Le gouvernement a demandé au parlement de se prononcer sur l’accord européen relatif à la Grèce. Huit sénateurs écologistes, dont André Gattolin, ont voté pour. Deux ont quant à eux fait le choix de l’abstention. Ci-dessous le texte de l’intervention d’André Gattolin dans le débat suivant la déclaration du gouvernement (seul le prononcé fait foi) :
« Monsieur le président, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mes chers collègues
Une semaine après, nous voici de nouveau réunis pour discuter du sort de la Grèce. Mais cette fois-ci, il s’agit, pour nous, de nous prononcer sur un accord trouvé à l’arrachée, à la suite d’une longue et pénible nuit de négociations à Bruxelles en début de semaine.
Le moment de débat que nous menons ici est particulièrement solennel, car ce sont plusieurs parlements nationaux de l’Union qui sont amenés à s’exprimer. Le hasard veut que nous procédions en France à ce sujet en quasi-simultanéité avec le Parlement grec.
Il ne s’agit plus ici de questionner les responsabilités des uns et des autres. Le temps est à présent venu, en âme et conscience, d’acter ou de rejeter l’accord trouvé. Et, disons-le clairement, c’est sur des formes exacerbées de cynisme, d’égoïsme et d’humiliation que l’eurogroupe a procédé à cette négociation ; perdant ainsi de vue la solidarité et la cohésion qui auraient dû guider ses pas.
Et pourtant, c’est bel et bien près d’un précipice que l’Europe vient de passer. Et sans que sa conduite soit louable, elle a cependant su – pour le moment – ne pas tomber dedans.
Elle ne s’est pas échouée dans l’abîme, car même si le peuple grec est aujourd’hui soumis à de terribles contraintes, l’accord proposé a évité un scénario bien pire : celui du Grexit, même provisoire, soutenu par l’Allemagne.
Comme j’ai eu l’occasion de le souligner la semaine passée, cela aurait été une totale aberration politique et géopolitique, mais surtout économique, par son coût bien plus élevé qu’un maintien de la Grèce dans la zone euro.
Nous avons échappé au pire, mais au prix d’un accord extrêmement brutal pour la Grèce. Parmi les réformes demandées et obtenues par les créanciers de la Grèce, certaines me semblent dangereuses, et suscitent de très légitimes interrogations.
Tout d’abord, il est demandé au gouvernement Tsipras de consulter en permanence et au préalable la Troïka sur tout nouveau projet de loi qu’il serait amené à proposer. Cette mise sous tutelle systématique est inacceptable et – c’est un fédéraliste européen qui le dit – constitue une véritable atteinte à sa souveraineté.
En plus de cela, on organise la mise sous tutelle financière de 50 milliards de ses biens, dont la gestion reviendra à un fonds basé en Grèce. Sur ce point, je tiens à saluer l’action d’Alexis Tsipras qui a réussi, bien heureusement, à empêcher que le fonds ne soit basé à Luxembourg. Il ne manquait plus que ça !
Cela reste, hélas, une bien maigre victoire. Car ce fonds de privatisation n’est en réalité rien de plus qu’une version réactualisée de la société fiduciaire, ou Treuhand en allemand, qui fut chargée de la privatisation d’entreprises de la RDA, au moment de la réunification allemande. Et c’est là loin d’être une bonne nouvelle.
Personne d’autre que Monsieur Schäuble, l’actuel ministre des finances allemand, ne sait mieux à quel point l’action de cette société fiduciaire fut dure et effroyable pour les Allemands de l’Est. A cette époque, il était en effet Ministre de l’Intérieur du Gouvernement Kohl.
A la fin de sa période d’action, seuls 1,5 millions d’Allemands de l’Est avaient réussi à trouver un travail, et les caisses de l’Etat se sont retrouvées avec 120 milliards d’euros de dettes, alors qu’on s’attendait à obtenir 300 milliards de recettes ! Comment alors être optimiste quant à cette mise sous tutelle financière ?
D’autres mesures risquent aussi de pousser la Grèce vers une asphyxie économique et sociale, comme par exemple la réforme des retraites et la hausse notable de la TVA. Prévoir de telles mesures sans instaurer en parallèle – à l’instar de ce qui existe en France ou en Allemagne – un revenu minimum de solidarité me paraît socialement insoutenable.
L’accord très discutable adopté lundi comporte néanmoins quelques avancées pertinentes. Je pense ainsi à l’indépendance de l’office grec des statistiques, à la mise en place de réformes en faveur d’un système fiscal enfin viable, à la volonté de mettre fin au clientélisme au sein de l’administration grecque et à l’affectation de 12,5 milliards d’euros du fonds de privatisation en faveur de l’investissement.
Alors on nous demande aujourd’hui, nous parlementaires Français, de nous prononcer sur cet accord. Et c’est là un choix assez cornélien qui nous est posé.
Si nous nous trouvons aujourd’hui dans une telle situation, c’est d’abord parce que nous n’avons pas su doter l’Europe des instances composant un fédéralisme politique. Et par cette erreur, nous l’avons poussé sur une trajectoire déviante, ayant abouti à une forme de fédéralisme financier, guidé par des instances financières pas plus politiques que démocratiques.
Cela pose également la question de la configuration et de la gouvernance de la zone euro et celle de l’opacité du fonctionnement de l’eurogroupe. Car, tant que nous n’aurons pas doté l’Union d’instruments de gouvernance politique, tant que nous n’aurons pas réformé la gouvernance de la zone euro, ou encore communautarisé la dette, nous n’arriverons à avancer que par à-coups, et surtout que par réponses circonstanciées et toujours lapidaires aux crises qui s’imposent à nous.
Nous devons reprendre en main le projet européen, qui, aujourd’hui, semble avancer sans nous dans des chemins sans horizon. Une Europe qui n’est pas fondamentalement démocratique ne peut pas être l’Europe dont nous rêvons. Une Europe dans laquelle les figures de l’hérésie ont pour nom cohésion et solidarité n’est pas non plus l’Europe que nous souhaitons ériger.
Pour conclure sur le vote à donner sur cet accord, un « non », qui sur le fond pourrait être justifiable, reviendrait à ignorer l’appel à l’aide du gouvernement grec, et reviendrait surtout à renier tous les efforts qu’il a mis en œuvre, et un tel « non » équivaudrait à un accord tacite pour une sortie de la Grèce de la zone euro.
C’est pourquoi une très large majorité au sein du groupe écologiste estime que notre responsabilité historique aujourd’hui est d’approuver cet accord imparfait. Certains de nos collègues ont, pour leur part, fait le choix de l’abstention.
L’approuver faute de mieux, pour maintenir aujourd’hui la tête de la Grèce hors de l’eau, et pour dès demain engager les actions nécessaires pour aider les Grecs à desserrer l’étau dans lequel ils sont pris.
Je vous remercie. »
(Illustration Reuters DR)