Retrouvez ci-dessous l’intervention d’André Gattolin en séance publique au sénat dans le débat préalable au conseil européen des 18 et 19 décembre 2014 (seul le prononcé fait foi).
« Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
C’est donc à un nouveau plan de relance de l’activité économique, préparé par la Commission, que le prochain Conseil européen réservera l’essentiel de ses travaux.
Personne, je crois, ne remettra en cause le constat sur lequel s’est appuyé Monsieur Jean-Claude Juncker pour faire ses propositions. Le niveau de l’investissement en Europe n’est plus préoccupant : il est franchement insuffisant et franchement inquiétant. Depuis 2007, et tout au long de la crise, il a décru de 15%. C’est l’ensemble de l’économie, de l’emploi, de la compétitivité de l’Europe qui s’en retrouve très gravement atteint.
Nous DEVONS donc agir, et agir urgemment.
Mais, disons-le : les écologistes ne sont pas persuadés que les mesures avancées soient aussi solides, ni aussi pertinentes, qu’elles devraient l’être. Ceci, quelle que soit la nature des projets qui pourraient être proposés pour bénéficier de ce plan.
D’abord, le montant de 315 milliards ne nous paraît pas aussi important qu’on veut bien le dire. Cela ne représente en effet que 2% du PIB européen. Les États-Unis avaient de leur côté opté, en 2009, pour un plan de relance de quelques 650 milliards d’euros… Nous en sommes loin !
Surtout, et cela est bien plus préoccupant : ces 315 milliards sont en réalité aujourd’hui purement virtuels ! Car la totalité du plan repose sur un montage financier qu’on nous annonce comme redoutablement efficace – mais dont les résultats pourraient s’avérer bien maigres.
Le Conseil ECOFIN en a validé hier les modalités, que le Conseil européen adoptera à son tour la semaine prochaine.
Il s’agit de créer un fonds doté de 16 milliards d’euros abondés par les États membres sous forme de garantie, et de 5 milliards d’euros de la Banque européenne d’investissements. 21 milliards d’euros d’argent public, donc : ce sont eux que l’on espère transformer, grâce à un double effet de levier, en 315 milliards d’investissements publics et privés au total.
Tous se passe en réalité comme si le chiffre de 300 milliards avait initialement été avancé sans réelle réflexion prospective – et qu’il avait ensuite été justifié par une maquette de financement imaginée dans la précipitation… Or les objectifs affichés ne nous permettent pas d’être aussi optimistes sur l’effet multiplicateur de ce fonds ! Car ce dernier est supposé soutenir des investissements stratégiques plus ou moins risqués, et d’intérêt public et général. Soit précisément ceux qui n’intéressent que trop peu les établissements financiers privés.
Autrement dit : il est irréaliste de penser que cette dépense publique permettra de garantir une levée de fonds privés suffisante pour que celle-ci soit vraiment efficace.
Le risque est grand de voir ce plan Juncker échouer en raison de cet effet de levier irréaliste, comme beaucoup d’autres avant lui. On nous a ainsi promis une grande vague d’investissements européens en 1992, à la fin de l’ère Delors ; en 2004 également, sous la précédente présidence italienne. À l’échelle française, nous avons eu le même type d’annonces avec le plan Chirac de 2006. Sans oublier, pour revenir au niveau européen, le fameux plan de relance de 2012 – dont on peut, avec le recul, sérieusement questionner les effets.
Dans certains cas bien sûr, des projets pourront se concrétiser plus facilement ; mais il est à craindre que ceux-ci auraient de toute façon trouvé assez de soutiens pour être lancés. Chaque euro public dépensé dans le cadre, par exemple, d’un soutien consenti par la BEI représenterait alors davantage un effet d’aubaine pour le privé, qu’un investissement réellement efficace pour la collectivité…
À propos de la BEI, il y a d’ailleurs plusieurs points qui méritent d’être relevés. Ils excèdent le cas du plan Juncker lui-même, mais lui font évidemment écho et doivent être pris en considération si nous voulons que cette institution contribue réellement à la relance de l’activité économique au coeur de l’Union européenne.
D’abord, la BEI n’intervient traditionnellement pas – ou ne le fait que très peu – dans certains secteurs (je pense à l’agriculture, la défense, l’éducation par exemple) qui ont pourtant bien besoin de capacités européennes afin de financer leurs investissements. Est-ce à dire que ces secteurs seront de fait exclus des fonds octroyés par la BEI dans le cadre du plan Juncker ? Ne devrait-on pas inciter la BEI à changer ses pratiques en la matière ?
Ensuite, il est parfois difficile d’établir avec précision le parcours des financements octroyés par la BEI – et donc leur efficacité.
À titre d’exemple, dans notre pays, ces fonds peuvent transiter par des banques commerciales lorsqu’ils sont à destination de PME – sans qu’on sache précisément le rôle de cet apport, en bout de chaîne, dans les montages de projets portés par ces entreprises.
Ne faudrait-il pas, Monsieur le Ministre, commanditer sur ce point précis une étude exhaustive des pratiques afin de remédier aux éventuels abus ? De manière plus générale, ne devrait-on pas améliorer notre connaissance des effets réels qu’ont les financements européens sur nos économies, nos territoires, nos secteurs d’activités ? Ce serait pourtant la moindre des choses pour rendre nos politiques mieux ciblées, et pour mieux utiliser l’argent public européen !
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,
La construction européenne s’est faite par la construction progressive d’institutions, l’établissement de compromis, la gestion de crises successives.
Elle a toujours eu du mal à se doter de stratégies à moyen et long termes clairement définies.
Les différents acteurs qui l’animent fonctionnent encore très largement chacun de leur côté, sur un mode très instrumental. Ils peinent à mettre en place les synergies qui leur permettraient d’avancer collectivement, à agir de manière cohérente au service des objectifs de l’Union européenne.
Cela a pour conséquence que telle politique européenne, par exemple la politique de concurrence, prend trop souvent le pas sur telle autre, par exemple la politique industrielle. Ou que nous nous trouvons incapables d’engager une convergence fiscale entre des économies qui sont, pour le reste, profondément intégrées.
La répartition des compétences entre les États et l’Union européenne d’une part, et entre les institutions européennes elles-mêmes d’autre part, a ainsi quelque chose d’étonnant !
Elles sont à la fois trop et pas assez exclusives les unes des autres. Pensez aux projets de traité de libre-échange avec le Canada ou avec les Etats-Unis : préparés de manière quasi unilatérale par la Commission, on ignore encore s’ils devront être ratifiés par le seul Parlement européen ou par nos 28 parlements nationaux. Cette incertitude est à elle seule incroyable…
Si nous devons retenir quelque chose de ces négociations avec nos amis nord-américains, c’est justement l’efficacité de leurs modèles fédéralistes. Non pas pour les dupliquer ou les ériger en horizon indépassable, mais parce que c’est aussi en réorganisant nos manières de procéder et en repensant les missions de chacun, en clarifiant et en revivifiant les institutions européennes que nous pourrons remettre l’Union sur une trajectoire positive et porteuse d’avenir.
Je vous remercie. »