Intervention d’André Gattolin dans la discussion générale sur le projet de loi de finances pour 2016, ce 19 novembre 2015 en séance publique.
« Madame la présidente, Messieurs les ministres, Mes chers collègues,
C’est la première fois que je prends la parole devant vous, depuis ce vendredi 13 novembre, et – veuillez m’en excuser – c’est pour moi un exercice encore assez difficile. Le deuil suspend le temps, et la souffrance ajourne les controverses. Comment peut-on débattre, dans le sang tout juste versé, les blessures encore ouvertes, et la douleur qui toujours nous traverse ? Pourtant, la démocratie est là, qui nous attend.
Exprimer le pluralisme, organiser le dialogue, fonder la prise de décision : voilà un remède à la violence que nous ne pouvons délaisser. L’exemple à ne pas suivre nous a toutefois et malheureusement été donné dans une autre enceinte.
Alors, soyons plus que jamais, mes chers collègues, à la hauteur de la réputation de
sagesse qui est celle de notre assemblée. Puissions-nous simplement nous rappeler, quand nous confrontons nos divergences légitimes, que nous avons le devoir, tous ensemble, de concourir dignement au débat démocratique ! D’ailleurs, nous avons toutes et tous témoigné notre profonde admiration aux forces de sécurité et au personnel hospitalier de notre pays.
A tel point qu’il semble s’être formé une unanimité pour réclamer davantage d’effectifs ! Alors aujourd’hui, mes chers collègues, je nourris l’espoir que, dans toutes les travées, nous osions – même timidement – louer les vertus de la dépense publique ! Ayons en effet le courage de la cohérence : la dépense publique, et donc l’impôt qui la nourrit, n’est pas qu’un problème.
C’est aussi, lorsqu’on a un besoin vital des services qu’elle finance, un formidable soutien. Le débat qu’il nous faut avoir, en matière de dépense publique, c’est celui de son efficacité, qui doit pouvoir être abordée précisément, au cas par cas.
On peut bien sûr et ensuite s’interroger sur son niveau. Mais à présenter exclusivement la dépense publique comme une charge, qui plus est trop élevée, on esquive le vrai débat
politique sur les services que l’on souhaite conserver publics ou bien
abandonner au secteur marchand.
Alors bien sûr, la dette nous obère. Mais il ne faut pas se méprendre sur ses causes. Il est toujours utile de rappeler que, depuis l’introduction de l’euro et jusqu’en 2008, la dette de la zone euro était stable, autour de 70% du PIB.
Entre 2008 et aujourd’hui, elle est passée à environ 90% du PIB dans cette même zone euro et à 96 % en France. Le surcroît de dette publique postérieur à la crise est donc largement imputable au système financier, et non pas à la seule dépense publique.
Si d’indéniables progrès ont été faits au niveau européen en matière de régulation bancaire, il n’est toutefois pas acceptable que la France entrave la directive Barnier ou la mise en place de la taxe sur les transactions financières, dans le seul but de préserver une industrie bancaire aux lourdes responsabilités.
Pour le reste, une part importante du stock de dette résulte du système économique dominant. Fondé sur une expansion supposée sans limite, celui-ci consiste à emprunter aujourd’hui ce qu’on croit pouvoir générer demain. Or, on le sait maintenant, la mécanique s’enraye.
La croissance économique se heurte à des limites physiques dures, comme la déplétion des ressources ou la crise climatique, tandis que la dette, économique comme écologique, s’accumule.
Changer ce modèle est assurément moins facile que d’encadrer le secteur bancaire. Comme pour la misère du monde, la tâche est globale mais chacun doit y prendre sa part.
La COP 21 est de ce point de vue un événement majeur. Sa tenue à Paris est pour notre pays une grande opportunité, appelant de notre part pédagogie et exemplarité.
Malheureusement, Messieurs les ministres, le Gouvernement a opéré un choix déroutant, en choisissant d’exclure du projet de loi de finances toutes les mesures de fiscalité écologique que nous attendions.
Certes, c’est une habitude ancienne que de dévoyer le PLFR, en en faisant la voiture balai des mesures qui n’ont pas été préparées à temps pour le PLF. Mais en l’occurrence, il nous paraissait évident que la concomitance parfaite du projet de loi de finances avec la COP 21 devait faire de ces mesures écologiques le thème central— au moins cette année — de notre débat budgétaire !
Nous ne pouvons donc qu’être extrêmement déçus, Messieurs les ministres, de voir la transition écologique interdite de débat budgétaire et reléguée au PLFR. Du fait des contraintes de calendrier, ce dernier est généralement expédié par le Sénat en deux jours.
En revanche, en dépit de ce manque, il me faut signaler non sans une certaine satisfaction la première parution du rapport annuel sur les nouveaux indicateurs de richesse. Il traduit la proposition de loi de notre collègue députée Eva Sas, que nous avions adoptée au Sénat en avril dernier. Le nombre – en l’occurrence 10 – et la définition des indicateurs est évidemment discutable. Toutefois, c’était le parti pris de cette proposition de loi que d’en déléguer le choix à France Stratégie et au Conseil économique, social et environnemental, après une grande consultation.
Cette démarche collective permet, je crois, de susciter autour de cette vision novatrice de la politique économique une adhésion plus large que si nous avions d’emblée tout figé dans la loi. Au-delà de la définition des indicateurs et de l’analyse de leur évolution, c’est évidemment l’usage pouvant en être fait qui constituait le point central de la proposition de loi. Elle disposait en effet que le rapport doit présenter « une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes » sur les indicateurs. Si le rapport contient bien, conformément à la loi, de brefs paragraphes intitulés « impact qualitatif et quantitatif sur les indicateurs » de quelques-unes des réformes importantes de l’année, force est de reconnaître que le contenu de ces paragraphes, qui se contentent de postulats généralistes, n’est pas vraiment éclairant.
Par exemple, le paragraphe consacré à la baisse de cotisations
des entreprises se borne à constater qu’une telle mesure devrait relancer l’activité. En ce qui concerne l’impact de cette même mesure sur les émissions de carbone, le rapport indique pour toute analyse : « à technologie inchangée, toute mesure favorable à l’activité implique, nécessairement, une hausse des émissions de gaz à effet de serre ». Evidemment, il serait intéressant d’aller un peu plus loin. C’est en effet lorsque l’analyse des indicateurs permettra d’influer sur les choix de politiques publiques que l’on pourra considérer que l’objectif de notre proposition de loi sera atteint. Toutefois, ce document a déjà l’immense mérite d’exister.
Et pour citer le Premier Ministre, dans son éditorial : « La publication de ce rapport n’est pas un aboutissement, mais un point de départ. » Je dis alors : merci et à bon entendeur, salut ! Et à nous, donc, de nous en saisir pour susciter le débat et en faire, petit à petit, un outil incontournable d’évaluation et d’élaboration des politiques publiques.
Il manque néanmoins un dernier élément, Messieurs les ministres, pour que la société civile et bien sûr le Parlement puissent pleinement jouer leur rôle : il s’agit d’instaurter l’intelligibilité des documents budgétaires.
Le PLF et ses documents annexes occupent chaque année plus d’un mètre linéaire de rayonnage et, pourtant, il est impossible d’y trouver la réponse à une question aussi simple que : « quelle est le niveau consolidé et l’évolution réelle de nos
engagements budgétaires en matière écologie ? » Pour rester sur cet exemple, on peut comprendre qu’il soit régulièrement nécessaire de procéder à des changements de périmètre des missions, mais pourquoi ne pas fournir alors les clés de conversion permettant de les neutraliser d’une année à l’autre ?
Je ne peux pas croire, Messieurs les Ministres, que l’administration n’en dispose pas. Pourquoi, lorsque vous proposez par exemple une réforme de l’impôt sur le revenu, ne dispose-t-on jamais, dans l’étude d’impact, de quelques données agrégées sur la ventilation des foyers fiscaux entre les différentes tranches ? Cela permettrait de chiffrer des propositions alternatives de celle du
Gouvernement… Le succès du petit livre de Thomas Piketty, intitulé « Pour une
révolution fiscale », a en partie reposé sur la mise en ligne par l’auteur d’un petit logiciel très simple, permettant de simuler avec quelques curseurs sa propre réforme fiscale. Sans aller jusque là, il me semble que le Parlement devrait pouvoir, dans la plupart des cas, disposer des sources permettant d’assurer la reproductibilité, et donc l’analyse, des raisonnements de l’administration de Bercy. Car au-delà des slogans affichés par l’exécutif, ce qui est en jeu, c’est la lisibilité et la compréhension des choix budgétaires – donc politiques !
Il en va tout simplement de la démocratie. Parlant de ce projet de loi de finances, Monsieur le ministre, vous aviez annoncé : « la surprise, c’est qu’il n’y a pas de surprise ». Face aux mêmes choix du Gouvernement, les écologistes afficheront donc, sans surprise, les mêmes avis.
Quant au vote, nous nous prononcerons sur la base du texte
tel qu’il aura été modifié par le Sénat.
Je vous remercie. »