Retrouvez ci-dessous le texte de l’intervention d’André Gattolin, mercredi 4 février 2015, en discussion générale dans le débat préalable au conseil européen du 12 février 2015 (seul le prononcé fait foi).
L’ordre du jour de ce Conseil européen du 12 février prochain sera très largement consacré à la lutte contre le terrorisme et c’est une bonne chose.
Les sanglants attentats qui ont secoué notre pays obligent en effet à repenser la coopération européenne dans ce domaine.
Compte tenu de l’ampleur et de la nature transnationale de cette menace, la réponse ne peut être uniquement nationale, et l’action au niveau européen, à défaut d’être suffisante, constitue néanmoins un échelon indispensable pour tenter de relever ce défi.
Dès 2002, l’Union européenne s’est dotée de certains moyens en la matière. Mais jusqu’à présent, elle a surtout agi en réaction à des vagues d’attentats et les avancées observées demeurent encore assez maigres.
Le risque aujourd’hui est que, une fois apaisée la forte émotion suscitée par les attaques de Paris, l’attention portée par l’Europe à ces questions s’amenuise et que la volonté de retourner aux traditionnelles affaires économiques reprenne le dessus.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement français fait pression pour qu’un pas réellement décisif soit pris pour renforcer l’action à mener.
Quatre grands axes de coopération souhaités par notre gouvernement nous ont été signalés la semaine passée
par M. Jean-Yves Le Drian devant le Sénat.
Permettez-moi ici de rappeler chacun d’eux en les agrémentant de mes commentaires.
Tout d’abord, la détection, le contrôle ou l’entrave du déplacement des combattants étrangers terroristes.
Ces mesures voulues par le gouvernement impliquent une modification des règles du code Schengen, afin de rendre systématique la consultation de son système d’information lors du franchissement des frontières extérieures par les ressortissants européens concernés.
On peut comprendre, dans le contexte actuel, une telle mesure contreviendrait à la libre circulation des personnes, mais cela suppose a minima que ce contrôle extérieur soit limité dans le temps et réellement homogène entre les pays de l’espace Schengen.
Il faut aussi souligner qu’une telle action ne concernerait qu’une partie du phénomène terroriste actuel, alors que le danger auquel nous faisons face actuellement est de plus en plus endogène, difficilement détectable, et ne relèvent pas des filières internationales classiques.
En second lieu, l’établissement d’un PNR européen pour un meilleur repérage des mouvements djihadistes.
Un tel système d’échanges de données passagers est depuis longtemps en débat et il reste pour l’heure bloqué par le Parlement européen et par un jugement de la CJUE.
Les positions actuelles pourraient évoluer, mais je rappelle que le point principal d’achoppement concerne la durée de rétention des données collectées.
Par ailleurs, et si ces données de masse peuvent parfois s’avérer utiles, elles ne constituent en rien la solution universelle que certains voudraient faire croire.
Ce type de mesure, dont l’efficacité n’est pas mirobolante, conduit souvent à l’établissement d’un système très lourd de profilage de masse qui détourne une partie des moyens pouvant être plus utilement investis dans d’autres mesures.
Troisième axe : la mise en place d’un partenariat avec les grands opérateurs de l’Internet pour permettre
le signalement rapide de contenus incitant à la haine et à la terreur.
Il s’agit là d’une mesure sans doute, mais elle suppose une coopération active et étroite, au-delà de l’espace européen, avec les grands acteurs américains concernés.
Par ailleurs, si Internet constitue un des vecteurs de radicalisation dans nos pays européens, il est loin d’être le seul et les techniques toujours plus sophistiquées employées par les réseaux peuvent assez rapidement rendre obsolète les moyens de contrôle mis en place.
Nous assistonslà à une course entre le chat et la souris, où le chat est souvent handicapé par sa morphologie moins mobile que celle de la souris.
Enfin, quatrième axe, le renforcement de la lutte contre le trafic d’armes à feu en Europe.
Cette initiative est particulièrement salutaire et stratégique, mais elle suppose une très forte coopération entre polices européennes.
Elle nécessite aussi, et bien en amont, une meilleure collaboration en matière de politique de vente d’armes, alors même que notre concertation politique en la matière est plus qu’embryonnaire.
Pour illustrer, que se passerait-il demain si la Grèce n’était plus en mesure d’assurer les salaires de sa très imposante armée ? Qu’adviendra-t-il des volumes incroyablement élevés d’armes que nos pays ont vendu à cet Etat depuis des décennies ?
Moyens mis en œuvre et coopération accrue au sein de l’Union sont donc aujourd’hui les maîtres mots de ce que nous devons engager à l’échelle communautaire pour mieux lutter contre le terrorisme.
Dans les domaines de la coopération judiciaire et policière, nous disposons de certains instruments et notamment
de deux agences emblématiques : Europol et Eurojust.
Avec l’instauration du mandat d’arrêt européen, elles constituent trois des plus belles réussites de l’Union dans l’édification de « l’Espace de liberté, de sécurité et de justice ».
J’ai eu la chance de conduire, l’an passé, au nom de notre commission des affaires européennes une mission d’étude auprès de ces deux agences installées à La Haye.
Des auditions conduites sur place, nous avons vu ressortir
deux problèmes majeurs qui entravent aujourd’hui le renforcement de la coopération européenne en la matière.
- La première concerne la faiblesse des moyens budgétaires alloués à Europol et à Eurojust dans le cadre pluriannuel pour la période 2014-2020. A l’heure où la criminalité transfrontalière en tout genre explose et où les missions de ces agences s’élargissent,
cette vision comptable ultra-orthodoxe de l’Union relève
à notre sens d’une irresponsabilité politique totale, bloquant tout renforcement de la coopération opérationnelle !
Monsieur le Ministre, j’aimerais vous entendre sur ce sujet.
- Par ailleurs, pour qu’une coordination soit efficace en matière judiciaire et policière, les textes législatifs ne suffisent pas.Une pratique durable de coopération et une confiance mutuelle entre polices et justices des différents Etats sont également requises. Et celles-ci ne se décrètent pas. Soulignons au passage que la France n’est pas toujours exemplaire à ce sujet ! Depuis 2013, une seule cour d’appel sur 36 s’est acquittée de son obligation d’information à l’égard d’Eurojust !
Face à un tel constat, Monsieur le Ministre,
comment pouvons-nous sensibiliser nos administrations et nos autorités judiciaires à une meilleure culture de coopération ?
Enfin et pour finir, je voudrais signaler une dimension qui me semble totalement absente des discussions actuelles :
c’est celle d’une vraie politique européenne en matière de renforcement de la sécurité informatique.
La France, mais pas seulement elle, connait depuis quelques semaines un développement sans précédent
des attaques informatiques fomentées par les réseaux de la mouvance islamiste radicale.
Le rapport Akamai de janvier 2015 souligne que les attaques DdoS contre des sites ont pratiquement doublé en un an !
Le site du Sénat a été attaqué le mois passé. Le site de Charlie Hebdo a fait l’objet d’innombrables attaques ces dernières semaines, au point où un de ses hébergeurs américains, parmi les plus puissants sur le marché, a dû jeter l’éponge, forçant le site à passer en forme statique !
Monsieur le Ministre, n’est-il pas urgent de mettre en place une solution européenne très rapidement opérationnelle
pour répondre à ce déni de démocratie qui consiste à censurer de fait des titres européens sur leur propre territoire ?
La lutte contre le terrorisme de demain passe d’abord par la prévention. Cette indispensable prévention passe aussi par un meilleur arbitrage entre nos intérêts économiques immédiats d’aujourd’hui et les risques que certains de ces choix nous font courir à moyen et long termes.
Un des grands objectifs de la Commission pour 2015 concerne le développement de notre industrie numérique et une législation plus unifiée en matière de données personnelles. C’est bien. Mais cette question est approchée le plus souvent sous un angle de pure efficacité économique sans jamais tenir compte de ce grand défi qu’est celui de la sécurité informatique.
Je terminerai en insistant sur ce point : en matière de politique européenne, il faut avoir aujourd’hui une vue d’ensemble et veiller à ne pas trop sectoriser la question de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme au seul domaine très délimité de la stricte coopération policière et judiciaire.
Je vous remercie.