André Gattolin intervenait ce 1er décembre, au Sénat, dans le débat préalable à l’examen des crédits de la mission Engagements financiers de l’Etat et des comptes spéciaux. Retrouvez ci-dessous le texte de cette intervention (seul le prononcé fait foi).
« Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Qu’est-ce que la dette ? Au sens étymologique, la dette, c’est le devoir. Quel est précisément ce devoir ? Plus encore, qui nous l’impose ?
Si l’on écoute l’air du temps, notre devoir serait de rembourser nos créanciers. En effet, si ceux-ci ont aujourd’hui l’amabilité de nous prêter à des taux remarquablement bas, cela pourrait ne pas durer éternellement. À plus ou moins long terme, nous pourrions alors faire face à une explosion de la charge de la dette. Ce serait donc pour retrouver notre souveraineté que notre devoir serait, dans cette période difficile, de réduire fortement les dépenses publiques.
En prenant un peu de recul, on peut déjà remarquer que la baisse des dépenses publiques, telle que la conçoit le Gouvernement, est destinée non pas à résorber le déficit, qui d’ailleurs augmente, mais à financer des subventions sans conditionnalité aux entreprises privées.
Au-delà de cet élément conjoncturel, on peut se demander d’où nous vient cette dette qui nous oblige désormais. Il est toujours utile de rappeler que, depuis l’introduction de l’euro et jusqu’en 2008, la dette de la zone euro était stable, autour de 70 % du PIB. Entre 2008 et aujourd’hui, elle est passée à environ 90 % du PIB. Par la magie du système dans lequel nous vivons, la crise de la finance privée s’est donc transformée en une crise de la dette publique. Par conséquent, expliquer que c’est au nom de notre souveraineté qu’il faudrait aujourd’hui nous astreindre, toutes affaires cessantes, au règlement de cette dette s’apparente à un travestissement de la réalité.
La souveraineté, ce serait plutôt de ne pas céder aux acteurs financiers qui ont provoqué cette crise par leurs prises de risques inconsidérées, d’autant plus que ce sont les mêmes qui aujourd’hui spéculent sans retenue sur la dette des États.
La vraie souveraineté consisterait à mutualiser à l’échelle européenne tout ou partie de nos dettes, lesquelles bénéficieraient ainsi d’une garantie collective, ce qui aurait pour effet mécanique de desserrer l’étau des taux dans lequel notre économie est bloquée. Ce serait là une solution simple, rappelant le primat de la politique sur l’économie, qui permettrait de retrouver un peu de marge de manœuvre à court terme.
Pour autant, le problème est bien plus profond. Si la crise financière explique l’explosion récente des dettes publiques, on ne peut pas lui imputer l’accumulation progressive de la dette depuis les années soixante-dix.
L’histoire de cette dette-là est celle d’une promesse, celle d’une croissance infinie, préfinancée par l’endettement. Malheureusement, cette promesse n’a pas été tenue.
En France, dans les années soixante, la croissance était en moyenne de 5,7 % par an ; dans la décennie soixante-dix, elle était de 3,7 % ; dans la décennie quatre-vingt, de 2,4 % ; dans la décennie quatre-vingt-dix, de 2 % ; et de 1,1 % dans la décennie deux mille. Je vous laisse imaginer la suite…
Les promoteurs d’un avenir libéral-productiviste radieux ont en effet commis une erreur de taille, déjà pointée en 1972 par le Club de Rome dans un fameux rapport. La croissance n’est pas qu’une construction de l’esprit ; elle est assise sur la réalité physique que constituent l’environnement et les ressources naturelles, qui, par définition, sont des ressources finies. Chaque année, l’ONG Global Footprint Network calcule le jour où l’empreinte écologique de l’humanité dépasse la capacité annuelle de régénération de la planète, c’est-à-dire le jour de l’année à partir duquel nous vivons écologiquement à crédit. En 2014, ce jour est tombé le 19 août.
C’est au début des années soixante-dix que nous sommes devenus écologiquement déficitaires, en même temps que la dette a commencé à s’accumuler sérieusement. Nous sommes désormais pris, de manière durable, non plus dans un étau, mais dans un ciseau des taux : la dette écologique augmente, tandis que la croissance, censée la financer, baisse.
Il aura fallu il y a quelques années le rapport d’un économiste réputé, Nicholas Stern, pour que l’on prenne enfin conscience que cette dette écologique, qui ne se négocie pas plus qu’elle ne se restructure, allait bientôt présenter la facture.
D’ailleurs, si Barack Obama a marqué récemment une rupture dans la politique environnementale des États-Unis, avec son ambitieux plan climat, ce n’est pas nécessairement pour faire plaisir aux Européens, mais ce n’est pas sans rapport avec le lobbying des assureurs et réassureurs américains. Ceux-ci commencent en effet à s’inquiéter de la récente multiplication de catastrophes naturelles extrêmement coûteuses.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre devoir aujourd’hui, notre responsabilité, c’est de réduire notre dette écologique, pas de nous soumettre aux exigences de ceux qui dansent sur la crise. »