Le prix Sakharov est attribué tous les ans, au mois d’octobre, pour honorer les personnes ou les organisations qui ont consacré leur existence à la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales.Ce prix, qui a été créé en 1985 à l’initiative d’un député français, Jean-François Deniau, pourrait bien être décerné cette année à un intellectuel ouïghour, qui a été condamné en 2014 à la prison à perpétuité. Il se trouve que ce professeur de l’université Minzu (des ethnies) à Pékin avait été repéré en 2008 par le ministère des Affaires étrangères français et avait été invité à passer une semaine en France dans un programme intitulé «les personnalités d’avenir». Ce projet donnait à des acteurs de la société civile de moins de 35 ans, venus du monde entier, l’occasion de rencontrer les personnalités de leur choix pour parfaire leurs connaissances des rouages de notre pays.
Comme ces «personnalités d’avenir» étaient aussi sélectionnées pour leurs qualités morales, il n’est pas surprenant que beaucoup d’entre elles, dont Ilham Tohti, choisissaient de rencontrer des organisations de défenseurs des droits de l’homme, ou des représentants du monde juridique ou syndical. Autrement dit, la France invitait des personnes susceptibles de porter au loin les valeurs universelles dont notre pays s’enorgueillit d’être l’un des phares.
C’est ce que Ilham Tohti a tenté de faire. Ayant bénéficié d’une excellente éducation en ouïghour comme en chinois, il a eu le rare privilège de pouvoir devenir professeur d’université à Pékin et d’y dispenser un enseignement en économie et en géopolitique. Ses dons pédagogiques, la force de ses arguments et la largeur de ses vues ont rapidement fait de lui un enseignant charismatique, dont les cours, dispensés en chinois, étaient avidement suivis par ses étudiants ouïghours, mais aussi par les étudiants hans, mongols, tibétains, entre autres. Il a élargi son cercle en créant un site, Uyghur Online, à partir duquel il émettait des suggestions constructives en direction des acteurs de la vie politique et économique en Chine afin d’améliorer la situation au Xinjiang, province du far west chinois, berceau de l’ethnie ouïghour, qui réunit huit millions d’individus à l’intérieur de la Chine.
Or, depuis le 11 septembre 2001, et la lutte mondiale contre le terrorisme, les Ouïghours sont devenus une cible privilégiée du pouvoir chinois qui les accuse de tous les maux : intégrisme, islamisme, terrorisme. La nouvelle loi antiterrorisme, votée le 27 décembre 2015, n’a fait qu’en rajouter une couche. Alors que jusqu’à présent les stratégies contre-productives et répressives à l’égard d’ethnies – telles que les Tibétains et les Ouïghours – ont aggravé les tensions entre Hans et ethnies allogènes, impliquant tortures, emprisonnements, assassinats extrajudiciaires et lourdes interventions policières contre les manifestations les plus pacifiques de l’identité religieuse ou culturelle, le gouvernement chinois n’a rien trouvé de mieux que de condamner à la réclusion à perpétuité, sous prétexte de «séparatisme», l’un des seuls intellectuels ouïghours qui tentait, par tous les moyens, de trouver un terrain d’entente et de collaboration entre Ouïghours et Hans.
Agé de 46 ans, Ilham Tohti a déjà reçu plusieurs prix, dont le PEN – Barbara Goldsmith Freedom to Write Award (prix pour la Liberté d’écrire) en 2014. Des dirigeants du monde entier ont protesté comme une condamnation inique. Il est temps que l’opinion publique francophone s’empare de son cas : à force d’évoquer les méfaits de Daech, d’Isis ou de Boko Haram, on en vient à oublier que certains citoyens de religion musulmane pourraient faire la différence et ramener la paix dans un monde déchiré par la haine et le rejet de l’autre. Ilham Tohti fait certainement partie de ceux-là. Sa place n’est pas dans le Centre de détention numéro 1 d’Urumqi au Xinjiang, et le prix Sakharov serait à la fois un hommage et un message d’espoir envoyé à une victime innocente de la dictature implacable du président chinois Xi Jinping. Aux députés européens de se mobiliser en sa faveur !
Appel co-signé avec Marie Holzman Présidente de Solidarité Chine , Noël Mamère député, paru dans le journal Libération du 14 juillet 2016