« La position des écologistes sur la mise en place du Crédit d’impôt Compétitivité emploi, vous vous en souvenez peut-être, avait au moment de son annonce été très clairement critique.
Sur la forme d’abord. Nous avions regretté le vote d’un tel dispositif sous la forme d’amendements à une loi de finances rectificative, alors que son importance appelait à davantage de débat et de réflexion et à la production d’une véritable étude d’impact.
Sur le fond ensuite. Ses finalités nous paraissaient beaucoup trop floues et son financement reposant à la fois sur une baisse des dépenses publiques, une hausse de la TVA et les revenus de ce qu’on annonçait alors comme une nouvelle fiscalité écologique nous apparaissait bien mal calibré.
Deux ans plus tard et alors que nous disposons désormais d’un certain recul, force est de constater que nos réticences n’étaient pas tout à fait infondées !
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de condamner en bloc la notion même de crédit d’impôts, ni de profiter de ce débat pour revenir à un antagonisme désormais classique – celui qui oppose si souvent, dans nos discussions, les partisans d’une politique de l’offre aux partisans d’une politique de la demande.
Il s’agit, dans le contexte de tensions budgétaires et dans la situation de crise globale que nous connaissons, de déterminer les formes d’actions les plus efficaces et les plus efficientes qui s’offrent à nous et, lorsque cela est nécessaire, de détecter et de corriger les éventuelles erreurs d’appréciation que nous avons pu commettre.
Avec l’expérience du CICE qui est la nôtre aujourd’hui, je crois que deux erreurs de conception peuvent désormais être confirmées.
La première erreur, c’est d’avoir mal estimé les effets éventuellement contre-productifs de certaines mesures prises au cours des deux dernières années, et de la complexité de la mise en place du CICE lui-même.
Le rapport du Comité de suivi indique ainsi clairement que ce dernier – dont on sait qu’il est encore en phase de montée en charge – est nettement moins utilisé cette année par les entreprises que ce que le gouvernement prévoyait. 13 milliards d’euros de versement étaient initialement attendus en 2014, au titre du CICE de l’année 2013 ; la prévision révisée retenue pour le PLF n’est finalement que de 10.8 milliards.
Même si l’on peut y trouver quelques motifs de satisfaction – après tout, cela représente moins de dépenses pour l’Etat – il est difficile de ne pas s’interroger sur ce constat.
Ne serait-ce pas là, au moins partiellement, le résultat du mode de financement du CICE lui-même, ainsi que d’autres mesures prises depuis, et dont l’effet récessif a déjà été largement évoqué – je pense par exemple à la hausse de la TVA intervenue sur des secteurs tels que les transports en commun, la rénovation des bâtiments et la culture ?
Ne faudrait-il pas remettre enfin tout ceci à plat et évaluer clairement les effets croisés de toutes ces politiques ?
Car il est en l’état bien difficile d’en percevoir les effets positifs, alors que les effets plus négatifs en sont beaucoup plus visibles.
Il est d’ailleurs intéressant de relever que, s’agissant de la hausse de la TVA, son absence de répercussion sur les prix finaux pratiqués par certains secteurs masque un effet pervers qui contribue lui aussi à diminuer les effets promis du CICE pour les entreprises.
Cela peut notamment se traduire par une rétractation des marges, non pas tellement des distributeurs eux-mêmes, mais de leurs fournisseurs – parmi lesquels beaucoup de PME qui auraient pourtant bien besoin d’un surplus d’oxygène pour investir et embaucher !
La deuxième erreur, qui découle en partie de la première, c’est justement le flou qui entoure le CICE quant à sa finalité en matière de création d’emplois.
J’en veux pour preuve l’évolution du discours du gouvernement lui-même sur la question.
Le CICE devait d’abord permettre de créer 300.000 emplois à terme, on a ensuite évoqué un ordre de grandeur plus proche des 150.000, et récemment le Ministre des finances est même allé jusqu’à laisser clairement entendre qu’il n’y avait pas de lien direct entre CICE et emploi.
En outre, parce que le bénéfice du CICE est limité aux salaires ne dépassant pas l’équivalent de 2.5 fois le SMIC par an, il ne facilité en rien les embauches dans les secteurs les plus qualifiés, alors que ceux-ci auraient bien besoin d’être dynamisés pour renforcer la France sur la scène internationale et relancer son économie !
De sorte qu’au final, le rapport annuel du Comité de suivi reste très prudent quant aux résultats du dispositif sur les créations d’emploi.
Il indique bien, en reprenant l’enquête Conjoncture de l’INSEE parue en juillet, que « 48% des entreprises de services et 34% des entreprises de l’industrie » disent qu’il aura un impact sur leurs embauches ; mais il s’agit de données déclaratives et des plus imprécises !
De manière plus générale, force est de constater que nous manquons de visibilité quant à l’utilisation réelle qui est faite de leur CICE par les entreprises qui y ont recours.
Madame la Présidente, Madame la Ministre, mes chers collègues,
Le Groupe écologiste est favorable à des mesures qui viendraient soutenir non pas l’ensemble des acteurs économiques, quels que soient leur poids, leur modèle, leur santé réelle, mais à des mesures de soutien sectoriel, qui donneraient à l’État un rôle de véritable stratège et permettraient de soutenir nos entreprises les plus concernées par la concurrence internationale, nos entreprises véritablement innovantes, et surtout les acteurs d’une transition écologique et d’une mutation technologique que nous appelons tous de nos voeux.
Michel Sapin indiquait récemment que le CICE était là pour permettre aux entreprises de retrouver leurs marges, et donc d’investir, ou d’embaucher, ou de former, en tout cas de préparer l’avenir.
Et il est vrai qu’un crédit d’impôt peut effectivement être fort utile dans cette perspective, et qu’il y a des entreprises et des industries qui ne demandent qu’à se développer et à embaucher.
Mais nous ne pourrons pas les y aider avec des outils aussi généraux, imparfaitement et précipitamment conçus : de tels outils dépensent trop d’argent public sans permettre de financer assez de telles entreprises !
Et qu’on ne vienne pas nous opposer l’Europe, ses directives et ses règlements qui, aux dires de certains, nous empêcheraient de mettre en place pareille démarche. C’est tout simplement faux, elle laisse en réalité de véritables marges de manoeuvre en la matière ; sans compter que c’est aussi à nous de nous emparer des politiques européennes pour mieux les orienter, avec nos partenaires, alors que les institutions européennes terminent justement leur renouvellement.
Les difficultés du CICE, comme celles plus générales de notre économie et de l’Europe toute entière, nous démontrent que c’est d’une utilisation précise, articulée et stratégique des moyens publics dont nous avons besoin aujourd’hui.
À nous de bien en tirer les conséquences.
Je vous remercie. »