Ce jour, je suis intervenu en séance publique sur la proposition de loi du groupe socialiste, relative à la modernisation du secteur de la presse : « La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui tombe, malheureusement dirais-je, à point nommé après les événements terribles que nous venons de connaître, même si l’origine de ce texte, avec les ajouts apportés par l’Assemblée nationale, est antérieure à l’attentat survenu à Charlie Hebdo le 7 janvier dernier.
Ce texte, sur le fond, est opportun parce qu’il apporte quelques réponses à la crise accentuée de la presse écrite ces dernières années et aussi parce qu’il sécurise la situation de l’AFP.
A petites touches – trop petites à notre sens – il a l’avantage de proposer des améliorations à notre système d’aides qui, à force de stratifications successives, manque de lisibilité et surtout de cohérence, au point de perdre souvent de vue les finalités assignées au soutien accordé à ce secteur.
Un secteur particulier où une diversité d’acteurs privés contribue à une mission de service public essentielle à notre démocratie dans le cadre d’une liberté d’expression qui ne supporte que de très rares restrictions précisément circonscrites par la loi.
On peut bien sûr s’étonner de la part belle faite dans ce texte à la question de la distribution et de la diffusion des titres.
Il est bon de rappeler que, depuis la Révolution française, le législateur a toujours, et à juste titre, attaché un intérêt majeur au fait de rendre le plus large possible l’accès des citoyens à l’information.
La liberté d’expression n’est en effet que peu de chose sans une pleine liberté de circulation des idées.
Il est, en revanche, juste de s’interroger lorsqu’on analyse le prévisionnel budgétaire pour 2015 et que l’on constate que ces aides à la diffusion représentent près des deux tiers des aides directes (hors AFP) accordées à la presse !
Cette interrogation est d’autant plus légitime que nous vivons à une époque où la multiplication des canaux et la révolution des technologies de l’information rendent plus légères les contraintes de diffusion qui pesaient aux temps où l’information ne circulait que sous la forme du journal imprimé.
Notons par ailleurs que l’attribution de ces aides, comme la plupart des autres aides, ne tient pratiquement pas compte de la nature et de l’apport informatif spécifiques de chacun des supports.
Vous l’avez compris, je ne n’évoquerais pas ici l’ensemble des points qui composent ce texte. J’aurais l’occasion d’y revenir lors de son examen.
Je dirais simplement que le Groupe écologiste du Sénat considère que globalement ce texte constitue une avancée et, qu’à moins de modifications profondes qui en altérerait l’esprit, nous voterons bien évidemment en sa faveur.
Je veux plutôt profiter du temps qu’il me reste pour revenir sur certains fondamentaux, supposés présider à l’attribution d’aides publiques à la presse et qui, au regard de la réalité des choses, nous enjoignent prestement à repenser très profondément notre système d’aides actuel.
Pourquoi aide-t-on la presse ? En l’occurrence ici, les entreprises de presse ?
Cette question est, elle aussi, légitime car nous évoluons dans un modèle économique à dominante toujours plus libérale et que nous aidons, dans ce cas d’espèce, des entreprises qui appartiennent toute au secteur privé.
Les aide-t-on simplement, comme on aide d’autres entreprises du secteur marchand, parce qu’elles créent de l’emploi ou qu’elles sont menacées d’en perdre sous l’effet de la concurrence internationale ?
C’est en partie probable, mais en partie seulement.
Car lorsqu’on met en vis-à-vis le volume élevé d’aides accordées et la taille assez réduite secteur en termes d’emploi, de chiffre d’affaires ou encore d’exportations, on se doute bien que ces aides relèvent de raisons qui ne sont pas strictement économiques.
Non, si nous aidons la presse écrite, c’est en premier lieu au nom du pluralisme et la diversité de l’information qui enrichissent la vivacité du débat public dans notre pays !
Ca, c’est pour le principe… Car dans les faits, lorsqu’on étudie en détail, titre par titre, le global des aides perçues par chacun d’eux, il y a parfois de quoi tomber de sa chaise !
Rendons grâce à l’actuel gouvernement qui, à défaut d’avoir pour l’instant osé remettre à plat la mécanique d’attribution de ces aides, a depuis 2012 engagé une opération de transparence en rendant publiques les sommes allouées à chacun des 200 premiers titres les plus aidés !
Je vous encourage fortement, mes chers collègues, à en prendre lecture.
Vous réaliserez l’injustice souvent flagrante du système actuel ou, en tout cas, l’aberration de certains des critères retenus au regard des preux objectifs affichés.
Juste deux exemples :
En 2013, le magazine Télé Star (12ème rang au niveau des aides) devance l’hebdomadaire Le Point (14ème rang).
Mieux encore, Le Canard Enchainé (86ème rang !) se place après Gala et Point de Vue et précède à peine, avec 4 500 d’euros d’aides en plus, le Journal de Mickey et Closer !
Les hebdomadaires d’information sans publicité comme Politis sont totalement pénalisés !
Prenons le cas de Charlie Hebdo.
Ce titre, en très grande difficulté financière jusqu’à peu, et qui est aujourd’hui brandi comme notre étendard national de la liberté d’expression, comme un symbole de l’attachement de notre République à la laïcité…
… et bien, Madame la Ministre, Mes chers collègues, Charlie Hebdo n’apparait pas dans le classement des 200 titres les plus aidés !
Les seules misérables aides dont Charlie Hebdo a bénéficié ces dernières années relevaient des aides automatiques dont jouissent l’ensemble des titres de presse, quel que soit leur objet !
Il existe bien une ligne spécifique dans le budget de la France intitulée « Aides au pluralisme ». Mais celle-ci n’est dotée que 11,4 millions d’euros et concerne exclusivement les quotidiens et la presse régionale.
Les écologistes se battent depuis des années pour qu’une réforme profonde des aides à la presse soit engagée dans notre pays.
Le Président de la République a eu le courage de réaffirmer haut et fort notre attachement à la liberté d’expression et aux valeurs de la république ; il a aussi lancé un appel public à idées pour réformer notre pays.
Et bien, nous avons ici – et à la faveur horrible des événements récents – l’occasion d’opérer une remise à plat qui va bien au-delà du texte qui nous est soumis aujourd’hui.
Nous n’avons pas le droit d’esquiver cette invitation.
Je vous remercie. »