Dépêche de l’agence AEF par Sabrina Dourlens du 15 Jul 2014 18:16:09 +0200
L’exploitation de minerais en Arctique, qui « connaît aujourd’hui un véritable boom », « fait presque figure d’une nouvelle ruée vers l’or ». Parallèlement, beaucoup de nations spéculent sur la possibilité de créer une nouvelle route maritime commerciale passant par l’océan Arctique. Dans ce contexte de multiplication des activités dans une zone fragile, que peuvent faire l’Union européenne et la France ? Le rapport du sénateur André Gattolin (EELV, Hauts de Seine), « L’Arctique : Préoccupations européennes pour un enjeu global », publié jeudi 10 juillet 2014, présente et analyse toutes ces questions afin de permettre une meilleure compréhension des enjeux et des évolutions de l’Arctique.
« Les enjeux en Arctique sont multiples, les plus gros sont économiques et environnementaux. Chaque pays est en voie de définir sa propre stratégie. L’UE prépare un cadre plus global et cohérent », pose André Gattolin, auteur du rapport d’information au nom de la commission des affaires européennes du Sénat. Le Parlement européen a adopté le 12 mars 2014 une résolution visant à refonder l’action de l’UE en Arctique, tandis que le Conseil de l’UE a adopté deux mois plus tard des conclusions dans lesquelles il appelle la Commission européenne à lui soumettre avant la fin 2015 « des propositions sur la poursuite du développement d’une politique intégrée et cohérente pour la région arctique ».
« La France, quant à elle, est en train d’élaborer une feuille de route nationale qui guidera son action dans la région pour les années qui viennent. Ce rapport va servir au gouvernement afin de faire des propositions à la Commission européenne. L’Assemblée nationale va aussi lancer son rapport », note le sénateur. La France aura une « responsabilité particulière » dans le cadre de la conférence sur le climat en décembre 2015. « Le pays a une certaine légitimité polaire avec son initiative de nommer en 2009 l’ancien Premier ministre Michel Rocard, ambassadeur de France pour les pôles. »
GOUVERNANCE FAIBLE EN ARCTIQUE
« L’Arctique est une partie du monde soumise à une gouvernance faible. Bien qu’il soit reconnu par tous comme l’organe où les décisions se prennent, le Conseil de l’Arctique, qui réunit les huit pays de la région (1), n’a pas le pouvoir d’édicter des normes. Né au milieu des années quatre-vingt-dix de l’inquiétude de protéger l’environnement polaire, il est une sorte de forum qui reste verrouillé par les pays membres. Bien qu’il présente l’originalité de donner la parole aux peuples autochtones de l’Arctique, il laisse peu d’ouverture aux puissances étrangères. Aussi, en dépit de la création nouvelle d’un volet économique, il ne parait pas encore en mesure d’affronter les transformations de l’Arctique et ce qu’elles impliquent, les ambitions de nombreux acteurs de par le monde », analyse le sénateur dans son rapport.
Selon le rapport, la Russie est le pays « qui a le plus d’ambitions ». « Son ‘Grand Nord’ est d’une importance stratégique pour elle et elle voit dans le réchauffement l’opportunité pour un développement nouveau. Le Canada mise aussi beaucoup sur l’Arctique et affirme sa souveraineté : revendications territoriales, multiplication des projets miniers… En comparaison, les États-Unis – qui présideront le Conseil de l’Arctique en 2015 – semblent plus en retrait. Plus ouverts à la liberté de passage en mer et à la coopération internationale, ils ne semblent pas faire de l’Arctique une priorité, même s’ils souhaitent assurer le développement durable de leur 49e État, l’Alaska. La Norvège et l’Islande appellent eux aussi à une coopération internationale. La Norvège a bâti la fortune de son fonds souverain sur l’exploitation des hydrocarbures et compte continuer. L’Islande aimerait profiter de sa proximité avec le Groenland pour bénéficier du développement des activités sur cette île. Pour sa part, et c’est l’un des enjeux géostratégiques, le Groenland souhaite que l’exploitation des richesses de son sous-sol lui permette d’acquérir et d’assumer son indépendance vis-à-vis du Danemark. La Suède et la Finlande, soucieuses d’un développement économique durable, de la lutte contre le réchauffement climatique et du devenir de leur population same, se voient comme les moteurs d’une politique plus ambitieuse de l’UE en Arctique. »
Par ailleurs, l’Arctique suscite l’intérêt de nombreux pays, et particulièrement en Asie. « La Chine, qui exporte près de 95 % de ses marchandises par bateau est très intéressée à l’idée d’une nouvelle route commerciale lui permettant de rallier l’Occident. En outre, son besoin croissant de matières premières motive son intérêt pour les richesses supposées du Grand Nord. Enfin, elle souhaite améliorer le niveau de sa recherche sur le climat et être présente en Arctique. C’est également le cas de l’Inde, qui est le troisième consommateur mondial d’énergie et est intéressée par de nouvelles sources d’approvisionnement. C’est aussi le cas du Japon. Enfin, la Corée du Sud étant le premier constructeur naval au monde, le développement de nouvelles routes commerciales l’intéresse particulièrement. »
CONDITIONS D’EXPLOITATION DIFFICILES
Du côté des États membres de l’UE, « l’Allemagne assume également vouloir profiter de nouvelles opportunités économiques ». « Tandis que le Royaume-Uni se montre plus prudent dans son approche afin de ménager ses partenaires dans la région, les Pays-Bas et l’Italie défendent principalement l’intérêt de leurs entreprises énergétiques. »
Le député rappelle que l’Arctique est un océan semi-fermé, mais qu’il compte 4 millions d’habitants, dont 30 à 60 ethnies. « Il présente un environnement fragile, et est atteint de deux maux qui le transforment irrémédiablement : la pollution et la fonte de la banquise. » « Les travaux du Giec montrent que l’Arctique se réchauffe deux à deux fois et demi plus vite que le reste de la planète. Le réchauffement serait de 4 à 5 °C à l’horizon 2050. 2014 devrait être l’année d’un nouveau record de la réduction de la surface et de l’épaisseur de la mer de glace », alerte André Gattolin.
L’Arctique recèle de nombreuses ressources naturelles, qui se raréfient dans le monde. Les différentes études géologiques font apparaître que de nouveaux gisements pourraient être exploités : zinc, fer, cuivre, plomb, nickel, étain, platine, or, diamants, uranium, terres rares… Le Groenland pourrait recéler entre 12 et 25 % de terres rares, ressource sur laquelle la Chine dispose d’un quasi-monopole de l’exploitation. « On ne peut pas dire à un pays de ne pas exploiter les ressources, mais on peut au moins fixer un cadre », avance le sénateur. L’Arctique pourrait contenir plus de 10 % des réserves mondiales de pétrole et près de 30 % des réserves de gaz. Cependant, les conditions de l’activité dans le Grand Nord restent plus difficiles qu’ailleurs, les compagnies d’extraction en sont très conscientes. Concernant le pétrole, les techniques actuelles ne permettraient pas d’éviter une marée noire en Arctique en cas d’accident », note le rapport. « Un jour ou l’autre il pourrait y avoir une catastrophe d’ampleur et l’entreprise en cause sera marquée du sceau de l’infamie et marginalisée », remarque André Gattolin.