Jeudi 10 décembre 2015, le sénat commence l’examen du projet de loi de finance rectificative pour 2015 (PLFR). Voici mon intervention:
“Pour résoudre la crise climatique, je vous le dis franchement : les bons sentiments, les déclarations d’intention ne suffiront pas, nous sommes au bord d’un point de rupture.”
Ces mots, monsieur le ministre, ne sont pas ceux d’un écologiste exalté, assigné à résidence. Non : ces mots, ce sont ceux par lesquels le Président de la République a ouvert la conférence de Paris pour le climat. Ces mots appellent, à l’évidence, une inflexion majeure de notre modèle de développement, dont nous attendons, année après année, la traduction législative et en particulier fiscale.
Malgré la gravité de l’enjeu, perçue à la tête de l’Etat, le Gouvernement a décidé – pourquoi ? – d’exclure la fiscalité écologique de la discussion budgétaire pour l’aborder, à la va-vite, dans un PLFR. Un projet de loi de finances de rattrapage, en somme, que le calendrier ne nous permet pas d’examiner avec le sérieux qu’il mériterait.
Qu’y trouve-t-on, au milieu de la grosse centaine d’articles qui le composent désormais ?
D’abord, le prix de la tonne de carbone pour 2017… mais pour 2017 seulement ! Alors que le Gouvernement prône, à longueur de débat budgétaire, la nécessité d’offrir aux entreprises une visibilité de long terme sur la fiscalité, il semble cette fois privilégier l’effet de surprise. Pourtant, chacun sait bien que le principe même de la contribution climat-énergie consiste à envoyer un signal de long terme, pour permettre aux acteurs économiques de programmer leur adaptation.
Vraiment, monsieur le ministre, je peine à comprendre…
De plus, ce texte pérennise et accroît les exceptions au principe d’universalité de la contribution climat-énergie. Alors que les particuliers seront touchés par la hausse de la contribution, l’aviation reste épargnée et les entreprises électro-intensives gagnent une nouvelle exonération.
Encore une citation :
“C’est l’enjeu de l’introduction progressive du prix du carbone que les émissions de gaz à effet de serre aient un coût qui corresponde aux dommages infligés à la planète, et que les choix d’investissement soient peu à peu modifiés.”
Là encore, ces mots sont ceux du Président de la République.
Pouvez-vous donc nous dire, monsieur le ministre, en quoi votre projet de loi permet, pour l’aviation et l’industrie électro-intensive grosses productrices de carbone, que le coût corresponde aux dommages et que les choix d’investissement soient modifiés ?
Les adaptations et les mutations, je vous l’accorde, sont rarement simples. Mais quand la voiture à moteur est apparue, il a bien fallu à l’époque procéder à la reconversion des manufactures de fiacres, non ?
Et pourtant, nos externalités négatives ne se limitent pas, aujourd’hui et loin s’en faut, à du crottin sur la chaussée.
En ce qui concerne l’électricité, je me félicite de la budgétisation de la CSPE. Les écologistes ont suffisamment dénoncé le déni de démocratie qui a prévalu dans le choix de nucléariser la France, pour ne pas approuver l’affirmation du rôle du Parlement dans la définition de la politique énergétique.
Pour autant, nous serons très attentifs à ce que cela ne se traduise pas par une entrave au développement des énergies renouvelables, à un moment où l’EPR semble bénéficier d’un crédit open bar.
Les énergies renouvelables, les transports collectifs, l’agriculture biologique ont pourtant un besoin crucial d’investissement et de financement. Dans une bonne gestion, la fiscalité écologique devrait y contribuer pleinement mais elle semble, malheureusement ici et pour l’essentiel, ne servir qu’à financer les baisses de charges, consenties sans condition à toutes les entreprises.
La « profonde mutation » appelée par le Président de la République risque fort de devoir attendre…
Pour finir, je voudrais, dans de ce PLFR-bazar où l’accessoire côtoie souvent l’essentiel, pointer deux articles en particulier.
Je veux d’abord parler de l’article 35 quarter qui exonère de droits de mutation les dons reçus par les victimes d’actes de terrorisme ainsi que par leur famille. Je tiens ici à saluer cette mesure que j’avais appelée de mes vœux aux lendemains des terribles attentats du 13 novembre dernier. Car la moindre des choses pour un Etat digne de ce nom et avant de s’engager dans une guerre qualifiée de « totale » contre le terrorisme islamique, c’est de prendre soin – un soin irréprochable et dans la durée – de ses blessés.
En la matière – et nous le savons tous – l’oubli guette, et bien plus vite qu’on le croit, abandonnant les victimes à leurs souffrances et à leurs incommensurables difficultés quotidiennes. Alors c’est bien d’en appeler à la solidarité de chacun, c’est même essentiel.
C’est bien également d’abonder à cette solidarité par une exonération fiscale… mais cela ne suffit pas et ne répond pas à la question qui plane toujours sur la solvabilité du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme, et surtout de l’incroyable complexité de l’actuelle procédure d’indemnisation qui ajoute au malheur personnel la violence des méandres bureaucratiques qui affectent notre pays.
Comment, Monsieur le ministre, expliquer qu’on n’ait toujours pas instauré un guichet unique pour les démarches liées à ce type d’indemnisation ?
Mon second et ultime point concerne l’article 30 quater, introduit par l’Assemblée nationale et que notre rapporteur général, à l’unisson du gouvernement, souhaiterait voir disparaître.
Il concerne la régularisation du statut, en matière de TVA à taux super-réduit, de quelques sites d’information indépendants qui font actuellement l’objet de redressements proprement disproportionnés de la part de l’administration fiscale.
Sur les plus de 5 millions d’euros qui leur sont aujourd’hui réclamés, plus de 25% de cette somme l’est au titre d’un manquement délibéré.
Car nous sommes là face à de bien étranges fraudeurs qui n’ont pourtant, au cours des années incriminées, jamais manqué d’informer l’administration qu’ils s’appliquaient ce taux, sans se voir notifier officiellement qu’ils étaient en infraction.
La mise en conformité du droit fiscal avec celui de la presse, pourtant inscrite dans la loi du 31 juillet 1986, et réaffirmée par le président Sarkozy en janvier 2009, est bel et bien l’objet central de cet article tardif.
Telles étaient, mes chers collègues, les remarques qu’il m’aura été permis de faire dans le temps qui m’était imparti.
Je vous remercie. »