André Gattolin est intervenu ce mardi, en séance publique, dans la discussion générale sur les traités TIPP et CETA (seul le prononcé fait foi).
« Je tiens tout d’abord saluer l’initiative du groupe CRC quant à la tenue de ce débat, suite à la proposition de résolution européenne présentée par Michel Billout. Ce n’est pas la première fois – et sans doute pas la dernière – que nous discutons ici des traités transatlantiques en cours.
J’ai souvenir d’un débat en janvier de l’an passé qui a mis en lumière combien l’ensemble des groupes politiques de cette assemblée émettait des critiques assez nettes et très pertinentes sur ce sujet.
Le texte débattu aujourd’hui a le grand mérite de pointer du doigt deux des plus grandes lacunes de ces projets d’accords entre l’Union européenne et le Canada d’une part, et avec les États-Unis d’autre part.
Il s’agit bien évidemment de la question de l’opacité inadmissible dans laquelle ces négociations ont été et sont encore actuellement menées et la question du mécanisme d’arbitrage privé proposé pour le règlement des différends entre investisseurs et États.
Mais avant d’y revenir plus en détails, je voudrais, en préalable, rappeler quelques fondamentaux de la réflexion des écologistes qui permettent de mieux comprendre le fond de nos positions quant à ces deux traités.
D’abord et en matière d’accords commerciaux, les écologistes sont très attachés au multilatéralisme, par opposition à la multiplication actuelle d’accords bilatéraux qui entérinent, voire accentuent, des situations déséquilibrées entre partenaires, selon des rapports de domination parfois forts entre les contractants.
Cette situation est évidemment la conséquence des échecs successifs rencontrés par l’Organisation Mondiale du Commerce.
Cette dernière a été fort critiquée car elle était, à juste titre, fort critiquable, mais elle avait au moins pour avantage d’instaurer des règles plus universelles et plus équilibrées, notamment à propos du règlement des différends.
Deuxième point : nous ne sommes pas opposés par principe à de nouveaux accords renforçant les liens importants qui existent déjà entre l’Union européenne et l’Amérique du nord.
A un moment où nos diplomaties redoublent d’attention à l’égard de la Chine, et que cette dernière réclame à cor et à cri la ratification d’un traité de libre-échange avec l’Union européenne, il n’est pas aberrant en soi de consolider nos relations avec les Etats-Unis et le Canada.
L’Union européenne et l’Amérique du Nord représentent toujours le plus important espace d’échanges commerciaux au monde.
Pour être plus explicite encore, les écologistes se refusent à tout jugement assimilable à une quelconque forme d’anti-américanisme, même si évidemment nous ne partageons pas toutes les valeurs qui guident les politiques conduites par les gouvernements états-uniens et canadiens successifs.
Nous avons, avec ces deux pays, en commun, outre l’état de droit, et ce n’est pas rien, des pans entiers d’histoire commune et de profonds liens culturels.
Troisième point important à rappeler ici : les écologistes par leur culture et leur histoire politique n’ont pas le dogme de l’Etat tout puissant et de l’infaillibilité de ses décisions.
Nous considérons légitime que des entreprises, comme des citoyens, puissent attaquer l’Etat quand celles-ci s’estiment lésées par certaines de ses décisions.
Bien évidemment, nous ne sommes pas naïfs quant à la capacité croissante de certains groupes industriels transnationaux à engager des procédures juridiques tortueuses, abusant de failles laissées par les traités, pour remettre en cause des choix politiques souverains pris de façon démocratique par l’Union ou un Etat membre.
Concernant à présent les deux points litigieux des ces traités soulignés par cette proposition de résolution européenne, nous nous accordons comme ses auteurs à dénoncer haut et fort le manque flagrant de transparence et donc le déficit démocratique qui entourent les actuelles négociations.
La responsabilité première en revient à la Commission européenne qui, jusqu’à présent, n’a eu de cesse de contredire les principes d’ouverture et de transparence pourtant posés par l’article 15 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Depuis 2013, j’ai eu de nombreuses fois l’occasion de dénoncer ici tous les manquements observés en la matière.
Nous sommes-là face à une approche extrêmement opaque et centralisatrice de la part de la Commission, à l’opposé total de ce que devrait être une approche européenne proprement fédéraliste, respectueuse démocratiquement du Parlement européen et des parlements nationaux.
J’insiste à nouveau sur ce point : nous ne disposons toujours pas aujourd’hui des études d’impact, pays par pays de l’Union, des conséquences économiques qu’auraient ces deux traités et que nous réclamons depuis plus de 18 mois ! (demande appuyée par la résolution n°164 adopté par le Sénat le 9 juin 2013).
Alors, bien évidemment, je salue « l’agenda de la transparence » que bâtit par vous, M. le Ministre, tout comme l’importance que vous accordez à réaliser prioritairement ces études d’impact détaillées.
Mais, Monsieur le ministre, n’est-il pas déjà un peu tard ?
Pour ce qui se rapporte au cœur de cette résolution, c’est-à-dire les critiques émises quant au mécanisme de règlement privé des différents, j’approuve pleinement les propositions du rapporteur que j’ai déjà eu l’occasion d’appuyer lors de la discussion de ce texte en commission.
Il est particulièrement inquiétant que de grandes multinationales puissent ainsi opposer leurs intérêts privés face à des États pour les pousser à remodeler le cadre législatif et réglementaire à leur profit.
Quoi que l’on puisse dire, si un État est menacé de sanctions financières massives en raison de décisions d’ordre sanitaire, social ou environnemental, alors la pression exercée pourra les dissuader de légiférer.
En l’état, ce mécanisme est très intimement lié à la question de la puissance économique des entreprises : l’arbitrage privé présente un coût si élevé que des petites et moyennes entreprises s’en verront, de fait, privées d’accès.
Nous sommes très loin d’un mécanisme qui permettrait aux grands acteurs de la société civile de faire valoir leurs droits face à un Etat abusant de ses fonctions régaliennes !
Enfin, et pour conclure, je voudrais dire que le Groupe écologiste du Sénat votera bien évidemment en faveur de cette résolution, même si nous nous interrogeons sur l’amalgame trop souvent fait entre TTIP et CETA.
Je rappellerais que ce dernier présente au moins l’avantage de renforcer nos échanges avec le Québec et le reste du Canada, pays avec lequel notre pays cultive des liens de confiance qu’on peut, sans faillir, qualifier de rares.
Je vous remercie. »