européenne.
À l’heure où sont débattus les orientations politiques et les choix de la future Commission de Bruxelles, nous aurions pu, tous ensemble, enjoindre le gouvernement français d’appuyer la création d’une commission à part entière chargée des stratégies industrielles.
En outre, nous aurions pu insister, comme l’a fait Michel Barnier lors de son audition au Sénat la semaine dernière, sur le poids exorbitant et aujourd’hui contre-productif pris par l’actuelle commission de la concurrence à l’échelon de l’Union européenne.
Pour en revenir au contenu de la proposition de résolution, je note à mon tour que la compétitivité repose sur plusieurs critères. Nicole Bricq en a rappelé certains. Elle a ainsi évoqué les entreprises électro-intensives. Lorsqu’on compare le prix de l’électricité des grandes entreprises, qu’elles soient électro-intensives ou non, de part et d’autre du Rhin, on constate qu’il est bien plus élevé en Allemagne qu’en France. Le différentiel est de 15 % à 20 % en faveur de notre pays ! Nous avons donc des atouts, qu’il ne faut pas oublier, et qui participent de notre compétitivité, notamment le prix de l’électricité.
M. Gérard Longuet:
À condition de conserver le nucléaire !
M. André Gattolin:
Nous en reparlerons, monsieur Longuet ! Mais j’entends bien votre remarque. D’ailleurs, en avançant cet argument, je vous ai pour ainsi dire tendu une perche. (Sourires.)
M. Gérard Longuet:
Et je l’ai saisie ! (Nouveaux sourires.)
M. André Gattolin:
Mes chers collègues, la dernière réflexion que je formulerai à propos de ce texte a trait à sa très grande imprécision s’agissant des moyens à mettre en œuvre.
Ces questions ont déjà été posées : vise-t-on une réduction drastique des dépenses sociales ? Prévoit-on une hausse de la CSG, et, si oui, de quelle ampleur ? Un point de CSG supplémentaire ne rapporte guère que 4 à 5 milliards d’euros. Mise-t-on sur un retour de la TVA sociale, et, dans l’affirmative, selon quelles modalités ? Ou encore, envisage-t-on une combinaison de ces trois dispositifs à la fois ? Nous n’en savons rien. Soit la réflexion de nos collègues n’est pas assez aboutie, soit ils préfèrent maintenir le flou à l’égard de l’opinion.
C’est d’autant plus étonnant que l’on a connu l’UMP plus précise sur ces questions, comme en attestent ses documents de 2012, sur lesquels je me suis penché. Comme si le fait d’appartenir à l’opposition l’autorisait à ne plus assumer ses propres positions, malgré le statut de parti de gouvernement que nous lui reconnaissons tous.
En conclusion, vous l’aurez sans doute compris, les membres du groupe écologiste voteront contre cette proposition de résolution. (Mme Nicole Bricq et M. Claude Dilain applaudissent.)