André Gattolin est intervenu au sujet de la filière numérique et de la cybersécurité, en Commission des affaires européennes, dans le cadre de l’examen de la proposition de résolution européenne n° 423 (2014-2015) pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse.
M. André Gattolin. – Je vais immédiatement couper court au suspens, s’il en est : je suis très favorable à la proposition de résolution qui nous est soumise ! Celle-ci reprend, en effet, les conclusions de la mission d’information sur la gouvernance mondiale de l’Internet, dont j’étais membre. Elle était présidée par Gaëtan Gorce et je partage la quasi-totalité des conclusions de son rapporteur, Catherine Morin-Desailly.
Avant d’aborder la résolution en elle-même et les améliorations que je vous propose d’y apporter, je voudrais tout d’abord évoquer le contexte et l’importance du moment, et vous présenter les orientations que propose la Commission européenne pour une stratégie numérique de l’Union européenne.
C’est le 6 mai dernier que la Commission européenne a dévoilé sa communication « pour un marché unique numérique en Europe ». Le titre est un peu trompeur, car comme vous allez le voir, ce projet est plus ambitieux qu’il n’y paraît. La Commission l’articule autour de trois piliers. Au sein de ces piliers, 16 actions feront chacune l’objet d’une initiative législative au plus tard avant la fin de 2016. Le calendrier des textes – règlements et directives – sera donc très dense !
Le premier pilier vise à améliorer l’accès aux biens et services numériques dans toute l’Europe pour les consommateurs et les entreprises. Cela concerne l’achat de biens dans un autre pays de l’Union, la livraison de colis, les taux de TVA, ou encore les questions sensibles du blocage géographique et surtout du droit d’auteur.
Sur ce dernier point, très important pour notre pays, la table ronde organisée la semaine dernière par notre commission et la commission de la culture a laissé entrevoir une certaine satisfaction de la part des associations présentes. Il faut reconnaître que la Commission européenne s’est éloignée d’une approche purement favorable aux consommateurs. Elle semble désormais s’intéresser aussi à la production et avoir compris que le droit d’auteur est un élément primordial du soutien à nos industries culturelles.
Le second pilier de la stratégie veut, d’une part, créer un environnement propice au développement des réseaux et services numériques, et d’autre part, créer des conditions de concurrence équitables. Pour ce faire, la Commission prévoit la modernisation de deux législations qui avaient été adoptées avant la généralisation de l’internet mobile : la réglementation des télécommunications et la directive sur les médias audiovisuels. Ensuite, elle envisage de renforcer la sécurisation des données et la cybersécurité, éléments fondamentaux d’une utilisation sûre de l’Internet. Je reviendrai sur la cybersécurité un peu plus tard. Enfin, la Commission propose une analyse détaillée du rôle des plateformes en ligne dans le marché.
C’est extrêmement important, voire central. Les plateformes, ce sont les moteurs de recherche comme Google, les réseaux sociaux comme Facebook ou les boutiques d’applications comme celles détenues par Apple. Or, ces grands acteurs américains ont des comportements dont on se demande s’ils sont licites. Au-delà de l’optimisation fiscale poussée à outrance, il y a la question de l’absence de transparence des résultats de recherche, les relations avec les fournisseurs, la promotion de leurs propres services au détriment des concurrents ou encore la politique tarifaire appliquée.
Il est bon que l’Union européenne comprenne que ces attitudes sont néfastes au marché unique numérique et décide d’agir à leur encontre ! Cela a d’ailleurs déjà commencé avec les enquêtes diligentées contre Apple et Facebook, avec une réaction qui n’a pas tardé, l’annonce par Amazon de payer désormais l’impôt sur les sociétés dans le pays où ses filiales sont implantées et non plus uniquement au Luxembourg…
Dans un autre ordre d’idées, je signale que le « paquet télécoms », en discussion depuis la fin de 2013, fait actuellement l’objet de discussions en trilogue. Il a beaucoup perdu de son ambition première et les débats se sont focalisés sur les frais d’itinérance et sur l’importante question de la neutralité de l’Internet. Un compromis est sur la table. Il vaut ce qu’il vaut, mais je crois qu’il faut maintenant l’adopter sans plus attendre pour pouvoir avancer !
J’en reviens à la communication de la Commission européenne.
Le troisième pilier veut maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique en Europe. Il est le signe que le projet de la Commission européenne ne s’arrête pas à renforcer la législation existante et le marché intérieur, mais qu’elle a aussi pris la mesure de l’importance de développer une industrie numérique européenne. L’accent donné à la libre circulation des données à l’ère du big data et de l’informatique en nuage me paraît pertinent, car ce sont deux domaines qui possèdent de forts potentiels de croissance. Enfin, la volonté de développer les compétences des citoyens dans le domaine numérique peut être analysée comme le signe d’une prise de conscience que l’ensemble de la société est affecté par la révolution numérique.
Donc, globalement, et sur le papier, cette stratégie est satisfaisante. Mais il convient de mesurer qu’elle comporte deux limites. La première limite, c’est qu’il ne s’agit que de la vision de la Commission européenne. Et sa publication marque le début du processus d’adoption d’une décision en Europe. La Commission présentera sa contribution au Conseil européen les 25 et 26 juin prochains. Et c’est là que la deuxième limite est importante : cette stratégie a le mérite de mettre en discussion l’ensemble des points de blocage au développement de l’économie numérique en Europe, mais elle ne prend pas véritablement position. Ce n’est que lorsque les textes normatifs seront soumis au législateur qu’on verra apparaître la véritable orientation de la Commission.
Or, au sein de celle-ci, comme en Europe, il y a deux lignes. La première, libérale, est incarnée par le vice-président Ansip qui veut rendre plus efficace le marché unique au profit du consommateur, supprimer les freins au commerce transfrontière et mettre fin au blocage géographique. La seconde ligne, portée par le commissaire Oettinger, est plus volontariste et prône un véritable soutien à une industrie numérique en Europe. Il s’agit également de la position de la France et de l’Allemagne.
En soi, la communication de la Commission européenne est une petite victoire pour nos deux pays. Mais les négociations seront encore nombreuses – 16 textes au moins seront mis en discussion ! – et longues. Dans ce contexte, il importe de réaffirmer les principes qui nous paraissent essentiels.
C’est précisément ce que fait la proposition de résolution qui nous est soumise. S’appuyant sur les travaux de la mission d’information conduite l’an dernier sur l’Europe au secours de la gouvernance mondiale de l’Internet, les auteurs nous proposent une résolution que je qualifierai de résolution de principe. Elle aborde les sujets majeurs de la révolution numérique (la répartition de la valeur sur Internet, le respect du droit d’auteur, la protection des données personnelles, la neutralité du Net, la régulation des plateformes, la fiscalité) et prône une stratégie industrielle pour le numérique en Europe.
Je crois qu’il est utile et important, à l’heure où les négociations vont commencer, de rappeler la position du Sénat pour soutenir le Gouvernement français. C’est la raison pour laquelle je vous propose simplement de renforcer et d’enrichir la proposition de résolution.
Quelles sont les modifications que je vous suggère d’apporter au texte de la proposition ?
Renforcer la proposition, cela signifie que je propose de clarifier notre message. En effet, le paragraphe 17 est celui qui prône une stratégie industrielle pour le numérique et les moyens pour y arriver. Cela passe par des mesures en faveur du développement des entreprises et par l’affirmation de l’ambition européenne dans les négociations commerciales. Je vous propose de scinder ces deux aspects pour rendre notre message plus fort et plus lisible. Un paragraphe prônerait une véritable stratégie industrielle européenne pour le numérique et détaillerait les différents moyens pour la mettre en oeuvre (c’est le paragraphe 18). Un second paragraphe rappellerait les aspects essentiels sur lesquels l’Union européenne doit s’affirmer dans les négociations commerciales et tout particulièrement en ce qui concerne le traité transatlantique (c’est le paragraphe 20).
Pour enrichir – un peu plus ! – la proposition de résolution, je vous propose d’ajouter un paragraphe sur la cybersécurité. Ce thème, que j’évoque depuis plusieurs mois, me paraît essentiel pour une politique numérique ambitieuse et offensive. La multiplication des cyber-attaques en 2015 a montré la vulnérabilité de nos systèmes d’information, les limites de nos moyens de protection et la faiblesse de nos capacités. Pensons aux attaques dont ont été victimes les États comme la Lettonie, les médias comme TV5 Monde ou encore les banques, victimes de cyber-braquages dont on ne saura peut-être jamais le montant exact !
Une étude présentée en janvier dernier au Forum économique mondial de Davos estime que si les Gouvernements et les entreprises ne développent pas rapidement une défense adéquate contre les cyber-attaques, celles-ci pourraient entraîner une perte pouvant aller jusqu’à 3 000 milliards de dollars d’ici à 2020 (soit près de 2 700 milliards d’euros, si on applique le taux de change actuel).
Dans ce contexte, nous devons développer en Europe une véritable culture de la cybersécurité, former nos ingénieurs, soutenir la création d’agences publiques et le développement d’acteurs privés dans ce secteur. C’est le sens du paragraphe 19 que je vous propose d’adopter.
> Extrait du compte-rendu de la commission