Ci-dessous l’intervention d’André Gattolin, auteur de la proposition de loi, ce 21 octobre au soir à la tribune du Sénat (seul le prononcé fait foi) :
« Monsieur le président, Madame la Ministre, Madame la Présidente de la Commission de la Culture, de l’éducation et de la communication, Madame la rapporteure, Mes chers collègues,
Les amateurs de fromage de notre Haute assemblée le savent, le tout
premier écran publicitaire fut diffusé sur la télévision française –
alors monopole d’Etat – le 1er octobre 1968.
Et, même si vous n’étiez pas devant votre téléviseur ce jour-là, son
impact dans notre imaginaire collectif fut phénoménal.
Il me suffit de vous dire : « Du pain, du vin, et du … » pour que,
spontanément, vous soyez en mesure d’énoncer la suite !
Depuis, la télévision, et avec elle la publicité, sont entrées dans
l’intimité de la quasi-totalité des foyers français.
À ce jour, près de 97% des ménages possèdent au moins un téléviseur.
En dépit de l’apparition d’Internet et des nouveaux médias, nos enfants
regardent encore la télévision plus de deux heures par jour.
Ce chiffre a peu évolué depuis les années 1980 et nos enfants sont de
plus en plus souvent seuls devant le petit écran (40 % d’entre eux selon la
dernière enquête budget-temps de l’INSEE).
Certes, la publicité a permis à notre système médiatique de se
diversifier.
Mais elle a aussi créé de toutes pièces de nouvelles cibles marketing
comme le marché « enfants » et « préadolescents », évalué à 40 milliards
d’Euros en France.
À ce titre, les enfants sont appréhendés par les publicitaires comme
prescripteurs d’achats au sein de la famille.
Cela se voit plus particulièrement durant la période qui précède Noël :
60% des investissements publicitaires dans les programmes jeunesse
s’effectuent d’octobre à décembre.
Les effets néfastes de cette surexposition publicitaire sont aujourd’hui
confirmés dans les études conduites en matière de santé publique, de
désagrégation des liens sociaux et de surconsommation.
En effet, pour les plus jeunes téléspectateurs, il est impossible de
distinguer les contenus publicitaires des autres contenus diffusés par
les chaines.
Les procédés utilisés, comme la stratégie de la rareté, frustrent les
enfants pour créer un désir de consommation compulsive, nuisent à
l’autorité parentale et créent de fortes tensions familiales.
La publicité pour enfants participent également de la création de
stéréotypes dangereux.
Comme l’a constaté notre collègue Chantal JOUANNO dans un rapport publié
en 2012, certaines annonces hyper-sexualisent de très jeunes filles à des
fins mercantiles, contrevenant ainsi au principe d’intérêt supérieur de
l’enfant.
Or, le cadre législatif et réglementaire actuel est insuffisant – voire
quasi-inexistant – pour garantir une véritable protection de la jeunesse
face aux effets néfastes de la surexposition publicitaire.
Le texte que nous étudions ce soir a déjà une longue histoire.
Il s’inspire d’un texte déposé en 2010 par notre ancien collègue Jacques
MULLER, que je m’étais permis simplifier avant de le re-déposer devant
notre assemblée dès mai 2013.
Initialement programmé pour passer en séance au printemps dernier, j’ai
finalement jugé préférable d’attendre la fin des travaux de la mission de
contrôle sur le financement de l’audiovisuel public pour l’inscrire à
l’ordre du jour afin de ne pas interférer avec nos conclusions présentées
le mois passé.
Avant d’entrer plus en détail dans le contenu de cette proposition, je
voudrais remercier ici la Commission de la culture, notamment sa
présidente, Catherine MORIN-DESAILLY et la rapporteure du texte, Corinne
BOUCHOUX, qui, tout en conservant l’esprit du dispositif initial, l’a
clarifié en adoptant plusieurs amendements.
La Commission a tout d’abord privilégié l’inscription dans la loi d’un
principe d’une régulation souple par le CSA, en lieu et place d’un
dispositif réglementaire.
Contrairement à ce que prévoyait le texte initial, la Commission n’a ici
pas jugé réaliste de trop contraindre les règles publicitaires des
programmes jeunesse sur les chaînes privées.
En effet, une telle disposition aurait été préjudiciable financièrement à
la vingtaine de chaînes jeunesse en France, qui tirent principalement –
voire pour certaines exclusivement – leurs ressources de la publicité.
Ces choix limitent évidemment la portée de notre proposition de loi, mais
ils témoignent aussi d’un souci réel de ne pas déstabiliser l’ensemble
d’un secteur économique assez dynamique.
Nous acceptons ainsi de laisser une chance à l’auto-régulation et à la
prise de conscience des acteurs.
Chaque année, le CSA devra donc rendre compte devant le parlement de ses
travaux sur la publicité télévisuelle dans les programmes pour enfants
des chaînes publiques et privées.
Sur la base de ses observations, il sera toujours possible, dans un
second temps, d’envisager un cadre normatif plus contraignant.
Le cœur de notre proposition est contenue dans l’article 2 du texte et
prévoit la suppression de la publicité commerciale dans les programmes de
la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans, durant
les 15 minutes qui les précèdent et qui les suivent.
Cette disposition s’applique également aux sites Internet de la
télévision publique.
La publicité générique (par exemple pour le lait ou pour des fruits),
ainsi que les campagnes d’intérêt général, ne sont pas visées par cette
interdiction.
Je veux ici aussi saluer la proposition de notre collège Jean-Pierre
LELEUX, retenue par la commission, qui vise à faire entrer en vigueur
cette disposition au 1er janvier 2018, afin de la faire coïncider avec la
réforme du modèle de financement de l’audiovisuel public que nous avons
ensemble préconisée au nom de notre assemblée.
La perpétuation d’un modèle de financement instable où les objectifs
publicitaires de France Télévisions sont presque systématiquement
surévalués et servent de variable d’ajustement au budget des chaînes
n’est pas acceptable.
Nous ne mettons évidemment pas en cause, dans le contexte budgétaire
tendu que connaissent l’audiovisuel public et l’Etat, l’intérêt de la ressource
propre que constituent les recettes publicitaires.
Pour autant il serait, à mon sens, assez irresponsable d’assujettir les
missions fondamentales du service public à la quête de cette seule
ressource qui ne représente, avec 13,5 millions d’euros pour les
programmes jeunesse, que 0,5 % des 2,8 milliards d’euros du budget global
de France Télévisions.
En tant qu’ancien professionnel des médias, des études et de la
publicité, j’ai consulté de nombreux acteurs de ces secteurs pour évaluer l’impact
financier réel de cette PPL.
De ces analyses, il ressort notamment que sur le principal secteur
concerné, celui des jeux et des jouets, la part de marché publicitaire de
France Télévisions est très marginale : environ 6,5 % (contre 12% pour
TF1 et plus de 75 % pour les chaines privées spécialisées).
Cette part de marché est inexorablement amenée à décliner à moyen
terme en raison de la concurrence croissante de la TNT et d’Internet.
Autre précision d’importance : la plupart des annonceurs actuels des
émissions jeunesse de FT annoncent également pour les mêmes produits à
d’autres horaires, notamment en fin d’après-midi et en access prime time.
En cas d’interdiction dans les écrans publicitaires attachés aux
programmes jeunesse, nous estimons à au moins 30 % le report de ces
budgets sur des écrans plus tardifs et non soumis à interdiction sur les
mêmes chaines.
Notre proposition ne supprime en effet pas la publicité ciblant les
jeunes ; elle vise simplement (et c’est déjà beaucoup) à en finir avec la «
télé-garderie » commerciale à travers l’audiovisuel public ; c’est-à-dire
ces moments matinaux où 40 % des enfants sont seuls face à la publicité,
sans la présence d’un adulte.
Par ailleurs, compte tenu de ces éléments et du fait que cette loi
n’entrerait en vigueur qu’en 2018, nous estimons que le manque à gagner
final pour France Télévisions à 7 millions d’euros seulement.
C’est là le prix à payer pour que la télévision publique se distingue
davantage du reste de l’offre télévisuelle.
Pour finir, j’aimerais répondre à l’argument fallacieux, souvent entendu,
selon lequel cette mesure ruinerait notre belle filière de l’image animée
française, puisque les chaines publiques n’ayant plus de recettes
publicitaires attachées à leur diffusion, elles renonceraient à
acheter ce type de programmes…
C’est là une contre-vérité qui vise à faire croire en l’existence de
ressources publicitaires affectées dans une société nationale comme
France Télévisions.
Je rappelle que la production de programmes jeunesse de qualité fait
partie des principales missions de service public assignées à notre
télévision publique.
La plus belle illustration du caractère dissocié des recettes
publicitaires et des investissements dans les programmes sur France
Télévisions concerne la décision de 2009 de supprimer la publicité sur
nos chaines publiques après 20 heures.
France Télévisions a-t-elle cessé d’investir dans les productions
patrimoniales et l’information de qualité diffusées en soirée en
raison de l’absence de publicité ?
Evidemment non !
Avant-hier soir, nos collègues députés ont adopté un amendement 822 qui
accroit dès l’année prochaine de 25 millions d’euros les ressources de
France Télévisions.
C’est une bonne chose et mes collègues écologistes ont voté cet
amendement.
Pour conclure, il ne faut pas oublier que la télévision publique
n’appartient pas qu’à l’Etat et à ceux qui la font, mais qu’elle
appartient en premier lieu et collectivement au public et à ceux qui très
majoritairement à travers la redevance la financent.
Nos concitoyens sont en droit d’avoir des exigences à son égard.
Ainsi, une enquête réalisée le mois passé par l’IFOP révèle que 71 % des
Français sont favorables à la suppression de la publicité commerciale
dans les émissions destinées à la jeunesse sur les chaines publiques.
Cet avis est très nettement majoritaire auprès de tous les segments de la
populations et auprès des sympathisants de toutes les formations
politiques.
Il serait, je crois, très opportun de répondre favorablement à cette
attente en adoptant la présente proposition de loi.
Je vous remercie. »