Ci-dessous texte de mon intervention lors du colloque « Le bicamérisme à la française – un enjeu pour la démocratie » organisé le 17 avril 2014 par le GEVIPAR.
« Je m’exprimerai ici en discordance avec la vieille tradition écologiste qui réclame la disparition du Sénat souvent assimilé au conservatisme.
Il convient d’être pragmatique et de resituer le rôle des institutions dans une architecture institutionnelle globale et dans les pratiques politiques effectives. Face à la puissance de l’exécutif et à l’omniprésence du « présentisme » selon le mot de l’historien et philosophe François Hartog, c’est-à-dire l’effacement du passé et l’éclipse du futur, il est crucial de conserver un temps pour légiférer et un pour penser. Le nombre de textes de loi est en augmentation permanente et leur production intervient presque toujours dans une précipitation qui justifie les fréquentes interventions du Conseil constitutionnel. Le Sénat apparaît dans ce contexte comme une chambre d’approfondissement.
A cet égard le bicamérisme est indéniablement utile à nos institutions : il compense quelque peu notre manie de « l’exécutisme », notre tendance à confier une partie majeure de la vie législative à l’exécutif. La même démarche se retrouve au niveau européen, où se multiplient les actes déléguée, équivalents de nos décrets d’application, décidés en dehors de toute concertation parlementaire.
Cependant, des questions se posent sur les fonctionnalités du Séant et ses évolutions. Les écologistes sont favorables à une transformation du Sénat en chambre des régions, dans une logique de rééquilibrage territorial. Il serait utile que les élections sénatoriales s’effectuent au suffrage universel direct, en même temps que les régionales et à la proportionnelle.
Par ailleurs, le Sénat doit se transformer, au niveau national, en chambre de débat européen. Il l’est déjà aujourd’hui dans les faits. A travers sa commission des Affaires européennes, le Séant se voit soumettre chaque année plus de 1.000 textes européens qu’il examine avec une diligence encore récemment saluée par les classements européens.
Cet aspect est capital, car avec le renforcement des pouvoirs nationaux dans la réforme constitutionnelle de 2008 et dans le Traité de Lisbonne, le Sénat dispose des pouvoirs dits du carton jaune et de carton rouge. Au cours des deux dernières années, pour la Directive Monti II et pour le parquet européen, le Sénat français, avec le soutien de nombreux autres parlementaires nationaux, a pu remettre en cause une directive et un règlement incompatibles avec la subsidiarité. Il convient donc de légiférer dans une nécessaire considération perspective européenne.
Le terme de bicamérisme pourrait en réalité être remplacé par celui de « tricamérisme » en ajoutant à nos deux assemblées le Parlement européen. Là encore, des problèmes d’architecture institutionnelle se posent. Le rôle des parlements nationaux aux côtés du Parlement européen est en effet essentiel dans le devenir de la législation européenne.
Enfin, le Sénat doit être une chambre destinée à penser les évolutions sur le temps long. Il est très inquiétant de constater qu’un gouvernement fraîchement élu se lance aujourd’hui dans des programmes de réforme très lourds, sans avoir pris le temps de la concertation. En Allemagne, quand des réformes structurelles sont envisagées, le débat est ouvert au moins deux ans auparavant. Ainsi, les Etats généraux de la décentralisation organisés par le Président Bel tendaient à anticiper, par une concertation en amont, la troisième vague de décentralisation proposée par la majorité de gauche. Malheureusement, le ministre n’a pas pris en compte ces travaux : son projet de loi était déjà prêt à être voté.
Le Sénat doit être la chambre, non plus du conservatisme, mais du perspectivisme : tenant compte du passé, elle permet de se projeter dans l’avenir. Des études menées au Royaume-Uni montrent qu’à l’horizon 2030, 50% de la législation se rapportera aux nouvelles technologies et à d’autres questions d’avenir très complexes. Je crains que les gouvernements d’aujourd’hui, pris par l’urgence, ne soient pas en mesure de fournir des cadres de réflexion pertinents sur de tels problèmes.
Dans le cadre d’une architecture institutionnelle globalement repensée, les régions, l’Europe et le temps long peuvent constituer la base du bicamérisme ou « tricamérisme » à la française.