Le prochain conseil européen sera essentiellement marqué par deux questions : la crise migratoire et la lutte contre le terrorisme. Mais c’est sur le risque induit par la menace de Brexit qu’André Gattolin sur lequel André Gattolin a choisi de se concentrer, ce soir lors du débat préalable au dit conseil européen.
« Monsieur le Président, monsieur le Ministre, mes chers collègues,
A l’ordre du jour de ce Sommet européen figurent plusieurs enjeux aussi majeurs que la crise migratoire inédite que connaît l’Union, et le défi lancé par le terrorisme djihadiste à la coopération européenne.
Face à ces deux urgences, si l’Union avance, ce n’est que péniblement, ralentie par des contraintes budgétaires, comme par des réticences nationales et politiques. La tentation peut être forte de vouloir lier ces deux crises, mais on ne dira jamais assez le danger qu’il y aurait à se livrer à cet amalgame.
Toutefois, du fait de cette urgence, des sujets tout aussi importants pour l’avenir de l’Union risquent d’être relégués au second plan.
Au rang des discussions susceptibles d’être ajournées au prochain Conseil, mais évoquées informellement, il y aura la question délicate de l’exigence de la part du Royaume-Uni d’un statut toujours plus dérogatoire.
D’après un sondage de fin novembre, 52% des Britanniques seraient désormais en faveur du « Brexit ». Un tel scénario catastrophe est donc envisageable.
Les conséquences économiques pour le Royaume-Uni, comme pour l’Union, seraient désastreuses. Certaines analyses évaluent ainsi à 14 points le recul potentiel du PIB britannique d’ici 2030.
Aujourd’hui, la responsabilité de David Cameron est immense. Sa principale initiative, dans l’optique du prochain référendum, consiste à réclamer l’introduction d’une période de carence de quatre ans pour l’accès aux prestations sociales des ressortissants communautaires. Cette volonté du gouvernement conservateur de restreindre l’action sociale ne concerne d’ailleurs pas seulement les travailleurs européens, mais aussi les familles britanniques.
En effet, le Royaume-Uni n’est pas ce pays prospère et de plein emploi tel qu’il nous est si souvent vanté. La réalité est bien plus nuancée que ne peuvent le laisser croire des statistiques officielles aux critères étroits : ce pays est marqué par de profondes fractures sociales et territoriales.
Cette réforme n’est toutefois pas acquise pour David Cameron. La chambre des Lords vient de s’y opposer et plusieurs pays dont il cherche le soutien, comme la Pologne ou la Bulgarie, y voient avec agacement une mesure ciblée contre leurs ressortissants.
Par cette exigence précise, le Royaume-Uni contrevient à l’égalité de traitement entre citoyens communautaires et vise ainsi, implicitement, à limiter leur circulation sur le territoire britannique. Il s’agit là, Monsieur le ministre, d’une atteinte fondamentale au socle de principes sur lequel repose notre Union.
Plus encore, David Cameron refuse l’idée, pourtant inscrite dans le marbre de nos traités, d’une « Union sans cesse plus étroite des peuples d’Europe ». Ce faisant, il s’attaque à l’objectif auquel tend notre processus d’intégration européenne depuis sa fondation, bien avant l’adhésion du Royaume-Uni en 1973. Parce qu’elle hypothèquerait toute future intégration politique, accéder à une telle demande reviendrait à abdiquer définitivement le projet européen que nous portons. Quelle est, Monsieur le Ministre, la position de la France sur cette question précise ?
La stratégie du Premier ministre britannique est plus que périlleuse.
A Londres, il ne lutte pas contre les aspirations anti-européennes de son opinion publique et préfère avancer de nouvelles exigences, plutôt que d’expliquer et défendre l’intérêt économique de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union.
A Bruxelles, il tente un travail de sape, s’attaquant de toutes parts aux fondements de l’Union en cherchant des alliés du côté des pays les plus souverainistes, comme le Danemark ou les Pays-Bas.
Dans ce contexte, sa menace péremptoire de soutenir le « Brexit » si l’Union n’accédait pas à ses exigences déplacées relève d’un chantage vraiment inacceptable.
Compte tenu du rapport de force installé par David Cameron, peut-être faudrait-il remettre en question le montant exorbitant du « rabais britannique », qui chaque année grève le budget déjà serré de l’Union, et crée une charge supplémentaire pour les autres Etats membres, au premier rang desquels figure notre pays. Aujourd’hui, l’Allemagne est extrêmement mobilisée sur cette crise politique, et la chancelière Angela Merkel a même établi à Berlin une task-force dédiée.
Monsieur le Ministre, pourriez-vous nous dire si la France dispose d’une telle task-force ou à défaut, compte tenu de votre étroite collaboration avec votre homologue allemand, Michael ROTH, si elle est associée aux réflexions allemandes ?
Si un « Brexit » porterait en lui-même un coup profond au développement de l’ambition européenne, il ouvrirait en outre la boîte de Pandore, en montrant aux eurosceptiques de tous les pays la voie du démantèlement de l’Union. Fléchir sur nos principes fondamentaux d’intégration, d’équité de traitement et de libre circulation contribuerait tout autant à saborder notre projet commun.
Soyons fermes et veillons, mes chers collègues, à ne surtout pas tomber dans ce piège dangereux qui nous est aujourd’hui tendu.
Je vous remercie. »